Vue d'artiste de la mission DART, avec les astéroïdes Dimorphos et Didymos. Crédits NASA/JHUAPL
Vue d'artiste de la mission DART, avec les astéroïdes Dimorphos et Didymos. Crédits NASA/JHUAPL

Pour la première fois, une agence spatiale a fait décoller une sonde spatiale pour aller dévier un astéroïde. La NASA n'a rien laissé au hasard, et DART devrait être une excitante démonstration technologique autant qu'une aventure scientifique et une première mission de « défense planétaire ».

La rencontre devrait avoir lieu le 7 octobre 2022.

Elle est partie dare-dare

Petite déception ce matin à Vandenberg en Californie, pour le décollage à 7h21 de la mission DART (Double Asteroïd Redirection Test) de la NASA. Pas de lancement de navette, pas de Bruce Willis - du moins dans la fusée, car il était invité sur place, en clin d'oeil. La défense planétaire est-elle pour autant plus excitante au cinéma ? C'est sûr, aucune équipe de forage ne s'est envolée pour l'espace, mais la mission elle-même ne manque pas de panache : gagner de la vitesse pour que, dans moins d'un an, la sonde DART s'écrase à plus 6000m/s sur un petit astéroïde pour le dévier ! Et puis les images du lancement lui-même viennent rappeler qu'il y a quelques années encore, les étages de fusée n'étaient pas capables de se poser seules sur une barge autonome au large de la Californie. Ca vaut bien un peu de science-fiction…

C'est bien une fusée Falcon 9 qui a décollé ce matin et qui s'est acquittée de sa première mission « planétaire » avec brio, soulignant une fois de plus le travail des équipes de SpaceX avec la NASA et la fiabilité du matériel. Le début du trajet de DART s'est effectué en deux temps : l'étage supérieur de Falcon 9, une fois en orbite, a rallumé son moteur après 28 minutes de mission, comme prévu. Une manœuvre indispensable pour que la sonde se dirige hors de l'influence terrestre et vers sa future rencontre avec l'astéroïde Dimorphos. DART s'est éjectée avec succès à T+55 minutes.

Décollage de la sonde DART ce matin, dans la nuit californienne. Crédits NASA
Décollage de la sonde DART ce matin, dans la nuit californienne. Crédits NASA

Défense en profondeur

Les astéroïdes ont joué un rôle majeur dans le passé terrestre en étant directement ou indirectement responsables de trois extinctions de masse, la plus connue d'entre elles étant l'impact K-T il y a 65 millions d'années, qui a fait « disparaître » les dinosaures. Et il n'y a pas que le cinéma qui s'intéresse à de potentielles mauvaises rencontres à venir avec des astéroïdes, la majorité des grandes agences ayant subi une importante piqure de rappel en 2013 lorsqu'un bolide d'environ 18 m de diamètre s'est écrasé en Russie, près de Chelyabinsk. Ce dernier, qui n'avait pas été détecté, a généré des milliers de blessures par bris de verre, et des millions d'euros de dégâts.

Mais ce n'est pas si facile. Les catalogues répertorient environ 27 000 astéroïdes géocroiseurs (qui s'approchent jusqu'à moins de 50 millions de km de la Terre) aujourd'hui, dont l'extrême majorité fait plus de 1 000 m de diamètre. Aucun d'entre eux n'est sur une trajectoire impliquant une collision. Toutefois, selon ces mêmes estimations, il reste pratiquement 60% des astéroïdes d'une taille inférieure ou égale à 140 m de diamètre à détecter ! De quoi, tout de même, générer une catastrophe à l'échelle d'un pays. Il y a donc un besoin latent en défense planétaire.

Comparaison de tailles entre quelques monuments connus et les principaux éléments de cette mission. Crédits NASA

Billard sur les voisins

S'il y a d'autres moyens pour dévier un astéroïde (comme essayer de l'attirer avec la masse d'un satellite, le pousser ou même peindre l'une de ses faces en blanc - si, si), l'impact cinétique reste une option intéressante. Parce qu'elle est simple, d'abord, en termes de logistique ; parce que prendre de la vitesse pour aller frapper un astéroïde est dans nos moyens ; et parce qu'elle produit un effet immédiat. Reste que les simulations ont des limites, et qu'envoyer un projectile sur un astéroïde, c'est aussi beaucoup d'inconnues en fonction de sa composition, de sa surface ou même du projectile lui-même. A-t-on les bons moyens pour frapper avec précision lorsqu'on s'approche à 6 kilomètres par seconde ? La mission DART est là pour tenter de répondre à ces questions.

Didymos est un gros astéroïde de 780 m de diamètre environ, découvert en 1996. En 2003, des observations supplémentaires ont montré qu'il a une petite lune, depuis officiellement baptisée Dimorphos. Cette dernière a la forme d'une patate et mesure environ 160 m de diamètre. Dimorphos tourne donc autour de Didymos, et ce depuis des millions d'années, à une vitesse très lente : il lui faut 11 heures et 55 minutes pour chaque révolution. La paire d'astéroïdes est bien documentée et ne présente absolument aucun risque pour la Terre, ne s'en approchant au plus près qu'à environ 11 millions de kilomètres avant de repartir vers l'orbite martienne. Dimorphos, la petite lune, fait donc une cible idéale : DART n'aura pas l'énergie nécessaire pour la briser, va devoir manœuvrer très précisément pour la frapper, et l'effet de l'impact pourra être mesuré précisément par les changements d'orbite qu'il induit. Bonus : si quelque chose va de travers avec Dimorphos, ça ne changera pas fondamentalement la trajectoire de Didymos à l'avenir.

