Ce 5 septembre, le sol du Centre spatial guyanais a tremblé à nouveau. La dernière des petites fusées européennes Vega a quitté le sol et emporté avec succès le satellite Sentinel-2C en orbite. Alors que l'industriel tente de remettre en place Vega C, jetons un œil dans le rétroviseur… il y a seulement 12 ans.
Pour comprendre l'aventure Vega, il faut remonter au tournant du siècle. L'Europe spatiale opère alors Ariane 5, qui est un très grand lanceur, optimisé pour envoyer un, voire deux satellites de télécommunication en orbite de transfert géostationnaire. Une aventure économique qui, malgré quelques défauts de jeunesse, tourne rapidement au succès.
Reste que les satellites, en particulier en orbite basse, deviennent de plus en plus légers et qu'il n'y a pas pléthore d'offres concurrentielles sur le marché. Faudrait-il un complément à Ariane ? La Russie commercialise Soyouz et ses anciens missiles balistiques reconvertis en lanceurs. Les États-Unis ont la même approche (en beaucoup plus cher). Il y a une place pour une fusée à faible capacité, pour envoyer des satellites de moins de 2 tonnes en orbite basse polaire.
Le 28 novembre 2000, l'ESA officialise le projet Vega. À la fois comme l'une des plus brillantes étoiles du ciel de nuit, et comme un acronyme, « Vecteur européen de génération avancée ».
Autentica qualita, et voilà
L'Italie et son industrie sont au premier plan dans le projet. Mais il faut du temps pour mettre tout le monde d'accord, y compris au Centre spatial guyanais, où le site de lancement d'Ariane 1, désactivé depuis 1989, a été rebâti pour Vega.
C'est la désormais célèbre ZLV : les quatre étages de Vega y sont conduits un par un dans un portique, puis assemblés à la verticale dans un hall avec des plateformes rétractables. Une fois la coiffe contenant le ou les satellites installée tout en haut, le compte à rebours peut commencer, et le portique s'ouvre et se recule de plus d'une centaine de mètres pour laisser la place au lanceur qui décolle.
Et si cela vous semble banal, dites-vous que cette architecture de portique très efficace a ensuite été reprise pour Soyouz et Ariane 6 (jusqu'en Russie, c'est dire).
Une Vega, 4 étages
Vega est un lanceur qui utilise des étages dits à poudre, ou solides. C'est une architecture fiable, moins complexe que celle d'un moteur-fusée liquide, mais qui offre une facilité de manipulation et des coûts fixes intéressants. Le maître d'œuvre italien, Avio, conçoit trois étages de plus en plus petits et légers. Le P80 (95 tonnes) est le premier et le plus imposant, il sert au décollage et à travers les premières couches de l'atmosphère.
Le Zéfiro 23 (ou Z-23) et le Z-9 emportent Vega jusque dans l'espace et lui permettent d'accélérer à la vitesse orbitale. Ensuite, pour conduire le satellite sur une orbite précise et pour manœuvrer de façon fine, il y a un quatrième et dernier étage à propulsion liquide, l'AVUM (Attitude Vernier Upper stage Module), construit autour d'un moteur-fusée ukrainien que l'on peut rallumer jusqu'à 5 fois. Très pratique, lorsqu'il s'agit de larguer plusieurs satellites sur leurs orbites dédiées.
Des missions qui marchent !
La carrière de Vega commence, après d'importants retards, le 13 février 2012 et un lot de tout petits satellites. Mais le vol est un succès, et cela fait du bien, avec un carnet de commandes qui s'est vite rempli. Les Européens ont besoin de Vega, et toute une liste de clients internationaux attendent leur tour. L'industrialisation, elle, marque le pas une année supplémentaire, le temps de passer de l'expérimentation à la production.
Le premier vol commercial a lieu le 7 mai 2013, avec des satellites d'observation de la Terre, et les vols s'enchaînent au rythme de 2 à 3 unités par an. Les hautes cadences attendront la génération suivante, avec Vega C, car l'originale reste chère.
