Le succès de SnapChat expliqué aux plus de 18 ans

Alain Clapaud
Publié le 04 février 2015 à 13h15
Pourquoi des millions de jeunes racontent leur journée sous forme de mini clips ? Quel intérêt d'envoyer des images d'une durée de vie de quelques secondes ? Décryptage de l'application star des ados.

C'est la coqueluche des cours de récréation et des soirées étudiantes. Snapchat est le phénomène social du moment. Créée par deux étudiants de Stanford en 2011, cette application de partage de photos et de vidéos avec ses amis, compte 100 millions d'utilisateurs actifs chaque mois, dont 70% de femmes. Chaque jour, ce sont 400 millions de « snaps » qui sont ainsi envoyés sur mobile.

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L'application de la génération « selfie »

Ce succès fulgurant, l'application le doit clairement aux jeunes. 71% de ses utilisateurs ont moins de 25 ans. C'est l'application de la génération « selfie » : rien de plus efficace pour prendre une photo et la partager à un groupe d'amis. Mieux, l'application répond à un énorme défaut des réseaux sociaux, Facebook en tête, à savoir la conservation des messages.

Avec Snapchat, pas de danger de voir ses parents, ou de futurs employeurs, tomber un jour sur des photos de beuverie, ou une « ex » diffuser des sextos après une dispute... A chaque partage, l'utilisateur définit la durée de visionnage de la photo ou de la vidéo sur l'écran de ses interlocuteurs. Une fois ce temps écoulé, celle-ci s'efface définitivement.

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Contrairement à d'autres messageries, Snapchat garantit que le destinataire sera parfaitement concentré sur le visionnage. En effet, il faut garder son doigt appuyé sur la photo ou la vidéo pour la voir. Si on la relâche, elle se masque. Et comme il n'y a qu'un maximum de dix secondes pour afficher le message, cela oblige à se mettre dans les meilleures dispositions d'esprit lors du visionnage. Une première dans un outil de communication.

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C'est ce mode de fonctionnement unique qui explique le succès de Snapchat. Pour Laurent Laforge, expert des réseaux sociaux, fondateur de Happy Together, « les réseaux sociaux qui rencontrent le succès répondent généralement à un "besoin orphelin", un besoin auquel personne n'avait répondu auparavant, via une fonctionnalité innovante. Pour Twitter, c'était la capacité à partager publiquement un texte court, pour Instagram embellir les photos de smartphones. Pour Snapchat, c'est l'envoi de messages (essentiellement des photos), sans courir le risque d'en perdre le contrôle. »


Le snap succède au SMS, en perte de vitesse

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Emilie Ogez, formatrice et conférencière en médias sociaux n'a pu que constater la montée en puissance de l'application chez ses étudiants : « Il y a à peine un an, ils connaissaient Snapchat mais "sans plus". Cette année, beaucoup d'entre eux ont levé la main lorsque je leur ai demandé s'ils avaient un compte. Et l'un de leur principal réflexe était d'ajouter leur identifiant Snapchat dans leur profil Twitter. » Car, outre les qualités de l'application elle-même, le succès de Snapchat est avant tout un phénomène viral.

L'application est arrivée sur les App Store alors que les jeunes générations ont commencé à être massivement équipées de smartphones. Jusqu'alors accros aux SMS, elles se sont tournées vers un média plus riche : la photo annotée. Avec Snapchat, la photo peut être annotée en plaçant du texte ou encore en dessinant du bout du doigt. Tout aussi efficace que le SMS, mais avec l'image en plus. Les concepteurs de Snapchat ne s'y sont pas trompés : pour séduire les accros du SMS, les fonctions de l'application restent totalement simplistes. On choisit la couleur, on écrit ou on dessine et c'est tout ! Peu à peu, Snapchat introduit des fonctions additionnelles telles que la géolocalisation ou l'échange d'argent entre mobiles, les snapcash, mais l'intérêt de Snapchat n'est pas dans ces gadgets.

Ce passage à l'image après le SMS correspond à une tendance de fond, comme le souligne Frédéric Cavazza sur son blog Mediassociaux.fr. Les contenus visuels deviennent de plus en plus prédominants sur les réseaux sociaux, au détriment des contenus textuels. L'essor de Snapchat et d'Instagram correspondent très exactement à ce changement des usages. Les internautes discutent de moins en moins sur les réseaux sociaux, mais y partagent de plus en plus de photos et de vidéos. Ce n'est pas un hasard si Twitter et Facebook misent davantage sur les partages vidéo.

