Le nouveau corps de l'armée américaine dévolu à l'espace, l'US « Space Force », n’en finit pas de faire rire sur le Web. Le projet est pourtant plus que sérieux, et regroupera avant tout des experts du numérique, clés de voute des systèmes spatiaux présents et futurs.
La United States Space Force (USSF), officiellement créée le 20 décembre 2019 et rattachée à l’armée de l’air, est assortie d’une mission claire : « Organiser, former et équiper les forces spatiales afin de protéger les intérêts américains et alliés dans l'espace ». Mais son intérêt et sa légitimité ne font pas l’unanimité et le nouveau corps suscite doutes et moqueries.
Space... farce ?
Dès l’origine, sur les réseaux sociaux, on se gausse en relevant le caractère « science-fictionesque » d’une force spatiale. Beaucoup s’étonnent d’ailleurs de la similitude entre l’écusson officiel de la Space Force et le logo de Star Trek…. Mais surtout, alors que l’activité humaine dans l’espace se résume à des satellites, des rovers d’exploration et une unique station orbitale vieillissante habitée par une poignée de scientifiques, avait-on vraiment besoin de militaires de l'espace ? « Ce n'est pas une farce, c'est critique au plan national », crut bon de préciser le Général John Raymond aux journalistes, lors de sa prise de fonction à la tête de la Space Force.
Les choses se compliquent pourtant avec la sortie sur Netflix en 2020 d’une série de fiction, également baptisée Space Force. Quelques mois après la formation de la « vraie » Space Force, le timing paraît incroyable, d’autant que la série est avant tout une comédie multipliant les situations burlesques. Outre Steve Carell (The Office) en Général excentrique qui chante et danse pour se donner du courage, et John Malkovich en scientifique exaspéré par les militaires, on y voit un chimpanzé tenter de réparer un satellite ou des astronautes chinois se moquer des Américains depuis la Lune. La série, qui ne se veut pourtant pas dénuée d’un certain réalisme, décrit une Space Force incertaine et chaotique, dont les responsables peinent à imposer le sérieux de leur mission.
Les internautes se régalent, les mèmes se multiplient, tandis que s’installe une étonnante mise en abîme : quelle « Space Force » est la plus risible, la vraie ou sa parodie ? En attendant, Netflix persiste et signe, et annonce la production d’une saison 2.
Le coup de grâce, si l’on peut dire, est donné par les militaires américains qui décident en décembre 2020 du nom officiel des soldats de la Space Force : ce seront des « Gardiens ». Oui, comme dans les comics et films Marvel, Guardians of the galaxy. De quoi alimenter de nouvelles moqueries et de nouveaux mèmes à base d’improbables super-héros extraterrestres.
Sur les réseaux sociaux, on recommande à l’armée américaine d’adopter un raton laveur comme mascotte, en référence au Rocket de l’univers Marvel, un raton laveur cyborg, génétiquement modifié et super-armé.
De l’espace au numérique
Evidemment, cela ne fait pas rire tout le monde. « L’US Space Force se fait ridiculiser par la pop culture », s’insurge Wendy Whitman Cobb, professeure de stratégie à l’école d’études avancées de l’US Air Force. Dans un article publié en février 2021 sur le très sérieux Space War, elle constate que « la Space Force est désormais davantage un mème qu’un corps militaire » et regrette que « peu de gens la prennent au sérieux ».
De moqueries en références incessantes à la série Netflix ou à d’autres films de science-fiction, l’image de la Space Force en ressort fortement écornée, estime-t-elle. Et c’est un problème. « Voir la Space Force comme une plaisanterie nous détourne des responsabilités essentielles qu’elle doit assumer », conclut-elle, précisant par exemple que « les missions de surveillance et de suivi des satellites et des débris spatiaux ne sont pas aussi intéressantes que les histoires de Star Wars, mais elles sont fondamentales pour l'économie mondiale et la sécurité nationale ».
De quoi rappeler que, malgré tout, l’US Space Force est bien réelle. Elle abrite aujourd’hui environ 2 500 Guardians et devrait en compter 16 000 dans les années qui viennent. C’est peu comparé à d’autres corps (celui des Marines, par exemple, compte 180 000 soldats). Mais c’est beaucoup pour une force entièrement dédiée à la « guerre spatiale ».
Mais alors, que vont faire ces milliers de « gardiens de l’espace » ? « Tout ce que nous faisons à la Space Force touche au logiciel », explique la lieutenant Jackie Smith, responsable du premier bootcamp dédié à la formation informatique des Guardians, qui s’est terminé en janvier dernier. En sont sortis 28 diplômés — des « supra-codeurs » sélectionnés parmi 300 candidats. « Le développement logiciel est un atout stratégique », résume Smith, expliquant que des centaines d’experts numériques formeront bientôt les rangs de la Space Force. Le corps tire d’ailleurs parti des centres de formation de l’US Air Force, où sont déjà enseignés le développement logiciel, le big data, l’intelligence artificielle ou la cybersécurité.
Et parmi les tâches affectées à cette « unité d’élite numérique », il reviendra de « concevoir, développer et tester des satellites dans des environnements entièrement virtuels », tout en surveillant l’espace pour prévenir défaillances et piratages de satellites réels. En somme, la « guerre spatiale » se joue pour l’instant en mode 100% numérique, avec pour seule arme le code informatique.
Tant pis pour les combats au sabre laser et les ratons laveur cybernétiques.