Le moteur Helix de Rocket Factory Augsburg rugit sur son site de test. © RFA
Le moteur Helix de Rocket Factory Augsburg rugit sur son site de test. © RFA

Essais de pression, allumage des moteurs, préparation de vol, accords avec des spatioports… Le secteur des start-ups du NewSpace des lanceurs européens met les bouchées doubles sur fond de crise d'accès à l'espace. Et comme il n'y aura pas assez de place pour tout le monde, il faut faire vite pour avoir sa part !

Pourtant, il faudra aussi penser plus loin que les premiers décollages…

Espagne : PLD Space

C'est sans doute l'entreprise la plus proche d'un premier vol… Même s'il n'est pas destiné à l'orbite ! Les équipes espagnoles de PLD Space, basées à Elche (près d'Alicante) ont déjà tenté à deux reprises d'envoyer leur petit lanceur suborbital Miura-1 vers l'espace en 2023, mais n'ont pas encore réussi à quitter le sol. Miura-1 est même arrivée au terme de son compte à rebours le 17 juin, mais un minuscule délai pour décrocher les ombilicaux du site de lancement a mené à l'annulation de la tentative qui est reportée au mois de septembre.

En effet, les conditions sur le site de Huelva (risque d'incendie en particulier) ne permettent pas de lancer des fusées l'été. Le véritable enjeu n'est pas avec Miura-1 cependant, mais avec le lanceur orbital Miura-5 beaucoup plus puissant et récupérable/réutilisable. Et celui-ci, au fil des années, n'a pas cessé d'être repoussé. À tel point qu'il est à craindre pour PLD Space, pionnier depuis 2011 que ses concurrents européens le dépassent après une décennie de travaux.

Le moteur de Miura-1 était déjà allumé lorsque la dernière tentative a été stoppée.  © PLD Space
Le moteur de Miura-1 était déjà allumé lorsque la dernière tentative a été stoppée. © PLD Space

Espagne : Pangea Aerospace

Sans être à proprement parler une entreprise qui crée des lanceurs, Pangea Aerospace, basée à Barcelone (et à Toulouse !) développe des moteurs-fusées d'un nouveau genre, basés sur la technologie aerospike.

Et contrairement à d'autres qui fonctionnent à coups d'annonces et de jolis visuels, Pangea Aerospace a le mérite d'avoir investi rapidement le banc de test. Les moteurs fonctionnent au méthane et à l'oxygène liquide, les ergols les plus prisés actuellement pour de futurs lanceurs réutilisables. Reste à passer à une plus grande échelle que le premier démonstrateur de 20kN avec le prochain moteur Arcos, qui a déjà un client avec une start-up des lanceurs américaine, Tehiru Space.

France : Latitude

Établie à Reims, la PME Latitude espère montrer avec son lanceur Zéphyr qu'il n'y a pas que les bouchons qui s'envolent dans la région ! L'entreprise a pour objectif les charges utiles très légères et les contrats sur-mesure. Mais, pour cela, il faut déjà voler, tout en augmentant rapidement la taille de ses équipes (100 recrutements cette année) !

Deux campagnes d'essais ont déjà eu lieu avec les moteurs-fusées Navier imprimés en 3D sur le site de SaxaVord, dans les îles Shetland. Il faudra encore le tester sur une durée représentative d'un vol, puis essayer d'en allumer plusieurs dans un ensemble plus représentatif de Zéphyr, avant de passer aux essais qui précéderont effectivement la première campagne de décollage. Latitude vise l'orbite à partir de fin 2024 à partir de SaxaVord ou du Centre Spatial Guyanais, même si l'entreprise n'a pas confirmé cette année un partenariat pour l'utilisation de l'ex-site de lancement Diamant dans la jungle française.

Le moteur Navier lors de son premier allumage réussi dans les îles Shetland. © Latitude

France : HyPrSpace

Autre start-up du NewSpace qui utilise une technologie qui se veut novatrice, HyPrSpace (Hybrid Propulsion for Space) développe des moteurs et des lanceurs avec une propulsion hybride liquide-solide et, là aussi, une tuyère d'architecture aerospike. Un programme très ambitieux pour une entreprise qui n'a que 4 ans…

Basée à Bordeaux, HyPrSpace a baptisé ses futurs lanceurs « Baguette » ! La priorité est une fois de plus orientée vers les bancs d'essai plutôt que vers des années d'études, avec des démonstrateurs prévus de plus en plus puissants. Les premiers allumages ont eu lieu, même s'il ne faut pas s'attendre à voir une Baguette s'élancer vers le ciel de si tôt. La version Baguette One sera la première à s'envoler (pas de date pour l'instant, pas avant 2024- 2025) et n'ira pas vers l'orbite : avec un seul étage propulsif, elle emportera près de 300 kg de charges utiles au-delà de la frontière de l'espace. Sauf si elle croustille trop d'ici là.

France : un pays de start-up qui se font peu remarquer ?

Si vous entendez peu parler de Sirius Space Services, de Dark Aerospace ou même de la « spin-off » d'ArianeGroup, MaiaSpace, c'est normal. Ces entreprises sont pour l'instant dans des phases intermédiaires, sans grande annonce directe sur leur chemin vers l'orbite. Cela vaut pour presque toutes les grandes nations du spatial. Mais en France, certains entrepreneurs aiment bien travailler en secret ! Et naturellement, ce n'est pas pour autant que leurs équipes restent les bras croisés. Simplement, ils ne seront pas les premiers « privés » européens vers l'orbite. MaiaSpace par exemple, vise 2026 avec son petit lanceur réutilisable équipé du moteur Prometheus, et son étage dérivé du démonstrateur européen Themis.

