Attendu par les Européens et toute l'industrie spatiale internationale, le décollage inaugural d'Ariane 6 a eu lieu ce 9 juillet. Un lancement sans anicroches, et une grande réussite qui vient couronner les efforts et justifier les années de retard. Une dernière phase de vol, servant de démonstration en orbite, n'a toutefois pas pu aboutir.
C'était le lancement à ne pas rater, le plus attendu en Europe depuis l'annonce, fin 2014, de l'accord officiel sur le développement du nouveau lanceur Ariane 6. Le voyage fut long et semé d'embûches, avec la formation d'ArianeGroup début 2015, des accords institutionnels qui ont tardé, des retards industriels, l'impact de la crise sanitaire liée à la COVID, puis les défis de l'inflation, avant une très longue campagne de préparation et d'essais au sol.
Mais, ce 10 juillet 2024, c'est avant tout un immense soupir de soulagement qu'ont poussé les responsables et les équipes impliquées sur le projet Ariane 6. Car deux jours après le feu vert, le compte à rebours et le remplissage des réservoirs ont pris place comme à l'exercice, et le nouveau fleuron européen a pu allumer ses moteurs comme prévu pour s'élancer vers le ciel guyanais à 16 h pile (21 h à Paris).
Un lancement très attendu
Moment d'intense tension, le décollage a vu la fusée grimper durant les premières secondes à l'assaut des quelques nuages présents au-dessus de la côte avant de s'éloigner au large. Filmé sous toutes les coutures (y compris grâce à des caméras embarquées qui diffusaient en direct), le lanceur a accéléré jusqu'à t+2m16s, moment de l'éjection de ses deux boosters auxiliaires à poudre P120C.
Il a ensuite poursuivi son ascension, propulsé par son unique moteur-fusée Vulcain 2.1, dernière évolution de celui qui équipait déjà Ariane 5. Les phases suivantes (éjection de la coiffe, de l'étage principal, puis allumage de l'étage supérieur) se sont succédé sans soucis, et l'intense pression sur les équipes s'est progressivement relâchée. Notamment, le moteur Vinci de l'étage supérieur, fonctionnant à l'hydrogène et l'oxygène liquide, a pu être rallumé en vol et en impesanteur pour obtenir une orbite circulaire autour de 580 kilomètres d'altitude.
Ariane 6 largue ses premiers passagers
Ce vol inaugural a culminé quelques minutes plus tard, avec l'éjection de plus d'une dizaine de petits satellites au format CubeSat. L'étage supérieur d'Ariane 6 en a profité pour utiliser son nouveau dispositif, l'APU (Auxiliary Power Unit). Ce générateur de puissance pressurise les réservoirs, sert de « démarreur » au moteur Vinci et peut fournir une poussée auxiliaire pour des ajustements de trajectoire fins. C'est un dispositif technique très complexe, qui volait pour la première fois, et son usage au cours de la mise en orbite des satellites est un succès de très bon augure !
Les principaux responsables institutionnels et industriels se sont ensuite félicités de ce premier succès de lancement. Josef Aschbacher (directeur de l'ESA), Philippe Baptiste (président du CNES), Martin Sion (directeur général d'ArianeGroup) et Stéphane Israël (président d'Arianespace) ont rappelé l'importance de cette première campagne pour l'accès souverain et autonome des Européens et de leurs satellites à l'orbite.
En effet, le tir d'Ariane 6 marque le « début de la fin » d'une période difficile, qui a vu de nombreux clients et satellites traverser l'Atlantique faute de solutions pour décoller avec une fusée européenne. Tout ne sera pas résolu en une soirée, mais le soulagement était palpable.
Une démonstration qui tourne court
Pourtant, malgré ces importantes prises de paroles et la réussite du lancement orbital en tant que tel, la mission globale d'Ariane 6 pour ce 9 juillet n'était pas tout à fait terminée. En effet, il restait plus de 30 minutes après l'éjection des charges utiles, une phase de test avec plusieurs allumages de l'APU pour des poussées complémentaires. Cette dernière précédait un dernier rallumage du moteur Vinci pour désorbiter l'étage de la fusée.
Juste avant d'entrer dans l'atmosphère, il fallait d'ailleurs encore éjecter deux petites capsules de test, l'une appartenant à ArianeGroup et l'autre à The Exploration Company. Malgré tout, cette phase de démonstration n'a pas eu lieu comme prévu. Après un nouvel allumage réussi, l'APU s'est subitement éteint, ce qui a entraîné une suite de mises en sécurité. Une fois l'APU bloqué, les ajustements en orbite n'ont pas eu lieu, et le moteur Vinci n'a pu démarrer.
Dès lors, inutile de prévoir les étapes suivantes, comme l'éjection des deux capsules de rentrée atmosphérique : à son altitude, il faudra quelques années à l'étage supérieur d'Ariane 6 avant qu'il puisse se désintégrer dans l'atmosphère. Les équipes ont donc commandé la passivation de l'étage, ce qui permet de vider les réservoirs et les batteries en sécurité afin d'assurer que ce qui est désormais un débris en orbite ne se fragmentera pas à l'avenir.
Quelques corrections, le pied sur le champignon
Si cette fin de mission a généré de nombreuses discussions, elle ne remet pas en question le succès de la campagne de lancement elle-même. Ariane 6 a réussi sa mise en orbite et est même allée plus loin que ce qu'était capable de faire Ariane 5 en son temps. Les responsables, lors d'une conférence de presse organisée après le vol, n'ont pas esquivé les questions sur l'APU, qui a déjà plus de 50 essais au sol derrière lui et qui a réussi ses premières phases de mission… avant de s'éteindre. Les équipes vont analyser les données tout en progressant sur les vols à venir. Il ne s'agit pas, selon Stéphane Israël d'Arianespace d'un point bloquant pour les prochains décollages.
L'activité du deuxième semestre sera de plus en plus intense en Guyane. Le dernier vol de la fusée Vega est prévu à la fin de l'été, suivi par le retour sur scène de la version améliorée du petit lanceur européen, Vega C, qui n'a pas décollé depuis 2 ans. Sans oublier la deuxième Ariane 6 attendue juste après pour emporter le satellite espion optique français CSO-3.
Le début d'une longue carrière ? En tout cas, les responsables ont raison, « Ariane is Back » !
Source : CNES