Après une première année de trajets sans incidents, la sonde JUICE a profité de sa rencontre avec la Lune (et d'un survol millimétré de celle-ci), puis avec la Terre pour orienter sa trajectoire et se freiner. Une assistance gravitationnelle avec une complexe route pour Jupiter… Prochaine étape ? Vénus.
Elle avait décollé avec l'une des dernières Ariane 5 le 13 avril 2023. La sonde européenne JUICE (Jupiter Icy Moons Explorer) s'engageait alors sur un long trajet de 8 ans pour rejoindre Jupiter et entamer le survol de ses lunes. Et il ne s'agit pas que d'une seule ellipse en ligne droite… La sonde pèse déjà 6 tonnes à son lancement, elle ne peut embarquer suffisamment d'ergols pour atteindre son objectif, il faut donc l'envoyer en profitant d'un effet de fronde.
Cette trajectoire, sorte de billard orbital autour du Soleil, va l'amener profiter de plusieurs planètes pour des assistances gravitationnelles. Chacune modifie sa trajectoire et lui fait économiser plus de 100 kilos de carburant. Mais gare, c'est un exercice de précision : une seule erreur, un rendez-vous manqué, une panne au mauvais instant, et la mission peut être compromise plusieurs années avant d'avoir seulement observé Jupiter. Le premier de ces survols pour JUICE a eu lieu ces 19 et 20 août.
La Lune, puis la Terre dans la foulée
Il n'est pas si rare qu'une sonde spatiale partant au-delà de Vénus ou de Mars revienne vers la Terre pour gagner de la vitesse ou pour se freiner. Le rendez-vous orbital est même plutôt « simple » à programmer, puisque l'orbite terrestre est le point de départ de leur ellipse. Mais pour la première fois avec JUICE, les équipes ont profité d'un alignement particulier et ont programmé un double survol, avec la Lune le 19 août et la Terre le 20 août 2024 grâce à un changement de trajectoire en novembre dernier.
Il fallait une confiance absolue dans le positionnement de la sonde et dans sa capacité de manœuvre, car la fenêtre pour les corrections entre les deux survols de la Lune, puis de la Terre était extrêmement courte. C'est pourquoi dès le début de l'été, des inflexions très fines de la trajectoire de JUICE ont permis de la faire entrer dans une minuscule fenêtre orbitale : utiliser la Lune pour accélérer de 3 240 km/h, puis la Terre pour ralentir de 17 280 km/h (vitesse par rapport au Soleil) et incliner son orbite de 100 degrés. Surtout, la sonde a désormais l'orientation parfaite pour foncer vers son prochain objectif, Vénus.
Le double survol était inédit, mais il a fonctionné exactement comme prévu, économisant en tout entre 100 et 150 kilos d'ergols. C'est plus que prévu, et grâce au décollage qui était lui aussi très précis, les équipes qui dirigent la mission peuvent déjà anticiper des manœuvres supplémentaires en orbite autour de la lune gelée Ganymède. Ou bien tout simplement utiliser une réserve en cas de mauvaise surprise sur le reste du trajet.
Un parcours sinueux à venir
En effet, si les périodes entre les survols sont calmes (la sonde est pratiquement en sommeil durant entre 8 mois et un an), il faut les préparer avec précision. À l'aide de simulations, les équipes de l'ESA et d'Airbus DS gèrent des séquences de commandes pour maximiser l'apport des survols à venir : étalonner les instruments, activer un maximum de mesures, mais aussi et surtout protéger la sonde et son électronique pour que leur potentiel reste à son maximum jusqu'à l'arrivée près des lunes gelées.
Ce sera le défi dans l'année à venir. JUICE, qui est pourtant une sonde destinée et conçue pour survivre aux basses températures du Système solaire « lointain », aux frontières de ce qu'il est possible de faire avec des panneaux solaires, se rapproche en vérité du Soleil en étant désormais orientée vers Vénus. Il s'agira là encore d'infléchir au maximum la trajectoire en économisant du carburant. Avec un survol de Vénus en 2025, puis deux survols de la Terre en 2026 et 2029, l'effet de fronde sera maximal, et JUICE pourra enfin rejoindre les lunes galiléennes de Jupiter.
Des prises d'images éphémères ?
Au passage, certaines des images dont on a pu bénéficier lors de ce survol ont été capturées grâce aux caméras JMC, qui n'ont été conçues et installées « que » pour vérifier le déploiement des panneaux solaires et des instruments de la sonde. Elles ont déjà amplement rempli leur rôle, en permettant de suivre et de piloter le déploiement plus compliqué que prévu du magnétomètre de JUICE, peu après son décollage.
Mais elles fournissent aussi de magnifiques clichés. Il faut en profiter tant que c'est encore possible, elles pourraient ne pas résister à l'ensemble du trajet vers Jupiter, et sur place, elles seront rapidement dégradées par l'intense environnement radiatif autour de la géante gazeuse. Qu'importe, c'est du bonus, on en profite tant qu'elles voudront bien fonctionner.
Un survol, aussi un trésor scientifique
Il y a bien entendu d'autres dispositifs de capture d'images qui, eux, sont prévus pour résister et fonctionner jusqu'à la fin de la mission. Les caméras de navigation, par exemple, ou l'imageur à haute résolution JANUS, qui apportera des photographies de Ganymède 50 fois plus résolues que tout ce que les autres véhicules ont pu capturer depuis le début de l'exploration spatiale.
JANUS a pris beaucoup de clichés lors du survol Terre-Lune, pour tester ses performances, mais aussi pour bien cadrer ses limites de fonctionnement. Saturation, auto-réglages de plan focal, changement d'intervalles entre les clichés : l'équipe s'en est donné à cœur joie pour deux bonnes raisons. D'abord, la Terre comme la Lune sont des corps célestes très bien documentés, et ensuite, la Lune offre des conditions de prises de vue avec de très basses luminosités et de grands contrastes.
Les autres instruments de la sonde (ils sont nombreux, entre les spectromètres, l'altimètre laser, le magnétomètre, le radar de profondeur, etc.) ont eux aussi pris des points de mesure pour leur futur usage lointain, de façon à ce que ce survol gravitationnel ait aussi été une « répétition générale ». Tous ont été allumés pour le survol de la Lune, et seuls deux ont été laissés de côté pour le survol terrestre.
Comme l'explique Claire Vallat, responsable scientifique de la mission, l'avantage, c'est qu'il est encore tôt pour JUICE, s'il faut régler un instrument de façon particulière ou contourner un problème, il y a le temps de s'en occuper. Avec un seul objectif : que toutes les ressources soient disponibles d'ici 7 ans, et pour évoluer dans le système jovien au moins 3 ans et demi. La première étape est un joli succès !
25 décembre 2023 à 17h00
Source : ESA