La sonde DART en préparation avant de partir pour le site de Vandenberg. Crédits NASA/JHUAPL

Petit DART, haute précision

DART est une petite sonde aux standards actuels : avec son carburant de manœuvre, elle ne pèse que 610 kg (d'ici sa collision sa masse devrait se réduire à 550 kg) et ne dépasse pas les 2 m de côté… panneaux repliés. Car l'occasion était trop belle : DART n'est pas qu'un véhicule-suicide, un impacteur sans âme. Non, la NASA en a profité pour inclure un maximum de technologies déjà testées en orbite terrestre ou de manière limitée. Ses grands panneaux solaires de 8,5 m chacun, par exemple, utilisent la technologie actuellement déployée sur l'ISS (ROSA), avec deux rouleaux de panneaux souples avec un excellent rendement. L'une des zones de ses panneaux sera même dédiée à l'expérience « Transformational Solar Array », avec des cellules particulières et un matériau réflectif, qui permet en théorie de tripler la génération d'électricité ! DART utilise une propulsion chimique classique, mais embarque aussi un propulseur ionique à haute puissance NEXT-C qui sera testé durant plusieurs semaines.

La sonde DART elle-même ne comporte pas vraiment d'instrument scientifique. En réalité, elle utilisera un télescope embarqué à haute résolution nommé DRACO, inspiré de l'imageur principal de la sonde New Horizons. Sa mission sera de première importance, puisqu'il doit permettre de détecter d'abord l'astéroïde Didymos, pour l'approche, puis de fournir des images en continu durant les quatre dernières heures de la mission. Au cours de celles-ci, DART devra évoluer de façon totalement autonome, grâce à son logiciel nommé SMART Nav. Il faut bien comprendre que tout va se passer très rapidement, à la vitesse extrême qui sépare DART de l'astéroïde : une heure avant impact, il sera encore à 24 000 kilomètres et pourra à peine détecter la petite lune Dimorphos. 4 minutes avant la collision ? 1 600 kilomètres. Et il faudra encore manœuvrer pour atteindre précisément la cible. Les deux dernières minutes seront dédiées à envoyer un maximum d'images vers la Terre, tandis que la sonde foncera vers sa fin.

3, 2, 1, impact ! La fin de la mission arrivera très vite. Crédits NASA

Dimorphos, et peut-être un peu plus de morceaux

Notez que les télescopes terrestres observeront, de très loin, la collision avec Dimorphos. Et ils ne seront pas les seuls ! Dix jours avant l'impact, DART larguera en effet un micro-satellite nommé LICIACube (« Light Italian CubeSat for Imaging of Asteroids »). Ce CubeSat 6U+ est une véritable petite sonde autonome, équipée d'un petit propulseur, d'une antenne pour renvoyer ses données sur Terre et, le plus important, d'une caméra haute résolution qui filmera l'impressionnant télescopage entre la petite sonde et l'astéroïde. Elle passera au plus près exactement trois minutes après la collision, et plusieurs équipes scientifiques attendent les images avec impatience.

Et paf, ça fait des chocapics. Ou plutôt, ça va réduire un peu l'orbite de Dimorphos.

Car si DART n'est pas exactement une sonde scientifique, il y a tout de même beaucoup à apprendre de cette mission. D'abord, rappelons que malgré le nombre ahurissant d'astéroïdes présents dans le Système solaire, moins d'une vingtaine ont été survolés ou observés de près. De plus, le couple Didymos/Dimorphos est le premier du genre depuis le survol d'Ida en 1993 par la sonde Galileo ! Enfin, les équipes en observant l'impact, disposeront d'une véritable mine d'informations sur la composition de la petite lune de 160 m de diamètre, en particulier sur sa porosité. Quantité de matière éjectée, taille des blocs, distance à laquelle la matière est envoyée... Et bien sûr, quel impact DART aura eu sur la vitesse de Dimorphos. Son orbite devrait être freinée d'une dizaine de minutes !

DART, dans sa configuration "de croisière". Crédits NASA

Enfin, s'il s'agit, comme c'était le cas pour les astéroïdes Bennu et Ryugu visités récemment, d'une gigantesque accrétion de sédiments et de roches simplement agglomérées, l'impact de DART sera spectaculaire !

DART, le contrat de confiance

La mission DART va durer moins d'un an et sera surtout excitante sur la fin… si elle fonctionne bien ! A part la NASA, une autre agence va suivre tout ça de très près : l'ESA. En effet, les Européens étaient pendant un temps supposés envoyer une sonde en même temps que DART, mais pour des raisons politiques et budgétaires, la première grosse mission de l'ESA vers un astéroïde ne décollera qu'en 2024 au plus tôt.

Qu'à cela ne tienne : si une partie des débris seront retombés, le cratère d'impact de la mission américaine sera toujours bien visible. Surtout, s'il s'agira bien sûr de cartographier les résultats, HERA aura également pour mission d'étudier avec précision le couple d'astéroïdes et de caractériser leur surface. Deux petits CubeSats l'accompagneront dans cette tâche à partir de son arrivée en 2026.

D'ici là, on saura précisément quels effets aura généré la première mission de défense planétaire !