Vue d'artiste de la sonde Lucy lors d'un de ses futurs survols. Crédits NASA
Vue d'artiste de la sonde Lucy lors d'un de ses futurs survols. Crédits NASA

Poursuivant la grande série de missions à la découverte de notre Système Solaire, l'agence américaine envoie cette fois une sonde explorer les astéroïdes troyens et grecs de Jupiter. Certains d'entre eux résident à ces Points de Lagrange depuis des milliards d'années… Lucy en survolera sept !

Et en plus elle embarque bien un diamant !

Jupiter, c'est du lourd

Ah, Jupiter. La plus grande et massive planète de notre Système Solaire ne fait pas que rêver avec ses bandes de nuages et ses impressionnantes lunes gelées. Comme il semble qu'elle se soit formée assez tôt lors des périodes tourmentées de notre jeune système, Jupiter recèle aussi un petit trésor. A ses deux points de Lagrange L4 et L5, il existe des populations d'astéroïdes, capturés et « coincés » entre l'influence gravitationnelle du Soleil et celle de la géante gazeuse. Ils tournent sur la même orbite que Jupiter, mais à plus de 700 millions de kilomètres de distance. Ceux qui sont « en avance » sur Jupiter sont appelés les Grecs et ceux qui passent après elle sont les Troyens. Ces astéroïdes, contrairement à ceux qui font partie de la ceinture au-delà de l'orbite de Mars, ou les géocroiseurs, n'ont pas participé à la gigantesque partie de billard qui a pris part dans le Système Solaire ces derniers milliards d'années… Il devrait s'agir pour la plupart d'entre eux, de très, très vieux témoins piégés par Jupiter et inchangés depuis les bouleversements planétaires originels. Ce qui les rend particulièrement intéressants scientifiquement !

L'étrange trajectoire de la sonde Lucy (référentiel de Jupiter) qui partira de la Terre pour aller voir les Troyens en L4 et les Grecs en L5. Crédits NASA
L'étrange trajectoire de la sonde Lucy (référentiel de Jupiter) qui partira de la Terre pour aller voir les Troyens en L4 et les Grecs en L5. Crédits NASA

Lucy donc, est une mission qui va aller visiter ces astéroïdes, que l'on appelle communément les troyens. L'histoire même de la conception de la trajectoire de la sonde est originale, parce qu'à la base, l'équipe du Southwest Research Institute (SwRI) qui a fait la proposition, pensait n'envoyer un véhicule que survoler quelques astéroïdes (grecs) de Jupiter, avec une trajectoire très elliptique partant de la Terre et rejoignant la zone. Sauf qu'ensuite évidemment, la sonde revient vers la Terre ! Leur est alors venu l'idée de profiter de ce retour pour renvoyer la sonde vers l'orbite de Jupiter, mais cette fois dans la population opposée, chez les astéroïdes troyens. Une élégante trajectoire en yoyo sur 12 années (minimum) et qui permet le survol d'un astéroïde « classique », de cinq astéroïdes "grecs" et de deux "troyens". En une seule mission, cela représente près d'un tiers de tous les survols d'astéroïdes qui ont eu lieu jusqu'à présent dans l'exploration spatiale : la NASA a dit oui en janvier 2017, et la sonde est à l'heure.

Lucy, plein de références

Comme il s'agit d'aller éventuellement découvrir de nouvelles informations sur nos origines, les concepteurs ont pour une fois changé des sempiternels acronymes pour appeler leur sonde Lucy. Il s'agit d'une référence au célèbre squelette fossilisé d'un australopithèque découvert en Ethiopie en 1974, resté longtemps l'un des plus documentés et les mieux conservés des ancêtres (ou co-ancêtres) des humains. Ironiquement, le squelette Lucy avait lui-même été nommé en l'honneur de la chanson des Beatles « Lucy in the Sky with Diamonds », hommage à peine voilé à la drogue LSD mais véritable hit hippie (hourra). La NASA n'est pas en reste pour surfer sur le titre musical, signalant que l'instrument L'TES sur Lucy utilise bel et bien un diamant…

Ecusson de mission de la sonde Lucy. Notez le squelette en haut à gauche. Crédits NASA

Lucy est donc une sonde d'exploration planétaire. Elle pèse 1500 kg dont quasiment la moitié est dédiée uniquement à son carburant de manœuvre (ce sera très utile pour affiner la trajectoire et passer au plus près des astéroïdes tout en restant en sécurité), et 4m de long… Lorsque ses grands panneaux solaires sont repliés. En effet, pour générer de l'énergie électrique à partir de cellules solaires à pratiquement 700 millions de kilomètres du Soleil, il faut une très grande surface équipée. Deux panneaux circulaires de chacun 7.3m de diamètre seront donc nécessaires pour alimenter l'ordinateur central, la grande antenne et la suite de 4 instruments principaux de Lucy.

Sous le capot, pas de V8 turbochargé…

On y retrouve par contre, en plus d'un imageur optique haute résolution T2CAM (il servira pour la navigation), un petit télescope optique L'LORRI très précis et qui fournira des images à longue distance (c'est le descendant de l'instrument LORRI embarqué en 2006 sur la sonde New Horizons). Il y a également l'instrument multispectral L'Ralph dans les bandes optiques et infrarouges, qui sera capable d'identifier la composition de surface des astéroïdes, en particulier les matériaux organiques, hydratés et les glaces. Ce dernier est aussi un descendant d'instruments des missions New Horizons et OSIRIS-REx avec plusieurs améliorations. Enfin, le dernier imageur est un spectromètre infrarouge thermique, L'TES, qui complémentera les autres mesures de composition avec des informations sur la réflexion thermique (issu d'ORIRIS-REx et de l'instrument EMIRS envoyé avec la sonde émiratie Hope vers Mars). A cela il faut encore ajouter la « classique » utilisation de l'antenne radio pour des expériences d'occultation lors des survols, ce qui aidera à déterminer la masse exacte des troyens et grecs.

