© cyano66 / iStock
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Suite à l'arrestation massive de membres d'une organisation criminelle italienne, les forces de l'ordre ont découvert un vaste réseau de distribution de cryptophones très prisés, mais encore mal connus.

C'est une enquête de Motherboard, IrpiMedia et LaViaLibera qui révèle cette affaire digne du cinéma hollywoodien.

Mafiosi 2.0

La mafia italienne est l'une des organisations criminelles les plus tristement célèbres au monde. Cependant, elle reflète une image ancienne, qui remonte à l'époque de la prohibition américaine, mais également à celle dépeinte dans des œuvres culturelles populaires telles que la saga cinématographique Le Parrain ou les jeux vidéo Mafia. Imaginer des mafieux en 2023 peut donc relever de l'uchronie si l'on ne s'intéresse pas à l'actualité liée à ce sujet.

Pourtant, la mafia est toujours en activité aujourd'hui, comme la 'Ndrangheta, dont le chef considère que la ville de Milan lui appartient « de droit ». Peut-être, mais cela n'a pas empêché les autorités européennes d'arrêter 132 de ses membres la semaine dernière. L'organisation est accusée de nombreux crimes à travers le monde, notamment de trafic de drogue en provenance d'Amérique du Sud et de contrebande d'armes en provenance du Pakistan, pour n'en citer que quelques-uns.

Si les détails de l'enquête révélés par Motherboard sont très croustillants, le mode opératoire des criminels ne semble pas particulièrement révolutionnaire, du moins pour quiconque a passé un peu trop de temps à regarder Netflix. À un détail près : leurs méthodes de communication. C'est un point essentiel et fragile pour toute organisation, criminelle ou non, et la 'Ndrangheta n'échappe pas à la règle.

En effet, celle-ci doit recourir à des appareils et des applications cryptés, afin de contourner la surveillance et la curiosité des autorités. Mais, ces dernières ont fait preuve d'ingéniosité en infiltrant des systèmes de messagerie réputés pour leur attrait auprès des acteurs illégaux, ce qui leur a permis de capter des messages qui n'étaient manifestement pas destinés à être divulgués. Prise en flagrant délit, la mafia révèle alors un vaste réseau dont l'objectif est de distribuer des smartphones chiffrés à des organisations criminelles du monde entier.

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Une entreprise vraiment légale ?

À la faveur d'une période où les applications de messagerie chiffrée populaires auprès des criminels étaient infiltrées les unes après les autres, des services moins connus ont su sortir de l'anonymat, parfois même à leur insu. C'est le cas de l’allemand No. 1 Business Communication, qui s'est lancé en 2010 en mettant sur le marché un logiciel préinstallé sur une carte SD permettant de passer des appels à l'abri des écoutes.

Aujourd'hui, l'entreprise propose des applications de messagerie chiffrée disponibles sur iPhone. Si elle se félicite d'avoir une activité entièrement légale, ayant pour clients des institutions militaires et gouvernementales, des sociétés financières et des célébrités, ce n'est pas tout à fait le cas de tous ses revendeurs. En effet, elle s'appuie sur un réseau de distributeurs indépendants pour vendre ses produits, et certains d'entre eux se sont rapidement transformés en criminels.

Finalement, l'image de No. 1 Business Communication n'est pas très nette. Entre ses revendeurs condamnés pour trafic de drogue ou blanchiment d'argent, son investisseur américain plutôt silencieux et un technicien d'origine ukrainienne proche des milieux criminels, tous les ingrédients sont réunis pour donner des maux de tête aux autorités. Et de l'inspiration aux scénaristes de futures séries à succès.

Selon des sources internes, la société installe à la chaine son application de messagerie sur des iPhone en utilisant une solution proposée par BlackBerry. Ce sont ces appareils que les revendeurs proposent, pour la modique somme de 10 000 euros la demi-douzaine d'après certains, ou 1 450 euros l'unité pour six mois de service selon d'autres. Outre les services de chiffrement, ces appareils sont également dotés d'autres fonctionnalités maison, comme un système d'effacement des données à distance. On n'est jamais trop prudent, n'est-ce pas ?

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Police 2.0

C'est en 2021 que l'utilisation de messageries privées par des organisations criminelles a commencé à faire beaucoup parler, notamment lorsque des autorités occidentales ont révélé qu'elles avaient piraté Sky, le plus grand fournisseur de services téléphoniques chiffrés de l'époque. Des milliards de messages ont ainsi été collectés, ce qui a permis l'arrestation de nombreux criminels, dont celle, récente, de membres de la 'Ndrangheta.

En 2020, c'est la Gendarmerie nationale française qui s'était distinguée en infiltrant EncroChat, une messagerie chiffrée. Le FBI, quant à lui, a choisi la technique du leurre en développant des systèmes équivalents et directement destinés aux criminels, baptisés ANOM et Phantom Secure.

Pour l'instant, No. 1 Business Communication ne semble pas être affectée par les dernières découvertes des autorités. Toutefois, ses administrateurs ont récemment mis à jour ses certificats de signature, afin de confirmer que les prochaines mises à jour proviendront de l'entreprise et non d'un tiers. La démarche n'est pas anodine, car c'est par ce biais qu'EncroChat avait été piraté par les autorités françaises.

Cependant, il n'est pas dit que la réputation de l'entreprise n'ait pas accusé le coup. D'autant que, le crime ne s'arrêtant jamais, les personnes concernées se tournent déjà sûrement vers d'autres fournisseurs. Ou peut-être vers d'autres systèmes de messagerie plus populaires, qui sait ?

Source : Vice