Mettre en place une start-up franco-allemande dans le climat post-covid n'était pas suffisant, TEC est devenue en quelques mois seulement l'un des futurs acteurs incontournables du spatial européen. Grâce à une direction claire et des projets lisibles. Et si c'était le bon moment pour un futur géant ?
« Si on réussit, on va transformer l'Europe du spatial », expliquait Hélène Huby en 2023. Force est de constater que plus le temps passe, plus ce souhait est en train de se concrétiser. Mais pour comprendre les débuts de cette success-story, il faut remonter plus de 20 ans en arrière, en octobre 1998. L'ESA teste alors l'ARD, pour Atmospheric Reentry Demonstrator, une capsule de 2,8 mètres de diamètre qui remplit tous ses objectifs. Néanmoins, la période n'est pas à l'aventure industrielle solo. L'agence européenne valide le concept, mais choisit un autre design pour ses capsules de ravitaillement de la Station spatiale internationale, les grands véhicules ATV.
C'est là une autre réussite importante, qui se termine en 2014 et amène la NASA à choisir les Européens pour le module de service de sa capsule Orion. Mais elle souffre d'un certain handicap de souveraineté, car le projet est américain, et les Européens, eux, n'ont plus à ce moment-là de projet de capsule cargo, encore moins réutilisable.
Arrive alors The Exploration Company
Les projets stagnent à l'échelle institutionnelle, avec les retards importants du seul véhicule qui pourrait répondre à ce besoin, la petite navette autonome Space Rider (elle n'est désormais plus prévue avant 2025, et ses capacités sont limitées). Alors, en juillet 2021, la Française Hélène Huby se jette à l'eau avec une poignée d'autres ingénieurs d'Airbus Defence & Space et crée sa propre start-up de transport spatial, The Exploration Company.
De directrice de l'innovation à du management opérationnel sur la capsule Orion, Hélène Huby connaît son secteur sur le bout des doigts ce qui est capital lorsqu'il faut à la fois avancer vite, fixer des objectifs techniques et lever des fonds. TEC est née, et elle sera binationale, répartie entre Munich et Bordeaux. Un choix osé mais payant, alors que la France et l'Allemagne s'opposent sur de nombreux dossiers du NewSpace européen et veulent chacune soutenir les industriels sur leur sol.
Tout est dans le timing
En quelques mois, avant la fin de l'année 2021, The Exploration Company n'a encore levé que 5 millions d'euros, mais commence à faire parler d'elle comme un « futur SpaceX ». Peut-être est-ce aussi dû à son nom, qui finalement n'est pas si éloigné (SpaceX est la contraction de Space Exploration Company).
Mais en réalité, c'est surtout par rapport au projet central qui doit permettre à TEC d'émerger : une capsule cargo commerciale, réutilisable et évolutive. Le timing est le bon, cette fois, et pour plusieurs raisons. D'abord parce que les capsules privées ont le vent en poupe, avec Dragon et Crew Dragon de SpaceX, ou Cygnus. Mais l'offre n'est pas très large pour autant, surtout au moment où les États-Unis choisissent de se désengager pour laisser la place, à la fin de la décennie, à plusieurs stations orbitales privées.
D'autre part, l'agenda est cohérent avec de nouvelles ambitions françaises (France Relance, France 2030) et européennes. Car oui, l'ESA finit par changer d'avis et lance, en 2023, un appel d'offres pour une capsule réutilisable capable d'emporter du fret vers et depuis la Station spatiale internationale d'ici 2028. Du pain béni pour TEC, qui a déjà engagé les travaux.
Petit Nyx, moyen Nyx et grand Nyx
La capsule de The Exploration Company s'appelle Nyx, et l'entreprise, qui est très ambitieuse, prévoit qu'elle soit prête à voler d'ici 2026. Elle reste pour autant pragmatique : Hélène Huby et son équipe savent qu'il faut montrer ses capacités autour de « milestones », ces étapes clés qui vont attirer clients et investisseurs. Pas le choix, puisqu'ils chiffrent la conception et le chemin vers sa première capsule cargo opérationnelle à environ 200 à 300 millions d'euros. Cet objectif est donc découpé en chapitres, tout comme le développement de Nyx.
La jeune pousse signe très vite avec ArianeGroup pour envoyer son premier démonstrateur de capsule, Bikini, sur le lancement inaugural d'Ariane 6. Ce petit véhicule de rentrée d'une quarantaine de kilos, non propulsé, n'aura pour but que de traverser l'atmosphère pour défricher les futures technologies utilisées par TEC. En réalité, Ariane 6 est prête un peu trop tard pour Bikini. La petite capsule dort dans une malle depuis plus d'un an, et les équipes à Munich ont déjà assemblé le démonstrateur suivant.
Ce deuxième vol sera beaucoup plus représentatif des futures missions cargos de TEC. La capsule, nommée « Mission Possible » mesure plus de 2 mètres de diamètre et passera 30 minutes en impesanteur avec du fret à l'intérieur (le manifeste de vol est plein, et l'ESA comme le CNES font partie des clients) avant de se diriger d'elle-même et de traverser l'atmosphère, puis de déployer des parachutes avant de se poser en mer. Si l'entreprise réussit ce tour de force (prévu début 2025), il y a fort à parier qu'elle s'installera comme l'un des acteurs définitifs du fret orbital européen.
Du TEC pour tout le monde
Mais Nyx, en réalité, est presque déjà un pari réussi. Non seulement The Exploration Company a levé plus de 70 millions d'euros en 3 ans, mais en plus, elle a été sélectionnée par l'ESA (25 millions d'euros à la clé) aux côtés de Thales Alenia Space, la référence internationale du secteur. Et surtout, TEC a réussi à séduire les futurs grands noms de l'occupation spatiale en orbite basse, avec un palmarès déjà impressionnant.
Un accord cadre pour ravitailler la future station développée par Axiom Space (entreprise qui s'est fait connaître comme intermédiaire pour commercialiser des places en capsule Crew Dragon), un accord pour déjà trois lancements à destination de la future station Starlab développée conjointement par Airbus DS et Voyager Space, et une mission pour amener du fret sur l'une des futures stations Haven des Américains de Vast (fondée par un milliardaire).
Hélène Huby et ses équipes ont l'ambition de ne pas s'arrêter au transport de fret en orbite basse. Comme une part de leurs collègues, elles ont déjà travaillé sur un véhicule habité (Orion), et la capsule Nyx est conçue dès le planche à dessin pour incorporer, un jour, de quoi transporter des astronautes. Une alternative privée aux atermoiements institutionnels qui secouent le spatial européen depuis quelques années ? Peut-être.
En tout cas, l'objectif est de progresser par étapes, pour qu'in fine, ce développement soit moins cher, en ayant d'abord un modèle consacré au fret qui puisse générer de l'argent. Impossible, une fois de plus, de ne pas penser à l'évolution Dragon V1 vers Crew Dragon !
Du TEC sur la Lune ? Pourquoi pas
Et pour l'étape d'après, TEC a déjà le regard tourné plus loin, avec un Nyx lunaire, voire un système de transport « point à point » entre différentes zones de la surface. Encore une fois, le timing semble favorable : il y a peu d'entreprises privées dans le monde qui développent des capacités de fret, et encore moins qui auront les moyens de « pousser » jusqu'à la Lune. Le plan de TEC est très simple : il faudra compter sur les Européens.