Allemagne : Rocket Factory Augsburg

RFA est sans doute l'un des concurrents les plus sérieux pour devenir le premier acteur du « NewSpace » européen à atteindre l'orbite. Les essais de sa fusée RFA One sont en effet en avance sur la majorité de ses concurrents, en particulier ceux du deuxième étage : un exemplaire de test a été mis à feu à Kiruna en Suède pour une durée représentative d'un allumage en vol orbital ! Le moteur à combustion étagée Helix est clairement performant, et les équipes qui représentent plus d'une douzaine de nationalités et près de 200 employés ont aussi testé les coiffes, un étage supérieur et l'inter-étage de la fusée…

La date longtemps annoncée de fin 2023 pour le vol inaugural ne sera sans doute pas tenue, mais il est clair que les Allemands ont de bons arguments ! Reste l'épineuse question du site de lancement. Andøya en Norvège ? Le site ne sera probablement pas prêt à temps. SaxaVord dans les Shetland ? C'est la même histoire. Le Centre Spatial Guyanais ? Pas avant la fin d'année prochaine. Si RFA One est prête à rugir dans l'année qui vient, il faudra lui trouver un repaire…

Allemagne : Isar Aerospace

Premier acteur privé européen à réaliser une levée de fonds à 8 chiffres (140 millions d'euros cet hiver), Isar Aerospace est aussi un « client » sérieux dans le domaine du NewSpace européen. Leur lanceur Spectrum a bien progressé, même si l'entreprise communique peu sur le sujet en 2023… en attendant les derniers essais.

En effet, le moteur Aquila a subi de son côté 124 allumages en un an sur son banc de test à Kiruna en Suède. Ce qui est particulièrement encourageant pour cette nouvelle technologie de moteur au propane, mais il reste encore à montrer et tester un étage complet avec 9 moteurs assemblés pour donner confiance en un premier décollage prochain. Isar Aerospace a de nombreux contrats et le sérieux de l'entreprise ne fait aucun doute, mais là encore se pose la question du site de lancement. Kiruna ? Andøya ? Kourou ? Il faudra attendre que les choses se précisent… D'ici fin 2023 ?

Isar Aerospace n'est pas encore sur le site de lancement... mais en est-elle encore loin ? © Isar Aerospace

Allemagne : HyImpulse Technologies

En avril dernier, HyImpulse Technologies testait avec succès un moteur hybride liquide-solide sur le site de SaxaVord, dans les Shetland. Un premier succès pour cette discrète start-up allemande, qui est beaucoup moins citée que ses cousines RFA et Isar Aerospace.

L'entreprise a pourtant une trajectoire tout aussi sérieuse, même si elle vise d'abord à produire un démonstrateur. Tout de même, certains éléments n'inspirent pas une confiance illimitée. Au printemps 2022, Hyimpulse Technologies dévoilait en public le premier exemplaire réel de sa petite fusée suborbitale « SR75 », qui devait décoller à la fin de la même année au service de nombreux clients intéressés. Malheureusement depuis, pas de nouvelles…

Royaume-Uni : Orbex

Il y a d'importantes questions qui planent sur l'entreprise écossaise fondée il y a déjà 8 ans et qui promettait à l'origine d'atteindre l'orbite dans des agendas similaires à ceux de Rocket Lab… Car du côté technique, le lanceur « Prime » se fait attendre ! Capable d'emmener 150 kg en orbite basse, ce dernier devrait décoller du spatioport privé de Sutherland, mais la construction d'un site de lancement sur place vient à peine de débuter.

D'autre part, la direction d'Orbex a changé au printemps, et l'entreprise est désormais partagée entre ses bureaux au Royaume-Uni et un nouveau site au Danemark, ce qui offre des débouchés plus européens, mais pourrait aussi complexifier les opérations. Tout de même, Orbex dispose depuis 2022 d'une fusée entièrement testée, avec même un lanceur complètement assemblé sur le banc de test. Reste l'étape suivante…

Le 1er mai, c'était les premiers coups de pelle sur le futur site orbital de Sutherland... Le tir n'est pas pour demain ! © Orbex Space

Royaume-Uni : Skyrora

On l'oublierait presque, car l'entreprise est discrète, mais Skyrora a déjà tenté un décollage avec un lanceur suborbital ! La fusée Skylark L s'est élancée vers le ciel en décembre dernier, mais une anomalie a rapidement fait échouer la tentative, qui s'est soldée par un cuisant échec. Difficile pour une petite entreprise de se remettre rapidement de ce genre de pas en arrière ? C'est vrai, mais Skyrora a pris les problèmes à bras le corps, a déjà produit un deuxième exemplaire de Skylark L et testé une version améliorée de son moteur qui est imprimé en 3D et coûte 50 % moins cher que la génération précédente ! De quoi reprendre rapidement le chemin du site de lancement ? Probablement pour une nouvelle tentative à très haute altitude, ou même au-delà de la frontière de l'espace dès cette année. Dans le NewSpace, il faut faire vite !