Frédéric Sitterlé, MySkreen : vers un iTunes français de la VOD ?

Alexandre Laurent
Publié le 07 mars 2011 à 12h01
Fondateur de Sport24.com, ancien directeur des nouveaux médias du groupe Figaro, Frédéric Sitterlé est le créateur et le président de Myskreen, un agrégateur de l'offre légale de contenus vidéo du Web français. Pour Clubic, il revient sur les objectifs poursuivis par cette jeune société, parfois qualifiée de Hulu à la française ou d'alternative à l'incontournable iTunes d'Apple.

Frédéric Sitterlé, bonjour. En ces temps de réflexion autour de la valorisation de l'offre vidéo légale en ligne, comment se positionne Myskreen ?

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Il faut bien voir que la volonté première de l'internaute n'est pas de télécharger illégalement mais de voir le contenu dont il a envie. Il va donc regarder ses vidéos là où le contenu est disponible. Or aujourd'hui, une recherche liée à une série américaine sur Google va bien souvent renvoyer vers une offre illégale et pas vers une plateforme légale. Enfin, si le contenu en question est disponible sur l'une de ces plateformes, il faut bien voir que l'achat ou la location restent complexes.

Dans la vidéo à la demande en France, on a aujourd'hui environ 40 000 titres répartis sur une cinquantaine de plateformes. Pour accéder à cette offre extrêmement éclatée, l'internaute va devoir s'inscrire sur celle qui propose ce qu'il souhaite, télécharger un lecteur dédié, souffrir des problèmes de compatibilité avec son Mac etc. Lutter contre le piratage, ça n'est pas qu'une question de prix, c'est aussi faciliter l'accès. L'internaute est globalement prêt à payer à partir du moment où les choses se déroulent simplement.

Partant de ce constat, Myskreen a pris le parti de référencer toutes les offres légales et de les placer dans une base de données unique, que l'internaute peut interroger pour trouver son contenu et y accéder facilement. Aujourd'hui, on référence plus de 1,3 million de contenus, tous disponibles en ligne, qui vont du cinéma au documentaire en passant par la télévision de rattrapage. A travers un moteur, nous vous permettons de chercher un film, un acteur ou un réalisateur, et pour un contenu sélectionné, nous vous indiquant l'ensemble des plateformes légales sur lesquelles vous allez pouvoir le visionner. La grande innovation, c'est que l'on propose à l'internaute d'utiliser comme compte unique son compte Myskreen, au sein duquel il aura renseigné son numéro de carte bancaire, comme il peut le faire aujourd'hui sur iTunes.

Vous réfutez régulièrement la comparaison entre Myskreen et une sorte de Hulu à la française, pourquoi ?

Un Hulu à la française ? Hulu serait peut-être un Myskreen à l'américaine, et encore ! Non ce serait un peu réducteur. Aux Etats-Unis, Hulu a été construit par les détenteurs de droit pour contrer YouTube. Le problème, pour eux, est que si leurs contenus sont diffusés sur YouTube, ils se retrouvent aux côtés des vidéos produites par les internautes et deviennent difficiles à monétiser. Hulu réalise une audience quatre fois moindre que celle de Dailymotion, mais génère un chiffre d'affaires bien plus important.

En France, on n'a pas vraiment besoin d'un Hulu puisque les chaines de télévision ont déjà réalisé de belles initiatives. Par contre, ce qu'il faut c'est agréger ces audiences et offrir à l'internaute un point d'entrée unique. Aujourd'hui, ce sont les programmes qui constituent des marques fortes, de moins en moins les chaînes de télévision ou les producteurs. L'internaute qui veut regarder un épisode de Dexter ne sait pas forcément quelle chaîne le diffuse en ce moment.

Un point d'entrée unique qui recense toute l'offre, c'est le modèle développé par Apple dans la musique ?

Au début de la musique en ligne, chaque major avait voulu lancer son propre site. Il manquait effectivement un méta-moteur qui agrège tout ça, en se limitant à l'offre légale bien sûr, puisqu'un Google ne filtrera jamais les contenus pirates. Apple a réussi à mettre au point un modèle vertical, simple et intégré : les résultats sont là, les gens achètent.

Un élément doit être pris en compte ici : si le point d'entrée et la maitrise des points de trafic sont confiés à un acteur tiers basé à l'étranger, c'est lui qui maitrisera le prix, la relation client etc., ce qui risque de créer une relation de dépendance pour les acteurs historiques, qui en plus risquent de bénéficier de conditions fiscales non équitables en termes de concurrence, voir iTunes dont le siège européen est situé au Luxembourg.

Myskreen aurait donc vocation à devenir l'iTunes français de la vidéo à la demande ?

