Vega C au cœur de la tempête, presque 3 mois après l'échec. Crédits ESA/CNES/CSG/Arianespace/JM Guillon
Vega C au cœur de la tempête, presque 3 mois après l'échec. Crédits ESA/CNES/CSG/Arianespace/JM Guillon

Les résultats techniques ne laissent pas de place au doute, c'est le col de tuyère du deuxième étage de Vega C qui a condamné le vol en décembre dernier. Mais les choix du maître d'œuvre industriel italien Avio font débat, au niveau industriel comme à celui des agences. Inquiétant, avant d'envisager le retour en vol en 2023…

Il faudra du temps pour rétablir la confiance.

L'enquête est terminée

« Nous sommes en crise », admettait ce vendredi 3 mars le directeur de l'ESA, Joseph Aschbacher, expliquant qu'il fallait une réflexion poussée sur l'accès européen à l'espace. Le chantier, lui, est d'envergure. Un an après l'arrêt politique des vols de Soyouz au Centre Spatial Guyanais, la situation n'a pas cessé d'empirer. Ariane 6 est très en retard et Vega C, le nouveau fleuron européen des lanceurs de petite et moyenne capacité (jusqu'à 2,3 tonnes en orbite basse polaire), cloué au sol après l'échec de son premier vol commercial en décembre 2022. Un crash qui coûte très cher à Airbus DS – qui a perdu deux satellites d'observation à très haute résolution Pléiades NEO – et qui a entrainé une enquête conjointe de l'ESA et Arianespace après ce 3e crash de la famille Vega en 22 vols. Les conclusions ont été rendues publiques vendredi : dès l'allumage du deuxième étage solide de la fusée, le Zefiro-40 (ou Z-40), une baisse de la pression a été constatée. Le col de la tuyère, élément absolument crucial lors de la combustion, s'est dégradé très rapidement et n'a pas résisté.

Deux autres satellites Pléiades NEO font la fierté d'Airbus DS en orbite. Crédits Airbus DS
Deux autres satellites Pléiades NEO font la fierté d'Airbus DS en orbite. Crédits Airbus DS

Un choix qui fait beaucoup parler de lui

Le col de la tuyère du Z-40 est une pièce en composite carbone/carbone issue d'un procédé industriel complexe et difficile à maîtriser. C'est là que le choix d'Avio, maître d'œuvre des programmes Vega et Vega C, interroge : alors qu'Arianegroup fournissait les cols de tuyère de ses lanceurs, pour cet étage l'entreprise a choisi un fournisseur ukrainien (Ioujnoïe ou Yuzhnoye). Était-ce dans une optique de baisse des coûts ? D'indépendance souhaitée d'Avio vis-à-vis d'Arianegroup ? Ou tout simplement, comme l'expliquent les Italiens, lié à des problèmes de délais et de disponibilité des pièces ?

Il semble qu'Avio ait également été laxiste, soit sur le cahier des charges, soit sur les contrôles de la qualité, le rapport indiquant que les pièces livrées depuis l'Ukraine étaient conformes à l'attendu… Et que les moyens d'inspection mis en œuvre en Italie ne pouvaient détecter le problème de non-homogénéité du matériau. L'invasion de l'Ukraine n'est d'ailleurs pas en cause, les pièces ayant été livrées plus tôt.

À quand la reprise des vols de Vega C ? Crédits ESA/CNES/CSG/Arianespace/S.Martin

Préparer la reprise… rapidement ?

Mais suffira-t-il de changer de fournisseur pour régler tous les problèmes ? C'est déjà le cas, argue Avio, qui a pris ses précautions dès le début de la guerre provoquée par la Russie en février 2022, pour revenir au choix d'Arianegroup, et n'utilisera plus les pièces ukrainiennes suite au problème de décembre dernier. Pour répondre aux questions de fiabilité et aux défauts de contrôle qualité, le rapport d'enquête demande une requalification de l'étage Zefiro-40 et la mise en place d'actions permettant de garantir une meilleure fiabilité. Néanmoins, il faudra du temps pour que le lanceur redécolle, aussi Arianespace, qui commercialise les lancements, a-t-elle géré avec le matériel disponible : une fusée Vega de première génération (il en reste deux) décollera à la fin de l'été avec un ensemble de satellites, avant le retour en vol de Vega C attendu au mieux pour la fin 2023.

Les doutes vont persister

Malgré tout, ce rapport n'a pas rassuré tout le monde. Le CNES notamment, selon Les Échos, aurait envoyé une lettre à l'ESA « considérant que l'enquête n'est pas assez approfondie », et s'appuyant sur les défauts des années précédentes. En 2019 et 2020 déjà, deux échecs de Vega ont coûté très cher à l'Europe avec un satellite d'observation des Émirats Arabes Unis, et un ensemble de deux satellites scientifiques français et italiens. Les coûts des assurances pour les décollages avec Vega et Vega C se sont envolés…

La France, dit-on, souhaiterait revenir en détail sur la totalité du dossier Vega/Vega C avant d'autoriser à nouveau les vols… Ce que l'industriel italien souhaiterait éviter à tout prix pour ne pas clouer sa fusée au sol durant une longue et coûteuse étude (potentiellement plus d'un an). Un problème de confiance qui vient encore fragiliser le secteur ! Les clients privés et publics, heureusement encore nombreux, sont pour l'instant contraints de patienter ou d'envoyer leurs satellites décoller depuis les États-Unis. Certains attendent l'arrivée des petits lanceurs du NewSpace. SpaceX a réussi son 15e vol de 2023 au début du week-end…

Source : Les Échos