Le gendarme des données estime que l'État a illégalement utilisé des drones pour surveiller le respect des mesures de confinement, mais pas que. Il lui a adressé un rappel à l'ordre.
Le ministère de l'Intérieur a fait son mauvais élève. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a annoncé, jeudi, avoir sanctionné le ministère, accusé d'avoir utilisé de façon illicite des drones, équipés de caméras, pour procéder à la surveillance des citoyens et du respect des mesures de confinement. En l'absence de cadre juridique concret, la CNIL, réunie en formation restreinte, lui demande de cesser tout vol en ce sens, dans une décision du 12 janvier 2021 publiée le 14 janvier. Retour sur une procédure entamée en avril 2020.
Les drones utilisés par les forces de police permettent techniquement d'identifier des personnes
Après une première partie très administrative, une délégation de la CNIL s'était rendue dans les locaux de la préfecture de police de Paris pour procéder à un contrôle, le 9 juillet 2020. En procédant à un vol d'essai sur place, elle a pu constater, ce jour-là, qu'il était tout à fait possible d'identifier une personne, les drones étant équipés d'une caméra en haute résolution et de capacités de zoom pouvant agrandir l'image entre 6 et 20 fois.
Ici, la question centrale est, vous l'aurez compris, le traitement des données personnelles. C'est ce qui a motivé cette enquête de la CNIL.
Différents échanges ont eu lieu avant donc, mais aussi après cette date. La rapporteuse de l'instruction, Sophie Lambremon, a observé que la préfecture de police de Paris, mais aussi le commissariat de Cergy-Pontoise et le groupement de gendarmerie départementale de Haute-Garonne, ont bien utilisé des drones pour vérifier le respect des mesures gouvernementales de confinement. La CNIL reproche même à la préfecture de police de Paris d'avoir étendu cette utilisation pour aider à la surveillance du trafic de stupéfiants ou la surveillance de manifestations, ce qui ici nous ramène à la loi sécurité globale, qui vise précisément ce dernier cas.
Et si le ministère de l'Intérieur a répondu qu'un système de floutage était mis en œuvre depuis le mois d'août (ce qui n'exclut pas de fait tout traitement de données à caractère personnel depuis cette période), la CNIL estime tout de même que les manquements sont pluriels.
Le système de floutage des personnes en question
Le gendarme des données rappelle d'abord qu'à ce jour, aucun texte n'autorise la Place Beauvau à utiliser des drones équipés de caméras permettant techniquement d'identifier des personnes. Ce manquement est par ailleurs doublé par l'absence d'une analyse d'impact, obligatoire lorsque les motivations d'utilisation des drones (détecter ou prévenir une infraction pénale, mener une enquête etc.) présentent un risque important pour les droits et libertés individuelles. Ajoutons à cela un défaut d'information du public, pas informé de l'utilisation des drones "comme il aurait dû l'être", précise la formation restreinte.
La CNIL entend bien l'argument du floutage des personnes. Mais celui-ci n'est intervenu qu'à la fin du mois d'août, et de nombreux vols furent réalisés avant le milieu de l'été. "De plus, ce mécanisme ne peut pas être exécuté directement par le drone", nous dit l'autorité administrative indépendante, puisque les images sont transmises en l'état par le drone au pilote, qui ne les voit pas floutées. Si cela est nécessaire pour des raisons sécuritaires, cela inclut mécaniquement un traitement de données à caractère personnel. Ce n'est qu'ensuite, au moment de la transmission au ministère de l'Intérieur, que les images sont floutées, la CNIL pointant le fait que le floutage peut ensuite être désactivé.
L'autorité, qui ne peut juridiquement pas prononcer d'amendes à l'encontre de l'État, a tout de même adressé un rappel à l'ordre au ministre de l'Intérieur. Elle lui demande également de cesser, sans délai, tout utilisation de drone jusqu'à l'établissement d'un cadre juridique qui puisse à la fois autoriser ce traitement de données personnelles ou empêcher l'identification des personnes.
Détail important : la décision de la CNIL s'applique aussi bien aux services de police qu'à la gendarmerie, et ce sur l'ensemble du territoire, ce que le Conseil d'État, dans de précédentes décisions, ne pouvait faire.