Envoyée en orbite il y a 50 ans, Saliout 1 (ou DOS-1) fut la toute première station spatiale au monde, pionnière d'une longue série qui se poursuit aujourd'hui. Mais le début de cette aventure fut difficile, émaillé de problèmes techniques… Il culmina même avec un drame humain. L'Union soviétique a su persévérer !
Et montrer que non, il n'y avait pas que la conquête lunaire…
Saliout à vous !
De façon presque ironique, les premières stations spatiales auraient pu précéder l'arrivée des humains sur la Lune : dans les années 60, les projets se multiplient, car l'idée de « Vivre et travailler » dans l'espace semble être dans la continuité naturelle des premiers voyages habités. Malheureusement, il est complexe de concevoir des systèmes capables de rester fonctionnels aussi longtemps sans qu'ils pèsent des dizaines de tonnes, et la course à la Lune freine les ambitions. La plus avancée de l'époque, la station MOL de l'US Air Force, passe à la trappe pour favoriser Apollo, et sa concurrente militaire soviétique, Almaz, piétine elle aussi. En 1970, les États-Unis annoncent le projet Skylab… Ils ne le savent pas, mais l'URSS entame au même moment les travaux de sa propre station civile, plus petite et qui sera prête beaucoup plus tôt : Saliout 1.
À la surprise générale, les soviétiques réussissent donc une nouvelle première, quelques jours après l'anniversaire des 10 ans du vol de Youri Gagarine (mise en orbite le 19 avril 1971). Saliout 1 bénéficie du puissant lanceur Proton K, qui permet d'envoyer cette station d'une masse de 19,4 tonnes et de 4 mètres de diamètre en orbite basse au-dessus de 200 kilomètres. Saliout 1 est indubitablement moderne pour son époque, avec deux paires de panneaux solaires, un grand espace de vie intérieur et un port d'amarrage SSVP, technologie qui a très peu évolué et qui est toujours utilisée aujourd'hui sur le segment russe de l'ISS. Il y a aussi des radiateurs pour la régulation thermique, un ordinateur de bord pour les phases de vol non pilotées, etc.
Comme il n'y a qu'une seule écoutille, impossible de lui accoler d'autres modules ou un véhicule cargo… Mais il ne s'agit que d'un premier jet et de toutes façons, l'URSS n'a pas encore l'usage de cargos : les équipages qui vont aller visiter la station orbitale Saliout 1 emmèneront assez de consommables pour survivre durant leurs trois semaines de voyage (y compris de l'eau). Pour l'époque, cela représentait déjà une durée exceptionnelle : le record d'alors était tenu par Gemini 7 et ses 13 jours en orbite, laissant ses occupants lessivés dans un si petit espace.
En orbite, mais tout reste à faire
Quatre jours après le décollage de Saliout 1, Baïkonour tremble encore : le 22 avril 1971, Soyouz 10 s'élance vers l'orbite avec trois cosmonautes, dont l'objectif en tant que premier équipage de la station est de terminer la mise en place, de réaliser un grand nombre d'expériences et de documenter les points forts et les inconvénients de ce nouveau système orbital. Mais Vladimir Shatalov, Alexei Yeliseyev et Nikolai Rukavishnikov n'auront pas de chance. Tout de même, le début de leur vol se déroule à merveille. Le décollage et la mise en orbite se passent bien, et les voici rapidement à la poursuite de Saliout 1, qu'ils rattrapent en moins d'une journée. Les deux véhicules sont stables, le système de contrôle automatisé fonctionne, et Soyouz 10 arrive à s'amarrer à la station ! Malheureusement, alors qu'ils se préparent à y entrer, quelque chose coince : il s'agit soit du mécanisme qui a été abîmé lors de l'amarrage, soit d'un petit défaut de conception…
Mais l'écoutille refuse obstinément de s'ouvrir. Les opérations vont durer plusieurs heures, et les versions divergent (certains évoquent une deuxième tentative pour s'amarrer, qui paraîtrait logique). En vain. La mission de Soyouz 10 tourne court, et Vladimir, Alexei et Nikolai doivent rentrer. Ils atterriront au Kazakhstan après seulement deux jours de vol.