Pour les troyens, emmenons un cheval…

Comme on l'a déjà expliqué, le parcours de Lucy sera tortueux. Il a démarré comme prévu ce samedi 16 octobre à 11h34 (Paris) depuis Cape Canaveral, grâce à un lanceur Atlas V dans sa configuration la moins puissante. Le lancement complet aura pris 58 minutes, entre l'allumage de son puissant moteur (Russe) et l'éjection réussie de la sonde, qui n'a pas tardé à étendre ses panneaux solaires.

Atlas V décolle avec la sonde interplanétaire Lucy. Crédits ULA

Le décollage de nuit a emmené Lucy sur une orbite héliocentrique, qui n'est pour l'instant pas très éloignée de celle de la Terre. Il lui faudra deux manœuvres d'assistance gravitationnelle pour que sa trajectoire soit suffisamment elliptique pour viser les "grecs" , prévues le 16 octobre 2022 (pile un an après le décollage) et le 13 décembre 2024. Après quoi, en route pour la banlieue de Jupiter !

Sur son chemin, Lucy croisera tout d'abord un astéroïde situé dans la ceinture « principale », entre l'orbite de Mars et celle de Jupiter : DonaldJohanson. Ce dernier avec 3,8 km de diamètre a été nommé en l'honneur du paléontologue qui a découvert le squelette de Lucy, et il est intéressant à plusieurs titres. D'abord, il est de type « C » (pour Carboné) tout comme Bennu et Ryugu explorés récemment, mais ces derniers étaient sur une toute autre trajectoire. DonaldJohanson, qui sera survolé en avril 2025, serait au contraire un astéroïde « récent », un fragment d'une collision qui a eu lieu dans la ceinture. Ce premier survol sera aussi une répétition générale après 3,5 années de trajet, pour faire fonctionner les instruments et les équipes sur une durée courte, mais avec beaucoup d'intensité et de données à collecter.

Survol(s) groupé

Car ensuite, les survols vont s'enchainer à partir du mois d'août 2027. D'abord, le grand Eurybates et ses 64 kilomètres de diamètre ! Il est si massif qu'on a déjà détecté une petite lune autour, Queta, qui mesure lui-même presque un kilomètre de long. Qui sait, il y en a peut-être d'autres ! Eurybates (type C) est lui aussi issu d'une grande collision qui a eu lieu dans la population des grecs, mais qui est sans doute très ancienne. Après cette rencontre au mois d'août, ce sera le tour de Polymele en septembre 2027. Ce dernier est de type P (très sombres et rouges), et mesure environ 24 km de diamètre. Il faudra ensuite attendre jusqu'au mois d'avril 2028 pour observer Leucus (Type D, 20 km) puis Orus en novembre 2028 (Type D, 60 km). Orus, si l'on suit les estimations des chercheurs, n'est pas issu d'une grande collision comme Eurybates même s'il fait environ la même taille : il sera donc très intéressant de faire la différence entre l'un et l'autre qui « habitent » la même zone ! Orus est le dernier astéroïde "grec" à bénéficier d'un survol, après quoi la sonde Lucy replongera vers la Terre.

Avec un petit ajustement de trajectoire, Lucy repartira directement pour le groupe des Troyens ! Pour son dernier survol, la NASA s'est laissé une apothéose finale : un duo d'astéroïdes binaires, qui tournent l'un autour de l'autre et qui dansent depuis des millions d'années. Patroclus et Menoetius (dans la mythologie, ce dernier est son père) font chacun environ 100 kilomètres de diamètre, ce sont d'impressionnants astéroïdes dont les images et le survol proche devrait nous apprendre beaucoup. En bonus, il est probable que la NASA se laisse tenter par une approche en « rase-mottes » puisqu'il s'agit du dernier objectif de la longue liste de Lucy… Mais ce n'est pas certain. En effet, si d'aventure il restait assez de carburant de manœuvre et que les instruments comme le cœur de la sonde se portent bien, une nouvelle orbite en ellipse et un retour vers les troyens (et/ou les grecs) n'est pas exclu. Reste que le véhicule approcherait alors les 16 à 18 ans !

Les Troyens, les grecs et l'astéroïde que Lucy devrait survoler au cours de sa mission. Crédits NASA

On part pour une aventure…

A présent que le lancement est terminé (étape cruciale s'il en est), les équipes directement concernées par les instruments vont confirmer que tout fonctionne bien, avant de laisser leurs bijoux « en sommeil » avant les premiers survols de la Terre. Mais ici, tous ne vont pas se reposer. Et justement une équipe (qui inclut 7 scientifiques français et un grand contingent local) est ce samedi au Sénégal ! Ensemble, et au service direct de la mission, ils tenteront d'observer indirectement l'astéroïde Orus, car ce dernier va passer brièvement devant une étoile. De cette occultation, de nombreuses informations (de position, de taille exacte, voire même de composition) peuvent être extraites pour mieux préparer un survol qui n'aura lieu que 7 ans plus tard. Pour la découverte, il faut parfois prendre le temps…