Le grand lanceur européen, qui doit remplacer Ariane 5 et abaisser les coûts de 40 % sera retardé d’au moins six mois. En cause, des délais techniques et un impact durable de la pandémie de COVID-19.
La période de transition entraîne notamment des changements de contrats.
Du retard et une meute en embuscade
C’était une annonce aussi délicate qu’attendue : en coulisses il se murmurait depuis des mois qu’Ariane 6 ne pourrait pas décoller d’ici la fin de l’année depuis Centre Spatial Guyanais. L’ESA et ArianeGroup ont attendu ce 9 juillet, à la réunion de l’AJPAE (Association des journalistes professionnels de l'aéronautique et de l'espace) pour expliquer que le lancement du nouveau fleuron européen serait repoussé au moins à l’été 2021. Un coup dur prévisible mais embarrassant…
D’une part car Ariane 6 est attendue pour ses performances et la réduction des coûts qu'elle suppose, et de l’autre car la concurrence progresse elle aussi. Les lanceurs japonais H-3 et américains Vulcan entreront probablement en service avant Ariane 6, avec des performances techniques équivalentes, tandis que Blue Origin prépare son lanceur New Glenn. De son côté, Falcon 9 de SpaceX continue de perturber le marché mondial avec des coûts très bas.
Les longs échos du COVID-19…
Pour André-Hubert Roussel (ArianeGroup) et Daniel Neuenschwander (ESA), ce retard au second semestre 2021 (certains évoquent même déjà la fin 2021) est directement lié à la crise et à la situation sanitaire du COVID-19. Le confinement et l’évacuation du Centre Spatial Guyanais, les mesures exceptionnelles mises en place depuis et des conséquences qui se répercutent sur toute la chaîne de sous-traitance ont un impact direct sur le calendrier.
Même s’ils concèdent aussi quelques soubresauts techniques, comme des difficultés avec les bras rétractables qui acheminent le carburant cryogénique au lanceur, les responsables du programme ont rappelé que les opérations n’ont pas pu reprendre aujourd'hui le rythme qu’elles soutenaient jusqu’au mois de mars. Comble de malchance, la Guyane est l’un des départements les plus touchés par l’épidémie ces dernières semaines. Lorsque la vie des travailleurs sur place et de leur proches est sur la balance, le respect du calendrier du chantier d’Ariane 6 doit rester (heureusement) secondaire.
Difficiles dernières étapes
La fin du développement d’Ariane 6 et de Vega C, les deux nouveaux lanceurs approuvés fin 2014 par l’ESA reste un sujet délicat. Tous deux utilisent le booster P120, qui doit être testé au banc une dernière fois au Centre Spatial Guyanais cet été (actuellement prévu en août).
Vega C subit par ailleurs les retards de la première version du petit lanceur, clouée au sol après un échec l’année dernière, et une météo exécrable en haute altitude en ce début d’été.
Mais pour Ariane 6 aussi il reste de grandes étapes à valider, notamment l’arrivée et l’intégration sur le site d’un exemplaire structurel du lanceur qui servira de test final pour les installations. Puis ce sera la fusée pour le vol inaugural… Dont on ne sait toujours pas aujourd’hui s’il sera au service ou non de la constellation OneWeb. Autant d’incertitudes pèsent lourd pour établir pour une date de lancement précise.
Les clients au centre du débat
Dans ce contexte complexe, on assiste à un véritable ballet de contrats et d’options autour des décollages pour la période 2021-2023. Le prochain lot de satellites de positionnement Galileo par exemple, qui était le tout premier contrat assigné à Ariane 6, a été transféré sur Soyouz pour pouvoir respecter les délais du déploiement.
À l’inverse, deux satellites dont le décollage était prévu sur Ariane 5 et dont le développement prend du retard pour l’opérateur européen de météorologie Eumetsat, voleront sur Ariane 6, suite à une annonce ce 2 juillet.
L’introduction d’un nouveau lanceur, d’autant plus important qu’il remplace une référence comme Ariane 5, est toujours à la merci de retards et de défis dans son développement. La baisse des coûts d’Ariane 6 est liée à des innovations technologiques (soudure à froid, fabrication additive, logiciel embarqué…) et à une chaîne de production et de lancement entièrement repensée.
Ces outils seront le socle sur lequel les futures générations de lanceurs européens, d’ores et déjà en conception, devront pouvoir se reposer. Mais un programme aussi important laissera peu de marge à l’échec…
Source : NASA Space Flight