Après plus d'une décennie de préparation, le module spatial Tianhe est à la veille de son décollage. Cette brique centrale de la SSC, la Station Spatiale Chinoise, est le premier d'une armada de missions vers l'orbite basse avec des objectifs très ambitieux.
Avec un petit gout de Mir quand même.
L'astronautique : pas un sport de masse
Jusqu'à 2021, l'astronautique chinoise n'a pas régulièrement fait les gros titres. Pourtant, la Chine est l'une des très rares nations à disposer d'un accès indépendant à l'espace pour ses concitoyens... Depuis 2003 et le premier vol de Yang Liwei, seul dans sa capsule Shenzhou 5, le pays a énormément progressé. Des vols à plusieurs d'abord, puis une première sortie en scaphandre en septembre 2008, et une première station spatiale expérimentale, Tiangong-1 en 2011.
Pour autant, malgré ses progrès rapides, les missions habitées restent rarissimes : la dernière Shenzhou-11 réunissait trois astronautes en orbite en 2016, au sein d'une deuxième station orbitale, Tiangong-2. Depuis ? Plus rien… Mais beaucoup de préparation. Il faut dire que l'agence chinoise est pragmatique : pas question d'envoyer des astronautes qui n'auraient pas une destination et une mission bien définies. Cette année cependant, tout cela devrait beaucoup changer.
Tianhe ouvre la voie
Ce 29 avril, le plus puissant lanceur disponible dans l'arsenal chinois, la fusée CZ-5B, devrait allumer ses moteurs à 5 h 18 (heure de Paris) pour envoyer le grand module Tianhe en orbite basse, probablement à une altitude légèrement inférieure à celle de la Station Spatiale Internationale. Tianhe est un énorme véhicule spatial : plus de 16 mètres de long et 4 mètres de diamètre, 22 tonnes environ sur la balance… Cela s'explique facilement, puisqu'il s'agit du module central de la nouvelle station spatiale chinoise (SSC ou CSS pour les anglophones). Tianhe aura la tâche difficile de rester en orbite plus d'une décennie (et peut-être deux), et de constituer le « cœur » de la CSS qui s'agrandira en venant joindre d'autres modules permanents sur ses ports d'amarrage. C'est donc un peu l'équivalent du module Zvezda qui va décoller cette semaine, avec tout de même une différence de 20 ans qui se traduit par des systèmes bien plus modernes.
Tianhe étant la brique centrale de la nouvelle station permanente chinoise, le véhicule est conçu pour être la base de vie de trois astronautes pour de longues rotations, jusqu'à six mois. Il est équipé de grands panneaux solaires, capable de manœuvrer pour corriger son orbite grâce à des réservoirs et des propulseurs autonomes, et il s'oriente grâce à deux imposants systèmes gyroscopiques. À l'intérieur, il y a… beaucoup de place ! Des couchettes (équipées de hublots, s'il vous plait) pour les occupants, de quoi vivre et faire du sport au quotidien, mais aussi beaucoup d'équipements scientifiques.
La Chine a repris le concept des « racks » interchangeables, qui permettent avec des interfaces standardisées, de varier les expériences : de la biologie à la médecine en passant par les matériaux, la CSS sera un centre scientifique au même titre que l'ISS (bien que beaucoup moins grand), et ce d'autant plus lorsque les deux autres modules permanents qui la constituent arriveront en orbite, Wentian et Mengtian.
De l'espace et du mouvement
Le terme « permanente » n'est pas usurpé. Pour la première fois sur une station chinoise, il sera possible de vivre avec des rotations d'équipage, et de la ravitailler en même temps. Une fois en place en orbite, c'est d'ailleurs l'une des premières opérations prévues : le départ d'un cargo automatisé Tianzhou (a priori le 20 mai) qui viendra s'amarrer automatiquement sur le module Tianhe. Il y restera plusieurs semaines, car s'il est équipé pour pouvoir transférer du carburant sur la CSS, il n'y aura encore personne pour s'occuper des tonnes de matériel dans sa soute cargo ! Il faudra attendre la première rotation d'équipage qui devrait prendre place au mois de juin avec le décollage de la capsule Shenzhou-12. L'identité des membres d'équipage n'est pas confirmée pour le moment, mais ils resteront probablement trois mois au sein de Tianhe, établissant un nouveau record de durée en orbite pour des astronautes de Chine.
Ce schéma de mission va se répéter à l'automne, et devrait également être de mise au printemps prochain, pour établir des rotations régulières et une suite de missions de longue durée. Elles vont permettre au programme chinois d'identifier les points durs, de mettre la station en ordre de marche (il ne suffit pas de rentrer et d'appuyer sur un bouton)… et de se familiariser avec une logistique à la fois coûteuse et complexe. Chaque mission habitée comptera trois personnes et recevra normalement la visite d'un cargo Tianzhou, ce qui devrait donner l'opportunité au corps astronautique chinois d'accumuler rapidement de l'expérience : le pays ne compte « que » 11 taïkonautes au moment d'écrire cet article. Les sorties extravéhiculaires en scaphandre sont aussi une relative nouveauté, la Chine n'en ayant réalisé qu'une seule dans son histoire.
Plusieurs EVA seront pourtant nécessaires pour installer les équipements externes de Tianhe et de la CSS, notamment le bras robotisé CMM (ou Core Module Manipulator) de 10,5 mètres de long qui sera téléopéré depuis différents points d'attache afin de manipuler des expériences, du matériel ou des dispositifs d'éjection de satellites (comme c'est le cas sur la station internationale).
La Chine fait ce qu'elle veut
D'ici la fin 2022, la Chine devrait disposer d'une station imposante avec 3 modules principaux, capable d'accueillir un équipage permanent de 3 astronautes avec des cargos automatisés. La route sera longue, mais c'est un objectif nécessaire pour le pays qui s'affirme en tant que puissance spatiale de tout premier plan. En effet, les comparaisons fleurissent avec Mir, la station soviétique (puis russe) mise en place en 1986. Mais 35 ans de progrès sont aussi passé par là, et il y a une multitude d'expériences et de concepts que le pays souhaite tester avec la future station. L'un des projets évoqués le plus régulièrement concerne le télescope spatial Xuntian, dont les capacités auront une portée équivalente à celles de Hubble et WFIRST. Ce dernier ne sera pas directement amarré à la station, mais sera sur une orbite très proche pour venir effectuer ses maintenances avec l'aide des astronautes de la CSS.
En plus des centaines d'expériences qui seront réalisées d'ici là (dont une quinzaine, internationales, ont été sélectionnées après un appel à projet à l'ONU), la Chine sera dans la seconde moitié des années 2020, dans une position de force par rapport aux autres nations spatiales, qui font face de leur côté aux tensions et au vieillissement de l'ISS. D'ici là, tout passe par le décollage de Tianhe…