Vue d'artiste d'un satellite Pléiades Neo en orbite basse. Crédits Airbus Defence And Space
Vue d'artiste d'un satellite Pléiades Neo en orbite basse. Crédits Airbus Defence And Space

C'est un nouveau service que propose Airbus Defence and Space à ses clients, via deux satellites Pléiades Neo envoyés en orbite cette année. Le pari de la très haute résolution et d'un service haut de gamme « made in France » va-t-il payer ? Nous avons interrogé François Lombard, le directeur des activités Intelligence d'Airbus Defence and Space.

Pour la branche Intelligence d'Airbus Defence and Space, 2021 fut une année de changements. Le 29 avril, le premier de quatre satellites Pléiades Neo arrivait en orbite basse, suivi dès le 16 août par une deuxième unité. Ces satellites compacts sont dédiés à l'observation de la Terre à la plus haute résolution disponible commercialement aujourd'hui : 30 centimètres par pixels ! Les images parlent d'elles-mêmes.

Les deux Pléiades Neo seront quatre d'ici l'année prochaine, mais le service est déjà disponible depuis octobre pour les clients d'Airbus Defence and Space. Un pari technologique « en solo » de la part du géant européen, avec des premiers retours très positifs qui laissent envisager un succès à venir pour ce système essentiellement français basé à Toulouse. Malgré tout, le secteur de l'imagerie satellitaire est en pleine expansion. Pour en savoir plus, nous avons posé nos questions à François Lombard.

Interview de François Lombard (Airbus Defence and Space)

Clubic - Pour commencer, en quoi consiste votre poste de directeur des activités Intelligence d'Airbus Defence and Space ?

F. Lombard - Cela signifie que j'ai un rôle de responsable des activités géospatiales du groupe. Mon poste couvre deux branches distinctes : celle de la partie services, qui va concerner la vente d'images satellite, optique et radar, nos différentes activités commerciales en Europe et dans le monde ; et une partie applications militaires, puisqu'Airbus supporte aujourd'hui une grosse activité de renseignement. Cela regroupe environ 2000 personnes en tout, pour des contrats et des missions qui sont essentiellement tournées vers l'export, qui représente 80% de nos revenus !

L'Arc de Triomphe photographié par Pléiades Neo à l'occasion du 11 novembre. Crédits Airbus Defence & Space
L'Arc de Triomphe photographié par Pléiades Neo à l'occasion du 11 novembre. Crédits Airbus Defence & Space

Ce qui change avec Pléiades Neo

Pléiades Neo vient de démarrer son service commercial. Comment est-ce que vous décririez cette nouvelle constellation ?

Pour nous, il y a deux façons de voir Pléiades Neo. D'abord, c'est la continuité d'un service, d'une activité et j'aimerais presque dire, un voyage que nous avons commencé il y a 30 ans et même plus avec SPOT. Mais c'est aussi un changement complet pour nous, que ce soit pour la qualité des images, la capacité des satellites… Nous avons dû revoir toute la chaîne industrielle de A à Z, depuis la conception de la constellation jusqu'à la commercialisation aujourd'hui. Dans notre domaine on pourrait effectivement se dire qu'on avance de manière progressive, on rajoute un à deux satellites, on améliore les images… Mais avec Pléiades Neo nous avons voulu changer d'échelle et changer toute notre base technologique.

L'idée était aussi de se donner à la fois en interne et à nos clients des outils adaptés et modernisés. Cela se voit bien à Toulouse, nous avons changé de taille ! Nous avons mis en place un cloud très sécurisé, nous travaillons avec de l'intelligence artificielle pour fournir de meilleurs capacités de traitement, et nos équipes ont fourni un énorme travail du côté logiciel. Ce sont des aspects que l'on n'imagine pas forcément, car ils sont beaucoup moins médiatisés que la mise en orbite d'un satellite, mais qui comptent énormément !

Les deux premiers Pléiades Neo ont décollé grâce au lanceur Vega. Airbus profitera de l'amélioration Vega C pour envoyer les deux derniers sur un seul vol. Crédits Airbus Defence & Space

Il y a quelques années, à de très rares exceptions près, des services présentant des résolutions sous les 50 cm étaient considérés comme réservés aux Etats et aux « satellites espions ». Qu'est-ce qui a changé ?

Les attentes des clients ont évolué au fil du temps pour aller vers une plus haute résolution. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que sur le marché de l'imagerie satellitaire, nous avons une approche haut de gamme : nous tenons à proposer un produit qui soit meilleur ! C'est ce qui a dirigé notre réflexion pour mettre en place Pléiades Neo, et les premiers retours nous donnent raison. Nous voici avec deux satellites (quatre l'année prochaine) qui proposent des services agiles, avec une résolution effective de 30 centimètres par pixel et une fauchée de 14 kilomètres… En réalité, très peu de nations et d'entreprises dans le monde disposent de telles capacités, et grâce à notre constellation, ils n'en auront pas besoin puisque le service est ouvert.