Notre objectif est de permettre aux acteurs nationaux de se déployer largement sur Internet et de valoriser le contenu. Les studios, les chaines de télévision, peuvent constituer des acteurs d'une taille importante, mais ils ne jouent que sur leur propre périmètre, alors qu'un Apple ou un Google voit beaucoup plus large. Le problème n'est pas que ces acteurs existent : c'est qu'ils existent seuls. Les acteurs de la création française doivent donc se fédérer autour d'une offre commune. Ils peuvent se mettre d'accord entre eux, ou faire appel à un tiers neutre. Nous pensons que Myskreen peut être ce tiers.

Ce qui implique un modèle économique de distributeur ?

En tant que distributeur, nous prélevons en effet une commission standard de 30% sur les transactions payantes. Par contre, contrairement à un iTunes qui prend une commission similaire, nous ne cherchons pas à capter la valeur. Apple détient le catalogue et la boutique, ce qui lui permet de fixer les prix et de capter l'intégralité de la relation client. A l'inverse, Myskreen invite les chaînes et plateformes de VOD à lui confier leurs contenus, mais conserve un modèle ouvert : c'est celui qui fournit le contenu qui en fixe le prix, nous lui restituons l'audience générée et le client.

Nous offrons toutefois la possibilité aux plateformes de nous confier l'hébergement de leurs vidéos, ce qui nous permet de garantir la continuité entre les écrans. Dans ce cas, il leur suffit de nous confier un fichier pivot, que l'on encodera en six ou huit formats différents, et que l'on diffusera en adaptative streaming, avec un débit qui sera fonction de la taille de l'écran et de la connexion utilisée.

A partir du moment où l'on a rapatriés ces contenus, on peut s'appuyer sur un réseau de sites partenaires pour les faire connaitre. Aujourd'hui par exemple, si Telerama fait un article sur Yves Saint-Laurent, on est en mesure de proposer à la fin un documentaire payant. Ce réseau, constitué pour l'essentiel de sites de presse, représente 16 millions de visiteurs uniques.

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Héberger directement les contenus que vous distribuez, n'est-ce pas le signe d'une tentation de remonter la chaîne de valeur ? Après tout, vous êtes encore actionnaire de la plateforme Vodeo ?

Myskreen est un agrégateur. Nous invitons donc les différents acteurs du secteur à nous confier la distribution de leurs contenus. Nous l'avons d'abord fait avec Vodeo et Immineo pour montrer le modèle, mais nous n'avons pas vocation à privilégier leurs offres. il n'y a d'ailleurs pas de lien capitalistique entre Myskreen et Vodeo, juste des actionnaires en commun. Et nous sommes ouverts à ce que d'autres nous apportent leurs contenus ou entrent à notre capital.

Il faut bien voir d'ailleurs que les pouvoirs publics soutiennent notre démarche. Ils ont par exemple récemment demandé à la presse de se fédérer pour créer une plateforme commune et ça a abouti à la création du GIE Presse. C'est également le cas dans le livre, où Frédéric Mitterrand a demandé de nombreuses fois déjà aux acteurs de se réunir pour faire face à Google Books et consorts. C'est pareil dans l'audiovisuel.

Vous avez pour l'instant fait le choix de vous concentrer sur un service accessible par le bais du navigateur pour adresser les nouveaux écrans que sont le mobile ou la TV. Au vu des réactions suscitées par Google TV en France, pourquoi ne pas plutôt tenter de vous inscrire dans les environnements intégrés développés par les fabricants ou les FAI ?

Sur mobile, on a eu le Wap, puis les portails de type Gallery ou iMode, puis l'Phone avec Safari. Soit le minitel, puis les services packagés par les opérateurs, avec un modèle économique qui était génial pour eux, et enfin Apple qui depuis 2007 a démocratisé cette idée que l'on peut vraiment surfer sur le Web depuis son mobile. En TV, on a les mêmes étapes : au Wap correspond le télétexte, qu'on essaie de réinventer avec le HbbTV. L'équivalent d'iMode, c'est la panoplie de services propriétaires proposés par les FAI, qui reste un monde toujours très fermé. Le problème est que le Web est par essence ouvert. Les chaînes de télévision y sont hostiles, mais la question n'est pas de savoir s'il faut l'interdire : il faut comprendre en quoi les usages changent et voir comment s'y adapter pour en faire de nouvelles opportunités. Si Orange a racheté une partie de Dailymotion, c'est bien pour anticiper la migration de valeur : l'opérateur sait que ce qu'il perdra sur la box, il le récupérera sur le Web.

Quel sera votre plan de développement pour 2011 ? On évoque une levée de fonds qui serait réalisée en partenariat avec l'INA ?

Nous prévoyons effectivement de réaliser un nouveau tour de table cette année. L'objectif est de lever environ 11 millions d'euros auprès des actionnaires historiques, de nouveaux entrants et du grand emprunt. Dans ce cadre, nous déposerons donc un dossier qui sera parrainé par l'INA. Son président a bien compris l'intérêt de cette plateforme unique. L'INA va donc accompagner notre dossier. Ensuite, nous mettrons en place des synergies opérationnelles avec eux.
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