Snapchat a ringardisé Facebook, il défie Twitter

A cela s'ajoute un autre phénomène. Pour les jeunes, Facebook est devenu infréquentable depuis que leurs parents, leurs profs s'y sont inscrits à leur tour. A l'opposé, Snapchat reste une plateforme 100% mobile où les parents sont absents et où ils n'ont pas accès aux contenus publiés par leur progéniture. C'est ce désintérêt des jeunes pour Facebook qui a poussé Mark Zuckerberg à proposer 3 milliards de dollars à Evan Spiegel, le créateur de Snapchat, pour lui racheter son service, alors que celui-ci n'avait formellement pas généré le moindre cent de chiffre d'affaires. Evan Spiegel aurait aussi repoussé des offres comparables de Google et du chinois Tencent.

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Evan Spiegel, fondateur de Snapchat


En parallèle, la petite application s'affirme et monte en puissance. Sa fonction Stories permet aux utilisateurs de s'abonner aux publications d'autres membres, les photos et vidéos documentant sa journée restent ainsi visibles à tous pendant 24 heures. Une fonctionnalité très comparable aux pages Facebook et qui a déjà séduit plusieurs grandes marques telles que la Coca-Cola, McDonald's ou Audi. Le compte de la NBA compte ainsi 4,6 millions de « followers ». Celui du très sérieux industriel General Electric atteint près de 175.000 abonnés. Pour ces marques, Snapchat devient peu à peu un média pour diffuser des photos et des petites vidéos à leurs fans.

Snapchat défie également Twitter sur l'information, et la télévision sur le divertissement. Pendant tout le second semestre 2014, la startup a négocié des partenariats avec des fournisseurs de contenus pour sa nouvelle rubrique « Snapchat Discover ». CNN, le Daily Mail, MTV, Yahoo News, le National Geographic ou encore Cosmopolitain font partie des premières chaînes proposées. L'ambition ? Devenir un canal d'information privilégié pour la jeune génération qui regarde moins la télévision et les journaux. A terme, des mini-séries pourront voir le jour dans les chaînes Discover.

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L'effet de mode porte encore la croissance de Snapchat

Avec le succès de Snapchat viennent aussi les premières controverses. La protection de la vie privée par exemple. « Les jeunes se sentent à l'abri parce que les images ne s'affichent que quelques secondes, explique Emilie Ogez, Mais quel que soit l'outil et les effets d'annonce, il faut rester vigilant. Rien ne disparaît vraiment avec Internet. » Cette confiance a déjà été mise à mal lorsque la toute puissante FTC (Federal Trade Commission) s'est alarmée des pratiques de Snapchat en termes de conservation des données personnelles de ses utilisateurs.

Pour l'instant, l'effet réseau fonctionne à plein pour Snapchat. « Snapchat est aujourd'hui devenu un phénomène social, une vraie mode, affirme Laurent Laforge. Quand tous vos amis s'amusent en s'envoyant des messages par Snapchat, si vous ne faites pas partie du réseau, vous passez à côté d'un moyen de communication clé de votre communauté. A mon sens, le succès de Snapchat doit donc aussi beaucoup à la volonté des ados de s'intégrer dans des groupes. »

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Toujours indépendant, Snapchat, dont la valorisation atteint les 100 milliards de dollars, doit maintenant mettre en place un modèle économique pérenne. La publicité va apparaître sur l'application. Provoquera-t-elle l'exode de ses membres ? On se souvient comment les jeunes, après avoir porté le succès de MSN, l'ont quitté tout aussi brusquement, accablés par la publicité et les popups envahissants. De multiples clones de Snapchat leur tendent d'ailleurs les bras. Clipchat, Selfie, Snapit, même Slingshot de Facebook.

Le début de la fin pour Snapchat ? Pas si sûr pour Laurent Laforge : « Tant que le fait de recevoir des snaps sera perçu comme cool par les ados, le succès continuera. Le fait que beaucoup d'influenceurs du web, comme les YouTubeurs, soient déjà présents sur Snapchat ou s'y mettent, est un signe positif pour un succès durable. »

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Alain Clapaud
Par Alain Clapaud

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