Les industriels l'attendaient avec impatience. Apple a finalement intégré dans le dernier iPhone 6 une puce NFC (Near Field Communications ou communication en champ proche). Dans la foulée, la marque à la pomme a lancé Apple Pay, un porte-monnaie électronique fonctionnant grâce à cette technologie. Pour payer avec Apple Pay, rien de plus simple : le client approche son iPhone 6 à quelques centimètres du terminal de paiement et valide la transaction en scannant son empreinte digitale sur le bouton principal du smartphone. Simple, rapide, sécurisé. En théorie, c'est séduisant. En pratique, les consommateurs seront-ils charmés ? La réponse n'est pas évidente.
En Europe de l'Ouest et plus particulièrement en France, le paiement NFC n'a rien de nouveau. Dès 2010, les expérimentations de l'application Cityzi, hébergeant notamment le service de paiement mobile sans contact, se sont multipliées dans les grandes villes. Nice a été pionnière, rejointe par Caen, Bordeaux, Lille, Marseille, Paris, Rennes, Strasbourg et Toulouse. Quatre ans plus tard, 50 smartphones NFC sont disponibles et 6,6 millions de Français sont équipés. Mais force est de constater que le paiement NFC par smartphone n'a pas percé en France.
Même désintérêt pour les cartes bancaires NFC. Là aussi, l'infrastructure est en place. Aujourd'hui, quasiment toutes les nouvelles cartes intègrent la technologie NFC. En juillet 2014, selon l'Observatoire du NFC, 43% du parc français de cartes bancaires est sans contact. 17% des commerçants sont équipés en terminaux de paiement compatibles. Pourtant, le volume de transactions NFC (mobiles et cartes confondus), véritable indicateur, peine toujours à décoller : à peine 1% de toutes les transactions bancaires en France selon MSIC Insight.
Les consommateurs restent sceptiques
Deux raisons majeures peuvent expliquer ce désintérêt. Tout d'abord le scepticisme face à la sécurité de ce mode de paiement. Une étude Ifop, réalisée en janvier 2012, indique que « les Français apparaissent réticents en ce qui concerne les technologies sans contact qui permettent de régler des achats sans avoir à insérer leur carte de paiement (64% de voix) et se disent opposés à la suppression complète des codes de carte pour les paiements inférieurs à 20 euros (75% d'avis défavorables) ». Depuis, l'opinion a peu évolué puisqu'en février 2014, un sondage Statista a montré que seuls 22% des Français sont à l'aise avec le paiement sans contact. Malgré la sensibilisation réalisée ces dernières années, les consommateurs préfèrent toujours la carte à puce traditionnelle.La seconde explication viendrait de l'expérience proposée. En deçà de 20 euros, il suffit que l'utilisateur frôle son mobile ou sa carte NFC devant le terminal de paiement pour déclencher immédiatement l'achat. Au-delà de cette somme, il doit saisir un code secret pour valider la transaction. Où est la valeur ajoutée pour le consommateur ? Un paiement par carte bancaire traditionnelle ne prend pas plus d'une vingtaine de secondes. Il sera réduit à deux ou trois secondes avec le mobile NFC. Est-ce une raison suffisante pour sauter le pas ?
Une étude Wincor Nixdorf de septembre 2014 donne un début de réponse. Quand on interroge les Français sur les innovations qu'ils jugent indispensables pour gagner du temps en magasin, les bornes pour scanner le prix des produits (75%) et les caisses en libre-service (63%) arrivent nettement en tête des suffrages. A l'opposé, le paiement avec son mobile n'est jugé indispensable que par 17% des Français interrogés.
Au delà de l'aspect pratique, se posent également des questions de sécurité. Il suffit d'un banal lecteur NFC pour récupérer, à distance, les informations d'une carte sans contact. Certes, depuis fin 2013, les données personnelles ne sont plus accessibles, mais le numéro de carte et sa date d'expiration restent captables. Sur ce point, la technologie Apple Pay de l'iPhone 6 s'avère plus rassurante. Aucune information personnelle ne quitte le téléphone et la transaction est systématiquement validée par empreinte digitale. Les fabricants de téléphones s'estiment donc mieux placés pour développer le paiement sans contact.
