Que faire après le succès planétaire du vol habité de Gagarine ? Il s’agit bien de repousser les limites, mais il y a beaucoup à apprendre sur les vols spatiaux. Au diable le conformisme, les Soviétiques tentent d’envoyer Vostok 24 heures en orbite ! Un exploit d’alors, un peu masqué par d’autres pionniers…
Hermann Titov devient pourtant une célébrité de l'exploration spatiale.
Un fauteuil confortable ?
Comment se sent-on quand on a battu la NASA à plate couture ? Sergeï Koroliov, le principal instigateur du programme habité soviétique, devait bien le savoir, en ce début d’été 1961. Le vol orbital de Youri Gagarine le 12 avril fut un succès éclatant, auquel la jeune agence américaine n’a pu répliquer qu’avec deux décollages habités suborbitaux : Shepard et Grissom n’ont pu mener qu’un petit aller-retour de quelques minutes au-delà de la frontière de l’espace ! Toutefois, franchir une fois la ligne d’arrivée ne signifie pas que la course est terminée. Les Soviétiques n’ont pas encore pris la mesure de ce qui se trame politiquement aux Etats-Unis (Kennedy a pourtant levé un coin de voile sur ses ambitions lunaires)… Mais il savent que le rôle de l’humain dans l’espace ne va pas se limiter à une seule orbite. Les astronautes, ou cosmonautes, vont un jour vivre et travailler là-haut, Koroliov en est persuadé. Reste que médicalement, il n’y a pas vraiment consensus : les expériences avec les animaux ont montré des résultats très mitigés après trois orbites, et les cosmonautes comme les planificateurs demandent un vol de 5h environ. Ce qui serait déjà énorme : Gagarine n’a fait qu’un seul tour de Terre !
En plus, il y a une autre bonne raison pour limiter la durée du deuxième vol de la capsule Vostok. En effet, le véhicule spatial tourne autour de la Terre, mais la planète elle-même tourne sur elle-même dans le même temps, donc à chaque fois que Vostok boucle une orbite, elle se trouve décalée de plusieurs milliers de kilomètres à l’Est de son site de lancement. Au-delà de 4 orbites, elle ne sera plus au-dessus du territoire soviétique, et il ne sera plus possible de revenir sur un site acceptable avant d’avoir passé plus de 24h de vol. Ce profil à 17 orbites est tout de même le préféré de Koroliov, qui réussit à persuader les instances dirigeantes : ce sera un nouveau coup de force soviétique, et il sera possible de le mener dès le mois d’août !
Titov, un jeune homme en forme
Pour mener à bien cette mission, les autorités ont choisi Hermann Titov. Plus solide physiquement que Gagarine, il est aussi bien noté dans les évaluations, et il aurait tout aussi bien pu être choisi pour le premier vol autour de la Terre… même si son profil reflète un petit peu moins l’idéal soviétique que celui de son collègue (Titov est issu de la classe moyenne, ce qui est presque une insulte à la fin des années 50 en URSS). Personne n’émet alors de doutes sur son âge : il a 25 ans ! Au contraire, c’est un argument de plus pour les équipes au sol. Jeune, le pilote de chasse né à Verkhneïe Jilino récupèrera vite. Ainsi ce 6 août 1961, sanglé dans sa capsule Vostok, Hermann Titov décolle depuis Baïkonour et s’envole pour l’orbite. Il devient le plus jeune humain dans l’espace, et il reste, 61 ans plus tard, le plus jeune à avoir fait le tour de la Terre !