Pourtant, Vega envoie des satellites français et européens (ESA et UE) du Viêt Nam, du Maroc, du Kazakhstan, de la Turquie, du Pérou, et des satellites commerciaux, sans oublier le prototype de petite navette européenne, l'IXV. Un vol très particulier pour Vega, qui, pour la première fois, n'a pas besoin d'atteindre l'orbite pour larguer sa charge utile. D'autres nouveautés apparaissent, comme la plateforme SSMS, qui peut emporter plus d'une cinquantaine de satellites de tailles variées.
La machine se grippe
En juillet 2019, Vega effectue son 15e vol, pour envoyer Falcon Eye 1, un satellite « espion » au service des Émirats arabes unis. C'est un contrat commercial important, mais pour la première fois, Vega rate son vol et se désintègre en haute altitude après une rupture de son 2e étage. Il s'agit là d'un véritable coup dur, il faut remettre des procédés en question après 14 succès et 7 années de vol, et une facture titanesque pour l'assureur des Émirats, qui a dû rembourser plus de 400 millions de dollars (depuis, la prime a grimpé).
Pour le petit lanceur italien, pour lequel Avio se charge désormais de presque tout, c'est le début d'une très mauvaise période. En effet, il faut beaucoup de temps pour que l'enquête se termine, suivie par un audit et un changement de procédé. Le 3 septembre 2020, on espère que les problèmes sont enfin dans le rétroviseur et que la cadence va pouvoir reprendre. C'est que la concurrence est de plus en plus féroce, surtout de l'autre côté de l'Atlantique.
Rebelote pourtant le 17 novembre 2020, Vega rate la mise en orbite d'un satellite d'observation et de l'unique satellite français d'étude des éclairs, Taranis. Pire, cet échec est dû à une inversion de commandes sur l'étage supérieur AVUM : au lieu de tourner dans un sens, il a tout fait à l'envers.
La fin progressive de Vega
Ces deux échecs, avec l'arrivée de la génération suivante Vega C, ont amené un désamour certain des Européens pour ce lanceur, qui avait pourtant encore 5 décollages programmés. Désamour du public, mais aussi des industriels, et même de plusieurs institutions.
Et si le retour en vol et la cadence ont été particulièrement lents (3 vols en 2021, un en 2023, le dernier en 2024) pour terminer sa carrière, les commandes honorées étaient très importantes. Vega, et Vega C par ailleurs, n'ont jamais eu l'impact de communication d'autres lanceurs, aussi à cause de leur… trajectoire. Il s'agit en effet d'envoyer des satellites en orbite basse polaire, ce qui amène ces charges utiles à disposer de fenêtres de tir très précises, souvent au beau milieu de la nuit en Europe.
Après la mise en orbite réussie de Sentinel-2C pour terminer sa carrière, c'est donc l'évolution Vega C qui prend le relais. À l'extérieur, les deux se ressemblent, mais en réalité, tout change discrètement. Le premier étage est différent et bien plus imposant, c'est le P120C (qui équipe également Ariane 6). Le 2e étage est le nouveau Zefiro 40, l'étage supérieur AVUM+ incorpore de nombreux changements et sera plus puissant, et même la coiffe change ! Il ne reste que la zone de lancement et le 3e étage qui seront les mêmes.
Avio espère monter en cadence avec Vega C et atteindre un rythme de croisière de 5 à 6 lancements par an dans les années à venir. La demande est là, ne serait-ce que pour remplacer les satellites d'observation de la Terre européens ! Il y a enfin une dernière évolution, celle de la commercialisation. La fin de Vega, avec 20 réussites sur 22 vols, coïncide aussi avec la fin des contrats signés avec Arianespace. C'est désormais l'Italien Avio qui s'occupera des contrats et des opérations avec les clients, Arianespace ne gérant plus qu'une petite partie des lancements déjà signés. Une page se tourne !
Le prochain décollage de Vega C est prévu avant la fin de l'année, avec le satellite radar Sentinel-1C du programme Copernicus (Union européenne).