Les opérateurs mobiles ont également joué un rôle moteur dans le développement du sans contact. Et pour cause, les cartes SIM peuvent intégrer la technologie NFC. Cela permet de payer avec son smartphone, même s'il n'a plus de batterie, à la façon d'une carte NFC. Mais en pratique, si l'utilisateur possède plusieurs moyens de paiement dans son portefeuille électronique, lorsque son mobile est éteint, il ne peut plus sélectionner celui de son choix. Sans batterie, l'expérience utilisateur est alors moins bonne. Reste que la carte SIM NFC n'a pas non plus décollé. Fin 2013, elle représentait moins de 2% des cartes SIM émises dans le monde (dont 0,4% en Europe et en Afrique).
Tous les Américains changeront bientôt de carte bancaire
Pour comprendre pourquoi le paiement sans contact mobile n'a pas séduit les Français, il est intéressant de voir pourquoi il a plus de chances de séduire les Américains.Le processus d'achat par carte bancaire aux Etats-Unis est différent, notamment plus long. En effet, au moment de payer, le client sort sa carte bancaire à lecture magnétique (la carte à puce est très peu répandue). Avant de la glisser dans le lecteur, le vendeur lui demande sa carte d'identité. Une fois la bande magnétique lue, le terminal invite le client à valider le montant facturé. Et pour finir, il faut soit taper un code secret, soit signer un reçu. Le paiement passe donc par au moins quatre étapes... quand le vendeur n'a pas à s'y prendre à plusieurs fois. Dans un tel scénario, le paiement sans contact prend évidemment tout son sens. En France, en revanche, il suffit d'insérer sa carte bancaire et de composer son code PIN. Deux étapes déjà simples, rapides, avec à la clé, une transaction sécurisée.
D'ailleurs, la sécurité des cartes de paiement à puce est telle que le standard qui accompagne leur fonctionnement (EMV) est adopté par une majorité de pays à travers le monde. Même les Etats-Unis travaillent actuellement sur son déploiement. La raison ? Une sécurisation plus importante car ces cartes embarquent un mécanisme d'authentification que ne possèdent pas les modèles à bande magnétique. Autre intérêt, les banques américaines pourront enfin proposer à leurs clients des cartes bancaires utilisables à l'international. Apple arrive donc à point nommé : dans une période charnière où les consommateurs vont, quoi qu'il arrive, devoir changer de mode de paiement.
Google Wallet et Softcard n'ont pas séduit davantage
Apple n'est pourtant pas précurseur. Google, avec son Google Wallet, et Softcard (ex-ISIS), créé par les opérateurs AT&T, T-Mobile et Verizon, sont disponibles depuis plus de deux ans outre-Atlantique. Et là encore, le paiement sans contact n'a pas décollé. Google Wallet est extrêmement dépendant des opérateurs télécoms. Comme en Europe, ces derniers revendent des smartphones avec leurs forfaits. Ils choisissent donc les mobiles et leurs configurations.Comme, dans le même temps, AT&T, T-Mobile et Verizon poussent Softcard, leur porte-monnaie électronique concurrent. Ils ont logiquement bloqué le service de Google. Pour autant, cette stratégie n'a pas permis à leur offre de prospérer.La raison ? Softcard n'est compatible qu'avec un nombre restreint de cartes bancaires et n'est disponible que sur les téléphones Android. Or, en 2013, presque un mobile sur deux vendu aux Etats-Unis était un iPhone.
En matière de paiement sans contact, Apple fera donc la pluie et le beau temps au pays de l'Oncle Sam. Mais peut-être aussi en Europe. Il suffit de constater à quel point l'industrie des télécoms et de la mobilité a salué l'intégration du NFC dans les nouveaux iPhone. Donc si le paiement mobile décolle en France (et ailleurs dans le monde) Apple, sa technologie et l'expérience qu'il propose y seront probablement pour quelque chose. Google Wallet, Softcard, Cityzi et les autres alternatives profiteront alors de la dynamique.
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