Ici, chez Airbus Defence and Space, nos technologies satellitaires, nos matériels sont à la pointe, ce qui nous aide pour nous positionner commercialement. Aujourd'hui, le service Pléiades Neo est unique, et il répond aussi à des exigences de sécurité très élevées pour des contrats étatiques. C'est l'un des avantages que nous avons sur des startups très innovantes qui ont fleuri ces dernières années dans le monde de l'imagerie - notre infrastructure, nos serveurs, notre sécurité.

Véhicules évoluant sur une mine de cuivre à ciel ouvert au Chili, vus depuis l'orbite. Crédits Airbus Defence & Space

Pléiades Neo, c'est une aventure uniquement Airbus DS, sans l'engagement de l'Etat. Est-ce que c'était plus de liberté ou un risque supplémentaire ?

Forcément, un peu des deux… Mais ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est que Pléiades Neo est issu d'une décision commerciale avant tout. Donc comme pour tout projet, il a fait l'objet d'un « business case » et d'un investissement conséquent, mais avec un objectif de rentabilité et d'exploitation ! Cela a mené à certains choix technologiques, par exemple le fait qu'il s'agisse de satellites compacts, que nous avons souhaité pouvoir envoyer en duo avec le lanceur Vega C. D'autre part, comme nous étions décideurs et maîtres d'œuvre, nous avons eu la liberté d'action pour aller vite pour proposer notre solution aux clients le plus vite possible. Dans un cadre étatique, ou dans les grands partenariats que nous menons avec le CNES par exemple, il y a d'une part une phase de négociation en amont, mais aussi plus d'échanges, plus d'expertises et de choix technologiques sur lesquels les différentes parties doivent se mettre d'accord. Ici, nous avons assumé le risque, parce que nous étions certains du produit.

Un satellite Pléiades Neo lors de la mise sous coiffe en Guyane. Crédits Airbus Defence & Space

Avec l'ouverture du service commercial de Pléiades Neo, c'est un véritable bond en avant en nombre d'images et de « tuiles » à traiter. Est-ce qu'il a fallu de nouveaux outils ou « simplement » des équipes renforcées ?

Non, des équipes renforcées n'auraient pas suffi ! Ce qu'il ne faut pas oublier, alors que Pléiades Neo arrive au stade de la commercialisation, c'est que nous n'avons pas stoppé nos services plus anciens, les offres radar, SPOT et Pléiades. Ces deux derniers se portent très bien, au contraire ! C'est ici qu'il faut un peu rentrer dans les détails, car le chiffre clé que tout le monde retient, les « 30 cm de résolution », cela ne traduit pas vraiment le changement d'échelle que nous proposons. Il y a près de 5 fois plus de pixels par images avec Pléiades Neo qu'avec la génération précédente des Pléiades. Si l'on prend en compte l'ensemble des satellites que nous opérons depuis Toulouse, nous avons dû redimensionner toute notre capacité de traitement pour une augmentation d'un facteur 10, c'est énorme en termes de données.

Du coup oui, nous mettons en place de nouveaux outils. C'est ce que j'appelle un système sol hybride : nous avons changé de technologie pour être plus réactifs, pour des services dans le Cloud, pour être commercialement offensifs, et dans le même temps nous assurons une continuité avec un haut niveau de sécurité (j'insiste mais c'est capital pour nous).

Si tu vas à Rio... N'oublie pas de lever la tête, on ne sait jamais quand un Pléiades Neo est dans le coin ! Crédits Airbus Defence & Space

Vous êtes sans doute au courant que Planet réagit à Pléiades Neo en promettant un projet « Pélican », qui vise à envoyer toute une constellation en orbite avec des résolutions sous les 50 cm. Comment se positionner face aux Américains qui sont vite devenus des géants de l'imagerie ?

Aujourd'hui, nous sommes dans une position où nous pouvons sereinement voir ces nouvelles annonces fleurir. Lorsque nous avons annoncé Pléiades Neo, je me souviens qu'il y avait beaucoup de questions de la presse mais aussi de nos concurrents qui demandaient « mais vous allez proposer du vrai 30 cm ? ». En effet, dans notre domaine il y a parfois un monde entre les effets d'annonce et la réalité du produit qui est proposé au client. Donc sans minimiser ce qu'annoncent les Américains, nous avons l'avantage de savoir exactement où nous en sommes, et de pouvoir le montrer à nos clients. C'est aussi lié, comme je le disais plus haut, à notre positionnement haut de gamme. Ce que nous faisons ici, je suis fier de le dire, il n'y a qu'une ou deux entreprises au monde qui en sont capables.

