L'Ariane 6 dédiée aux tests combinés complète dans son portique. Crédits : ESA/M.Pedoussaut
L'Ariane 6 dédiée aux tests combinés complète dans son portique. Crédits : ESA/M.Pedoussaut

Est-ce enfin l’année qui verra Ariane 6 allumer ses moteurs et quitter dans un panache de flammes le sol de la Guyane ? Pour que le nouveau lanceur lourd européen puisse s’élancer, il lui reste d’importantes étapes à franchir… Et pour certaines, elles seront spectaculaires. Petit tour d’horizon.

Un calendrier étendu à 2024 serait peu surprenant.

Les yeux tournés vers… l’Allemagne

Alors que les regards sont braqués vers la Guyane, une part importante des deniers développements d’Ariane 6 ont lieu en Allemagne à Lampoldshausen, sur le site d’essai de l’agence DLR occupé par l’ULPM, le deuxième étage de la fusée. Ce dernier subit des campagnes de mise à feu sur place : la première a eu lieu en octobre dernier, avec pour la première fois le moteur Vinci allumé en condition de vol sur un étage.

Il doit y avoir cinq allumages moteur, et le deuxième est attendu en ce mois de janvier (il a été retardé en raison d’un épisode épidémique de COVID-19 parmi les équipes sur place). Pour pouvoir progresser avec assurance vers un premier vol orbital, il est indispensable pour Arianegroup de valider et de certifier le comportement de cet étage de fusée… Et ce, même si cela prend beaucoup plus de temps que prévu.

Ces tests sont aussi utiles pour certifier l’APU (Auxiliary Power Unit), le délicat ensemble qui permettra de rallumer Vinci en vol. Son développement est terminé depuis 2021, mais c’est son utilisation avec l’étage complet qui est scruté dans ces campagnes de mise à feu.

Premier allumage de l'ULPM en Allemagne, le 5 octobre dernier. Crédits : Arianegroup/DLR
Premier allumage de l'ULPM en Allemagne, le 5 octobre dernier. Crédits : Arianegroup/DLR

Les essais avec opérations bord-sol au Centre spatial

Rappelons qu’il y a bien une Ariane 6 en Guyane actuellement, c’est le modèle dédié aux essais combinés. Le lanceur est complet sur son site de lancement, et depuis l’entrée du corps principal dans son portique mobile de 4 000 tonnes en juillet dernier, les équipes se sont entraînées à intégrer Ariane 6 à la verticale avec ses boosters auxiliaires ainsi que le « composite supérieur », c’est-à-dire sa grande coiffe et les satellites à l’intérieur (une masse de test pour les essais combinés).

La prochaine phase sera plus dynamique, avec des essais cryotechniques bord-sol : les remplissages des réservoirs dans des conditions de compte à rebours simulés. C’est une étape cruciale avant même de passer aux mises à feu. En effet, l’infrastructure a déjà été testée avec les ergols « à froid », mais il s’agit de les transférer aux réservoirs (de vérifier aussi les informations qui transitent vers et depuis la salle de contrôle) et de purger ces derniers.

Le Centre spatial guyanais sera alors au cœur de l’attention pour les premiers tests de mise à feu avec une Ariane 6 sur son site de lancement. Seul le moteur Vulcain 2.1 sera allumé (les boosters P120C ont déjà été testés à feu), mais pour une durée complète, simulant une mission entière vers l’orbite et mettant à rude épreuve les infrastructures au sol. Là encore, cinq essais de mise à feu auront lieu, mais ils ne démarreront pas en janvier, car les opérations ont du retard. Il ne s’agit pas non plus de les réaliser en quelques jours… Chaque tentative sera suivie par une étude approfondie des données pour vérifier que le jour du véritable décollage, tout se passe comme prévu. Et s’il y a cinq essais, c’est parce que plusieurs d’entre eux seront menés en « conditions dégradées », simulant des ennuis ou des retards de dernière minute.

La première Ariane 6 de vol sera en version Ariane 62 (à gauche) Crédits : ESA

La fin officielle des essais combinés

Lorsque l'ensemble des allumages aura donné satisfaction en Allemagne comme en Guyane, la campagne des essais combinés sera terminée, et Ariane 6 obtiendra le feu vert pour son premier vol spatial. Un grand pas en avant pour le programme… Mais qui n’ira pas lui non plus sans une vérification des différentes parties prenantes, en particulier de l’ESA qui finance plus de la moitié du développement du lanceur. Ce processus administratif s’étendra en réalité jusqu’après le premier tir, celui-ci venant couronner avec une mise en orbite l’ensemble des travaux menés depuis 2014.

Sur place, la fin des essais combinés sera marquée par le démontage d’Ariane 6 dans son portique (départ des maquettes de booster et du corps central, qui sera ensuite désassemblé dans le bâtiment horizontal). C’est alors que le matériel dédié au premier vol devra être sur place, pour passer à la première campagne et au tir inaugural ! Ce premier exemplaire est encore en Europe, dans les différents centres de production : les équipes se tiennent prêtes à d’éventuelles modifications si les derniers tests révèlent des erreurs.

Il s’agira ensuite de transférer les éléments jusqu’en Guyane, mais cela au moins ne représente pas un problème majeur puisque le tout nouveau navire Canopée est prêt à naviguer… En tout cas en version « moteur uniquement », ses grands mâts à voiles, uniques au monde et censés économiser jusqu’à 30 % de carburant, n’étant pas encore installés.

L'étage dédié aux essais combinés (que l'on voit ici) croisera le premier étage dédié au vol inaugural. Crédits : ESA

Plus loin de l’ELA-4…

Enfin, il est des défis non techniques qu’Ariane 6 devra franchir cette année. Celui du calendrier, pour lequel les autorités comme les clients mettent la pression, alors même qu’il dépend d’éléments à tester (et que les tests sont bel et bien là pour corriger les possibles erreurs avant la première campagne de vol)… Mais également tous ceux qui vont avec. Le défi budgétaire notamment, car le développement rallongé demande une enveloppe plus importante de la part des pays membres. Il semble toutefois que la France, l’Italie et l’Allemagne, qui ont signé un accord sur le sujet lors de la dernière ministérielle de l’ESA, ont pris le problème à bras le corps.

Dans un cadre complexe avec l’inflation (qui touche aussi le secteur spatial), il faudra aussi que la route vers le premier vol soit celle d’une gestion sociale du problème Ariane 6. En effet, Ariane 5 aura terminé sa carrière que son successeur ne sera pas encore en service. Que feront alors les équipes ? Que se passera-t-il côté industriel tant que les tests ne sont pas terminés ? En 2021, Arianegroup avait déjà « adapté » sa force de travail avec 600 départs à la retraite… Il faudra espérer une transition douce. En sachant qu’en 2024, c’est le schéma inverse qui risque de se produire : une fois Ariane 6 en service, il faudra mettre pied au plancher pour la production et les campagnes de tir au service de clients institutionnels et commerciaux. Une équation difficile.