Englué par les retards d'Ariane 6 et les reports ? Pas du tout, le Centre Spatial Guyanais est au contraire en pleine mutation. Trois start-up du NewSpace européen ont signé pour utiliser le nouveau complexe de lancement à partir de 2025, tandis que les équipes vont s'étoffer pour de nouvelles cadences.
Le tout au milieu de la jungle, dans un site préservé.
Une année calme pour les uns…
Vu de loin, le Centre Spatial Guyanais pourrait sembler dans une année morose, faute de décollages : un seul depuis le début de l'année, et peu de perspectives. Ariane 5 attend son dernier vol avant démantèlement des installations, le site Soyouz est à l'arrêt (les Européens ont même commencé à enlever leurs équipements), seule Vega devrait voler d'ici septembre avant un retour en vol de Vega C après enquête sur son dernier échec. Le secteur européen des lanceurs est en crise, le directeur de l'ESA ne s'en cache pas. Mais le CSG, de son côté, a en réalité beaucoup à faire pour préparer les années à venir et le site gigantesque (700 km²) a beaucoup de sujets à traiter.
… et chargée pour les autres
D'abord, il ne faudrait pas croire que, parce qu'il est administré par le CNES, le site guyanais n'est réservé qu'aux acteurs du spatial « traditionnel ». Depuis 2020, la plus ancienne zone de lancement, qui était dédiée à la fusée Diamant dans les années 70, est en transition : démolition, réhabilitation et travaux, pour en faire une large zone multi-utilisateur pour l'ESA et le CNES, qui viendront y tester (quand ils seront enfin prêts) les démonstrateurs réutilisables Callisto puis Thémis, mais aussi pour les entreprises du NewSpace.
Après une sélection sur dossier l'année dernière de 7 candidats, les autorités ont déjà annoncé trois signatures fermes pour l'installation de différentes start-up ! On retrouvera donc les Espagnols de PLD Space et leur lanceur Miura (un premier prototype a tenté il y a quelques jours de décoller depuis l'Espagne), ainsi que les Allemands d'ISAR Aerospace (lanceur Spectrum) et de Rocket Factory Augsbourg (RFA, avec la fusée RFA-One) pour des décollages vers l'orbite dès 2025. Ces derniers ont déjà des accords avec d'autres « spatioports » en Europe, leur signature avec le CSG montre que le site historique a encore bien des avantages !
La montée en cadence des « grands » lanceurs
Il n'y a d'ailleurs pas que les nouveaux à bien accueillir. Les lanceurs Ariane 6 et Vega C ne chantent pas régulièrement leur musique pour le moment, mais il faut savoir que cela ne durera pas éternellement ! Lors d'une conférence hier au Salon du Bourget, un responsable d'Arianespace a rappelé qu'il y a actuellement déjà 28 lancements dans le carnet de commandes d'Ariane 6, et que les partenaires espèrent en avoir mené autant d'ici 2027, avec une cadence qui va atteindre 9 à 10 tirs par an pour le nouveau grand lanceur.
Hier également, le responsable industriel (Avio) de la fusée Vega indiquait une montée en cadence espérée jusqu'à 6 tirs par an dans les années à venir. Le Centre Spatial Guyanais, qui n'a jamais dépassé une douzaine de décollages chaque année, est déjà en train de s'y préparer. Cela passe par les installations au sol pour l'assemblage, mais aussi les équipements électroniques des tirs, la simulation, les radars au sol, la préparation des zones d'exclusion aériennes, et des emplois, car il ne s'agira pas que d'appuyer sur un bouton.
Un poumon vert qui lance des fusées
Le CSG tient enfin à se démarquer en restant une zone naturelle protégée, ce qui peut sembler étrange pour l'œil du néophyte, parce qu'à priori le business des lancements de fusée ne semble pas particulièrement écologique. Mais sur les 700 km² du site, seuls 5 % subissent l'empreinte de cette industrie. Le reste est divisé en grandes zones d'exclusion et en réserve naturelle, au sein desquelles on retrouve toutefois régulièrement des commandos couleur jungle au milieu des animaux.
Plusieurs études ont montré que ces derniers sont relativement peu perturbés par les lancements, et les caméras sur le site ont déjà capturé des images de paresseux et même de jaguars dans la zone. Des travaux de recherche menés avec des abeilles étudient la pollution, les ressources en eau pour les nouveaux systèmes de déluge (comme celui pour Ariane 6) sont filtrées et réinjectées dans un petit lac artificiel, tandis que d'anciennes zones déjà défrichées abritent des installations solaires pilotes.
Le défi est là : il va falloir sauvegarder cet équilibre tout en préparant une montée en puissance telle que le centre n'en a jamais connu. Et réussir à attirer les jeunes pousses tout en assurant des campagnes rapides pour tous (car aux États-Unis et sur les spatioports privés, les affaires tournent vite).
Mais c'est aussi à ça que sert la planification… et les années très calmes !
Source : RFA Space