Sur tout le flanc Ouest des Etats-Unis, les lacs de retenue d'eau affichent des valeurs particulièrement basses, alors que la saison sèche et les mois les plus chauds sont encore à venir. C'est toute la région qui se prépare à un été sec et à d'intenses incendies… Encore.
Difficile d'anticiper pour les années à venir !
L'été sera chaud
Sur les images satellites aussi, la différence est clairement visible. Le lac Mead, au Sud-Est de Las Vegas, est touché par la sécheresse exceptionnelle qui sévit dans la région. Ce gigantesque réservoir, connu dans le monde entier grâce au spectaculaire barrage Hoover qui le scelle, a atteint début juin son niveau le plus bas, depuis qu'il a été rempli, en 1934. Les habitants du cru ne peuvent pas s'y tromper : les marques sont bien visibles sur les berges érodées et sèches, loin au-dessus du niveau d'eau actuel.
Le lac, qui s'étend sur 642 km² lorsqu'il est à son niveau normal, est tout simplement nécessaire à la vie et à l'économie locale. Pour cause, ne l'oublions pas, Vegas est un mirage construit dans une région aride…
Le lac Mead, c'est 90 % des ressources en eau de la cité (qui continue de s'étendre) et une part importante de son électricité. Les casinos devraient s'équiper en batteries de secours, car à 36 % seulement de sa capacité de retenue, le lac Mead devra peut-être un jour prochain stopper ses turbines. Avec une élévation de 326,5 m (par rapport au niveau de la mer) le 10 juin, il n'y a pas encore de risque de coupure, mais sous les 290 m, l'approvisionnement n'est plus garanti. Or les ingrédients sont réunis pour un début d'été particulièrement chaud et sec (les températures autour de Vegas devraient atteindre les 43°C dès cette semaine). Et c'est un cycle vicieux, préviennent les scientifiques, des sols plus chauds et secs devraient encore augmenter l'évaporation, tout comme les hauts fonds sableux. Ce minimum ne devrait heureusement pas être atteint en 2021.
Mais quid de la situation l'année prochaine si un nouvel automne ne remplit pas suffisamment les cours d'eau ? Et d'ici une décennie ? Le lac Mead n'a plus atteint un niveau de 371 m depuis le début des années 2000…
Symphonie sur sol sec
En Oregon, Nevada, Californie et Arizona, les alertes se suivent et se ressemblent. 55 % de l'Ouest américain est aujourd'hui en situation de « méga-sécheresse ». Et c'est probablement dans le centre du « Golden State » que la situation est la plus critique.
La Californie est en effet en proie depuis des années à des feux de forêts dévastateurs, dont les conséquences commencent à se faire sentir considérablement. En mars 2019, après un hiver pluvieux, la Californie sortait tout juste d'une période de sept ans d'une sécheresse considérée comme anormale. Il n'aura fallu que deux années pour y revenir, l'automne et l'hiver dernier n'ayant amené que des précipitations sporadiques et surtout, un manteau neigeux qui n'aura pas tenu sur les montagnes Rocheuses.
Alors qu'habituellement, la fonte des neiges suffit à alimenter les cours d'eau jusqu'en août, la couverture neigeuse sur la moyenne et la basse Californie était de 0 % début juin. Le printemps a été très chaud, et la Californie ne devrait attendre des précipitations importantes que d'ici le mois d'octobre, a confirmé le Dr Daniel Swain, climatologue à l'Université de Californie (UCLA).
Le lac Oroville, important réservoir au Nord de Sacramento et participant (avec d'autres) à la fourniture en eau potable de 27 millions d'Américains, est un symbole de cette sécheresse galopante. Lui aussi était à 37 % de sa capacité le 7 juin, et lui aussi devrait voir son niveau continuer de baisser cet été.
Les autorités sont les premières à s'en inquiéter. Elles ont d'ailleurs sorti de l'eau 120 bateaux résidentiels (type péniche) pour les placer sur un parking, sur des plots en béton. Le lac n'a plus qu'une seule rampe d'accès disponible pour les autres propriétaires de bateaux, et plusieurs quais flottants sont à sec aujourd'hui. En août, l'accès sera fermé : la route n'atteindra plus les bords du lac, qui reculent.
La centrale électrique, elle, sera probablement mise à l'arrêt à la fin de l'été faute de ressource en eau, et l'administration s'attend à un niveau historiquement bas d'ici là, environ 195 mètres au dessus du niveau de la mer, soit le point le plus bas uniquement atteint lors d'une sécheresse isolée en 1977.
Se préparer pour une situation qui dure
Cet été, les industries touchées seront d'abord celles du tourisme et de la pêche, mais là encore, les climatologues craignent d'entrer dans un « territoire inconnu » si la crise se poursuit, ou si elle se répète dans quelque années. Autour d'Oroville les locaux redoutent d'ailleurs aussi que le paysage ne revienne plus à la normale : une part importante de la zone au Nord et à l'Est du lac a été ravagée par les incendies, laissant les pentes à nu et les arbres décharnés au-dessus d'un bassin de pierre rocailleux.
Le niveau est entre 35 et 60 mètres sous les moyennes des étés précédents. Même le lac Tahoe, gigantesque bassin des rocheuses à pratiquement 2 000 m d'altitude, et plein en 2019, a vu son niveau baisser d'1m50 ce printemps, essentiellement pour pouvoir alimenter la plaine.
Dans les grandes vallées californiennes, l'heure n'est pas à l'alarmisme, mais à l'adaptation. Les saumons sont parfois transportés vers la mer en camion, les troupeaux réduisent le nombre de têtes, les agriculteurs
(ceux qui le peuvent) changent les cultures qu'ils prévoient pour le reste de l'année (en mai, les cultures de melon ont remplacé les asperges par exemple) et certains devront payer cher la ressource en eau, car les puits locaux sont nombreux à être à sec dès le début de l'été.
Qu'importe, cependant, l'urgence pour l'un des greniers de toute la côte Ouest : dans un pays où tout s'achète, même la priorité des réservoirs, les maires des régions (Countys) les plus riches et densément peuplées ont assuré leur approvisionnement en eau potable. Les gigantesques quartiers résidentiels devraient donc éviter le cœur du problème, même si quelques restrictions devraient voir le jour cet été, pour l'arrosage ou les piscines notamment.
La « super-sécheresse » a déjà remplacé la crise sanitaire dans un certain nombre de titres locaux, et les médias nationaux ont relevé les records des lacs Mead et Oroville… Mais de très nombreux bassins de moindre importance souffrent autant sur les milliers de kilomètres au pied des rocheuses. Les états débloquent des fonds d'urgence et vont injecter des milliards pour adapter leurs infrastructures à la situation actuelle, ce qui prendra plusieurs années.
Et dans les saisons à venir ? Il faudra peut-être faire des choix difficiles pour assurer la résilience du réseau électrique et hydrique. D'autant, bien sûr, que le changement de climat ne concerne pas que l'Ouest des Etats-Unis…
Source : The New-York Times