Petits maux d’estomac
L’arrivée en orbite se passe bien, et les trois étages de la fusée ont amené Titov et Vostok-2 sur la trajectoire prévue : une altitude basse entre 178 et 257 km ! De quoi faire hausser les sourcils aujourd’hui (les stations orbitent autour de 400 km d’altitude), mais largement suffisant pour passer 24h et faire 17 tours autour de la Terre. A la fin de sa première orbite, alors qu’il reçoit les félicitations du premier secrétaire Khrouchtchev, Hermann Titov est en réalité souffrant ! Il s’agit du premier cas documenté de « mal de l’espace », qui n’affecte pas tous les astronautes… Ce mal, lié à l’oreille interne, met un temps certain avant de se dissiper et cause des nausées, peut entraîner des désorientations et surtout, c’est très inconfortable. Mais il n’y a rien de particulier à faire, sinon attendre que ça passe, et l’exiguïté de la capsule Vostok permet au moins de limiter les effets… Même si Titov n’arrive pas à s’alimenter comme prévu : le premier vrai repas pris dans l’espace ne passe pas comme une lettre à la poste. Toutefois, ce n’est pas une raison pour annuler la mission. Le cosmonaute rassure les équipes au sol et poursuit le programme qui lui a été assigné. Car contrairement à Gagarine, Titov a de quoi faire !
Dormir au-dessus des rêves
Il teste par exemple le pilotage manuel de la capsule Vostok, en effectuant des réglages d’orientation au-dessus de l’Afrique. Puis il prend des photographies à travers le hublot principal devant lui, et même une vingtaine de minutes de film, ce que Gagarine n’avait pas eu le loisir de faire. En plus de nombreux échanges radiophoniques (qui seront entendus tout autour du monde), Titov prend le temps de décrire son expérience et son environnement. La nouvelle de son vol spatial fait la Une, moins de deux heures après son départ. Et comme le vol dure une journée, les agences étrangères ont tout le loisir d’écouter et de constater une fois de plus ce succès soviétique. Hermann Titov va également s’accorder une période de sommeil, ce qui faisait partie du programme. Son mal de l’espace ne l’empêchera pas de dormir… même 37 minutes de plus que prévu ! Il lui faudra attendre après la 12e orbite (soit pratiquement 19h d’impesanteur) pour que ses nausées s’atténuent, puis disparaissent. Le pilote est en pleine forme pour la fin de son vol !
Ne pas oublier de freiner
Le freinage se passe sans problème, et comme pour Vostok-1, la capsule commence à entrer dans l’atmosphère au-dessus du continent africain. Et les ennuis de Gagarine ne seront pas épargnés à Titov ! Cette fois encore, le module de service qui devait être éjecté à l’aide de boulons explosifs juste avant d’arriver à 100 km d’altitude ne se détache pas. Pire, il reste longtemps accroché, et fait balloter la sphère de métal en tous sens avant de finalement se décrocher, les sangles étant brûlées par le plasma entourant la capsule. Moins sympathique pour Titov, un détail attire son attention au mauvais moment alors que Vostok-2 se rapproche du sol… Son siège éjectable s’active à ce moment-là, et le propulse avec le nez en sang au-dessus du territoire soviétique. Rien de grave heureusement, et les cosmonautes avaient suffisamment répété cette phase finale pour savoir à quoi s’attendre. Titov sera rapidement récupéré au sol, et en forme.
Placard doré
Devenu le premier humain à passer plus de 24h en orbite, Hermann Titov est comme Gagarine couvert de décorations et présenté avec les honneurs partout en URSS. Leurs vols étant assez proches, les deux pilotes auront le loisir de parcourir le monde ensemble, devenus Héros (mais aussi hérauts) de l’Union Soviétique. Ils seront des invités de marque, et pas uniquement du côté soviétique du rideau de fer. Ce sont des ambassadeurs d’excellence (et ce malgré quelques écarts dus à leur célébrité ou leurs talents de séducteurs), et ils le resteront tout au long du programme Vostok. Hermann Titov comme Gagarine voudra remettre le couvert, en particulier pour les missions qui se dessinent dans le cadre du programme lunaire soviétique… Mais la mort accidentelle de Gagarine en 1968 ne lui laisse que peu d’opportunités pour voler. Il quitte le corps des cosmonautes, mais utilise toutefois son expérience acquise au service du programme spatial, du côté des systèmes embarqués. Il a plus de chance que sa capsule, Vostok-2 ! Cette dernière ne finit pas dans un musée, mais fut démolie lors d’un test de parachute raté au service du programme Voshkhod.