Malgré un engouement porté par divers jeux ou applications, la réalité augmentée reste peu présente dans le paysage numérique. Pourtant, la technologie est ancienne. Ses premières formes sont apparues dans les années 60 avec le casque d'Ivan Sutherland, chercheur au MIT de Boston.
Dans les années 2000, la technologie refait surface avec l'arrivée des webcams, puis avec celle des smartphones et tablettes. Bien plus tard, en 2010, Qualcomm présente Vuforia, son SDK open source de réalité augmentée. Il va réduire le nombre d'acteurs du marché possédant leur propre moteur 3D, mais va faciliter le développement de services et permettre l'émergence de nouveaux acteurs. D'abord employée en communication événementielle et marketing, la technologie reste malgré tout peu utilisée à ce jour par le grand public.
« On parle souvent de la réalité augmentée pour le grand public, mais beaucoup moins de ses usages professionnels », affirme Grégory Maubon, expert de la technologie et co-fondateur de l'association de promotion de la réalité augmentée RA'pro. Et en entreprise, la technologie tracerait doucement son chemin. Car selon lui, elle ne manque pas de potentiel : « la réalité augmentée n'est rien de plus qu'une interface de visualisation de données. En raisonnant de cette façon, elle est donc potentiellement utile à n'importe quelle entreprise ».
Cette technologie permet de visualiser des informations en surimpression de la réalité et d'interagir avec ces données. Ainsi, d'innombrables usages sont théoriquement possibles. La réalité augmentée est déjà utilisée pour la communication, le marketing, le commerce, l'urbanisme, la formation... Mais tous ne sont pas aussi porteurs.
Le commerce, un secteur d'avenir ?
Total Immersion développe cette technologie depuis les années 2000. La société française a commencé par des applications destinées à des événements marketing. Bien que la réalité augmentée fasse toujours son effet sur le public, il n'est pas certain que ce modèle soit durable. « Au départ, nos solutions étaient surtout utilisées dans la communication et l'événementiel, mais il s'agissait alors de contrats ponctuels, peu viables à long terme. Depuis, nous avons trouvé un modèle économique stable », explique Sylvain Mittoux, directeur commercial de la société. Après la communication et le marketing, Total Immersion s'est étendu dans le commerce, un secteur qui aurait plus d'avenir, estime l'entreprise.La société a développé une application pour les opticiens Atol en 2011. Ainsi, leurs clients peuvent essayer virtuellement des lunettes depuis chez eux : « rapidement, on s'est rendu compte que les clients n'essayaient pas seulement la paire de lunettes qu'ils voulaient acheter, ils restaient plus longtemps sur l'application pour essayer d'autres produits », remarque Sylvain Mittoux.
Les autres opticiens se sont alors intéressés à cette technologie. Depuis, Total Immersion en a équipés une trentaine. Les opticiens ne sont pas les seuls à avoir sauté le pas de la réalité augmentée, d'autres marques comme Ikea, Kiabi ou Renault s'y sont également mis. La société parie désormais sur la grande distribution qui doit « rattraper son retard sur l'e-commerce ». Ainsi, la réalité augmentée pourrait « redonner de la valeur aux conseils des vendeurs (...) ou attirer la clientèle à l'intérieur d'un magasin », conclut le directeur commercial.
La réalité augmentée permettrait d'aider à la prise de décisions, à réduire les taux de retours de produits, et à faciliter l'expérience utilisateur afin d'augmenter théoriquement les ventes. C'est un discours entendu depuis plusieurs années, mais force est de constater que les commerçants ont encore du mal à s'y mettre. Certaines marques qui l'avaient adoptée s'en sont même séparées. À l'image de La Redoute, qui abandonne son service d'essayage par réalité augmentée par manque d'utilisateurs. De plus, tout dépend de la stratégie du commerçant. Tous n'ont pas intérêt à utiliser la réalité augmentée. Cette technologie sera utile à ceux dont les produits ont un intérêt esthétique ou prennent de la place. Visualiser une boite de céréales en superposition avec la réalité n'aurait aucun intérêt, par exemple.
En dehors du commerce, d'autres secteurs, souvent de niche, semblent profiter de la réalité augmentée. Artefacto est une entreprise rennaise qui conçoit, entre autres, des solutions de réalité augmentée pour les architectes et urbanistes. Grâce à cette technologie, ces derniers peuvent visualiser un projet dans son environnement, et le montrer aux clients par exemple. Le point commun entre les applications de Total Immersion et Artefacto, c'est cette idée de mettre en contexte un produit. En interne, les entreprises peuvent s'en servir pour matérialiser des prototypes sans avoir à les faire fabriquer par exemple, ce qui occasionne un gain de temps et facilite les échanges autour du produit.