La situation est ennuyeuse, mais les recherches effectuées au sol montrent bien vite que le souci d'écoutille se situait plutôt au niveau de Soyouz, il est donc toujours possible de préparer une mission vers Saliout 1… à condition que cette dernière soit encore en orbite ! En effet, elle est à basse altitude et le frottement avec les particules atmosphériques la fait régulièrement ralentir.
Les équipes au sol arrivent à allumer sa propulsion, et le 26 avril son altitude est rehaussée entre 253 et 276 kilomètres, de quoi lui permettre plusieurs mois d'opération. L'Union soviétique peut ainsi se concentrer sur le décollage de Soyouz 11, prévu début juin 1971. Ce deuxième vol présente d'ores et déjà quelques challenges, et ce n'est pas que pour l'ingénierie ! Valeri Koubassov, qui devait faire partie de la mission, a un problème de poumon, et l'équipage de réserve tout entier prend la place du principal, quatre jours avant le départ !
Soyouz 11 à la rescousse !
Georgy Dobrovolsky, Vladislav Volkov et Viktor Patsayev décollent donc de Baïkonour le 6 juin 1971, pour rejoindre Saliout 1. Là encore, le contrôle automatisé amène les deux véhicules alignés à proximité l'un de l'autre, et l'amarrage est mené sans problème. Il faudra plusieurs heures pour assurer le verrouillage mécanique et l'équilibrage des pressions, mais cette fois ça marche ! L'équipage de Soyouz 11 entre dans Saliout 1 et entame un voyage de 22 jours.
Ils entament leur programme en mettant en place le support vie (qui va filtrer l'odeur de brûlé et de renfermé qui régnait à bord), en réalisant des expériences médicales, et en observant les étoiles à l'aide d'un télescope spectrographe ultraviolet nommé Orion 1. Ils documentent aussi l'observation de la Terre, domaine qui est à l'époque couvert par des satellites dédiés mais dont les capacités sont limitées. Il y a aussi beaucoup de communication au cours de la mission et de ses réussites : passages à la télévision, articles internationaux, contacts radios…
Pour autant, la vie à bord de la première station orbitale au monde n'est pas de tout repos. Le tapis de course qu'ils utilisent deux fois par jour est fixé sur l'une des cloisons, et les efforts mécaniques générés lors de la course font trembler toute la station. Plus grave encore, le 18 juin, un incendie se déclenche à bord. La situation paraît d'abord dramatique, et l'équipage demande l'évacuation en urgence. Ils n'en auront pas besoin, le feu finit par être maîtrisé. Mais l'alerte, elle, est équivoque : il faudra une meilleure préparation que ce soit pour le matériel ou l'équipage. L'incident réduira d'ailleurs de quelques jours le séjour de l'équipage Soyouz 11, qui embarque le 29 juin ses pellicules, ses échantillons médicaux et ses affaires dans la capsule pour revenir sur Terre après 23 jours de vol en tout.
Un drame que personne n'a vu venir
L'un des très rares drames humains de toute l'exploration spatiale va se jouer lors de leur retour sur Terre. Après le freinage de la capsule pour se désorbiter, les différents modules de Soyouz se séparent les uns des autres à l'aide de boulons explosifs. Une valve s'ouvre par accident et dépressurise le module en 55 secondes, causant la mort de Dobrovolsky, Volkov et Patsayev qui, à l'époque, ne portaient pas de combinaison particulière lors des phases de décollage ou d'atterrissage. Cette phase étant automatisée, la capsule est récupérée intacte, les équipes sur place ne pouvant que constater la mort de l'équipage.
Il n'y aura pas d'autre mission à destination de Saliout 1. C'était pourtant prévu au programme, car la station disposait du carburant suffisant pour rehausser son orbite et poursuivre les tests et expériences… Mais il faudra du temps pour modifier les capsules de transport à cause de l'accident dramatique de Soyouz 11. Ce qui d'ailleurs limitera l'équipage à deux cosmonautes jusqu'à la fin des années 70. Sans possibilité d'y envoyer des équipages, les autorités envoient les commandes pour que Saliout 1 se désintègre dans l'atmosphère au-dessus de l'océan le 16 octobre. Malgré une expérience en dents de scie, qui s'est terminée par un terrible drame (sans rapport toutefois avec la station), l'URSS a réussi à prouver la valeur de son concept de station orbitale. La suite de la décennie leur donnera raison…