Pour les clients aussi, il faut un peu aller au-delà de la résolution. On parle de la fauchée, de l'agilité, du contraste, de la qualité optique, du temps de revisite, c'est-à-dire de l'intervalle entre deux passages de nos satellites… Avec quatre unités, je pense que nous avons une proposition solide aujourd'hui et pour le moyen terme. Mais évidemment, il va y avoir de nouvelles annonces et des nouveautés dans les années à venir, c'est normal. Nous aussi, nous allons évoluer !

Bientôt vos photos de vacances grâce à Pléiades Neo ? Ici Majorque. Crédits Airbus Defence & Space

Après Pléiades Neo, le prochain projet d'envergure pour l'imagerie chez Airbus DS, c'est la petite constellation CO3D… Sans entrer dans de folles révélations, à quoi ressemblera l'après, selon vous, quelle est l'étape suivante ?

C'est effectivement la coopération avec le CNES sur CO3D qui nous occupe déjà pour le futur proche. Ces 4 satellites vont offrir à leur tour de nouveaux services et venir compléter notre offre, en profitant des nouvelles infrastructures que nous avons mises en place pour Pléiades Neo. En réalité, il faut le voir comme un écosystème Airbus, presque comme une constellation à part entière. Nous offrons quelque chose de différent : une compatibilité et une complémentarité entre nos différents services qui permet d'avoir tantôt la meilleure résolution disponible sur le marché, tantôt une meilleure précision spatiale 3D, ou bien plus d'images du même site dans différentes configurations. Nous offrons à nos clients une homogénéité des images et des services, c'est très important ! Et pour nous, c'est une panoplie qui va continuer à s'étoffer. C'est d'ailleurs ma vision de l'avenir à moyen terme pour nos activités : une multiplicité des capteurs, différentes conditions, des spécialisations différentes mais compatibles. Par ailleurs quand il y a un secteur qui nous intéresse, nous n'hésitons pas à nous rapprocher d'autres entreprises spécialisées. C'est ce que nous avons fait en 2020 en nous rapprochant de Hawkeye 360, une entreprise qui fait de la détection radio depuis l'espace.

Nous travaillons avec des startups également, pour profiter de leur vision nouvelle de la donnée et adapter notre plateforme Cloud, OneAtlas. Cette impulsion du NewSpace, nous l'accompagnons, avec aussi UP42, une structure indépendante issue d'Airbus DS qui regroupe de nouveaux blocs de données, algorithmes et outils pour que le plus grand nombre puisse accéder et manipuler des données spatiales. Nous avons un intérêt direct dans une démocratisation des images depuis l'orbite !

Au-delà de ça, l'avenir c'est d'accompagner les évolutions du secteur, soit en proposant de nouveaux services comme des images de meilleure résolution, soit en étant plus près des besoins des clients. C'est ce que j'aime dans ce domaine : je sais déjà que d'ici 3 à 5 ans, il y aura des nouveautés, de nouvelles applications qui vont peut-être nous surprendre, des nouvelles données que nos clients voudront ajouter à l'image, ou fusionner avec nos capteurs. L'idée, c'est aussi d'être à la pointe pour leur donner le meilleur accès possible pour qu'ils puissent créer. Ma motivation, c'est de pousser pour qu'Airbus Intelligence soit aussi reconnu qu'Airbus pour l'aviation, ou les hélicoptères : aller chercher le leadership pour que notre nom soit tout de suite associé aux images haut de gamme depuis l'orbite.

L'exposition universelle 2020 à Dubaï, photographiée depuis l'orbite par Pléiades Neo

Enfin, vous êtes à la tête d'une branche avec une très forte empreinte en France. Est-ce que c'est important pour vous ?

Oui, c'est une très grande fierté, en particulier parce que nous créons de la valeur qui est principalement reconnue à l'export, ce sont donc des produits français qui font le tour du monde. Aujourd'hui, nous avons un grand pôle à Toulouse dont je suis très heureux de faire partie, mais nous travaillons avec des partenaires tout autour de la France, des équipementiers parisiens, une petite structure comme Mersen-Boostec en Bigorre, des pôles images d'universités… Le tout dans une industrie en forte croissance, ce dont je me réjouis ! De plus, la participation européenne nous tient aussi à cœur, parce qu'elle nous a apporté beaucoup. En particulier pour Pléiades Neo, qui devient le premier service commercial au monde à utiliser des liaisons satellites laser. Une technologie développée pour l'Europe (que l'on appelle la Space Data Highway ou EDRS) et qui repousse les limites pour le débit de transfert des images ! Ces liaisons entre satellites en sont déjà à leur deuxième génération, et c'est grâce à un partenariat européen que l'on peut être leader sur ce segment aujourd'hui.

Toute l'équipe de Clubic remercie M. François Lombard pour avoir pris le temps de répondre à nos questions.