Mais l'autre grand intérêt de la réalité augmentée, c'est la possibilité d'afficher des informations en temps réel sur des objets. Cet usage peut être utile pour la maintenance de machines ou la communication interne d'une entreprise (à la place de PowerPoint par exemple). GRTgaz, l'un des plus grands réseaux de transport de gaz européen, s'en sert dans le cadre d'opérations complexes de maintenance afin d'assister les techniciens. D'ailleurs, on imagine aisément qu'une société pourrait développer une application de réalité augmentée à destination de sa clientèle afin de compléter, voire remplacer son service client.
Calage, dépendance au matériel, coût élevé : de nombreux défis à relever
Comme toutes les technologies, la réalité augmentée rencontre un certain nombre d'obstacles qui freinent son adoption. Il y a le problème du calage. Les applications de réalité augmentée ont besoin d'un repère pour savoir comment placer le modèle 3D dans l'environnement. Lorsqu'il s'agit d'un produit à poser sur le sol, il suffit de mettre un marqueur à l'endroit souhaité pour que le logiciel place correctement l'objet virtuel. Dans le cas de l'essayage de lunettes, l'application va pouvoir reconnaître la forme du visage pour caler les montures au bon endroit.Mais dans le cas d'un bâtiment par exemple, la manœuvre peut s'avérer plus compliquée : « On ne peut pas utiliser de marqueurs pour des modèles aussi grands. Donc on est dépendants des capteurs des terminaux utilisés. Pour caler un bâtiment, on va utiliser, entre autres, le GPS des tablettes, mais les capteurs actuels sont imprécis », explique Christine Deschaseaux, responsable du marketing et de la communication d'Artefacto.
Par ailleurs, la réalité augmentée est dépendante de la puissance du terminal utilisé : « modéliser un bâtiment de 2 Go, c'est compliqué ! Ça nécessite une compression car aujourd'hui, on modélise des fichiers de 100 ou 200 Mo », nous explique Jean-François Chianetta co-fondateur et directeur général de la société de réalité augmentée Augment. Les modélisations ne doivent pas être trop complexes car, d'une part, ce n'est pas simple techniquement, et d'autre part cela coûte cher : « Aujourd'hui nous sommes dans la démarche de rendre (la réalité augmentée) moins chère. On cherche à réduire le coût de la modélisation 3D notamment », affirme Sylvain Mittoux.
Chez Total Immersion, un seul modèle coûte entre 30 et 200 euros selon le niveau de détail demandé. L'addition est donc salée lorsqu'il s'agit de modéliser plusieurs centaines de produits pour un e-commerçant par exemple. Grégory Maubon est également de cet avis : « ces interfaces doivent maintenant être industrialisées », pense-t-il.
Et puis, « il faut que les professionnels soient équipés en tablettes », ajoute Jean-François Chianetta. Forcément, l'adoption de la technologie dépend aussi de l'adoption des tablettes et autres terminaux utilisés pour la réalité augmentée. Et le contexte actuel n'est pas forcément favorable : « Pour utiliser cette technologie, il faut filmer. Depuis l'affaire Snowden, la confiance dans le numérique est en baisse. Dans les usines, certaines choses sont confidentielles, la crainte de la fuite est une problématique récurrente chez les professionnels », conclut Grégory Maubon.
Une technologie qui s'améliore avec le temps
Les sociétés interrogées ont bon espoir de voir le marché s'étendre grâce aux futures évolutions technologiques. Avec le temps, les terminaux compatibles avec la réalité augmentée devraient être plus répandus. Les lunettes intelligentes pourraient d'ailleurs avoir leur utilité en entreprise. Et puis, les innovations technologiques pourraient également résoudre certains problèmes : « on travaille déjà sur les capteurs de profondeur », indique Jean François Chianetta d'Augment. En effet, les caméras 3D pourraient faciliter le calage des modèles.Enfin de nouveaux capteurs plus précis ou de nouveaux terminaux plus puissants pourraient améliorer le rendu des applications de réalité augmentée. Pour sa part, Artefacto voit l'avenir de la réalité augmentée du côté des « villes intelligentes » et de l'Open data. En 2010, la société avait créé une « promenade interactive » de la Courrouze à Rennes. Les passants pouvaient voir à quoi ressemblerait le quartier à la fin des travaux menés par la ville.
Les expérimentations continuent, nourrissant les ambitions du secteur. Toutefois, la réalité augmentée continue de chercher l'application qui la rendrait incontournable.
Pour en savoir plus :
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