La plus complète des missions chinoises à ce jour, Chang'e 6, sur la face cachée de la Lune © CNSA / CLEP
La plus complète des missions chinoises à ce jour, Chang'e 6, sur la face cachée de la Lune © CNSA / CLEP

Cet été, Clubic vous propose de vous intéresser au futur proche des différentes missions lunaires. De l'Inde aux États-Unis, en passant par les robots et les stations, notre satellite naturel est une destination hors normes. Direction la surface lunaire pour ce troisième épisode, avec les missions chinoises Chang'e. Les plus capables de leur génération.

La Chine, de son côté, s'en est toujours publiquement défendue, elle ne fait pas la course à la Lune. Oui, elle développe ses moyens robotisés (et habités) vers la Lune, dans une perspective à moyen et long terme, mais sans regarder ce que font les autres par-dessus son épaule. Pourtant, il n'y a plus grand monde devant.

Après 20 ans de programme Chang'e, la Chine est la nation qui dispose des plus grandes capacités lunaires en 2024. Et ce, grâce à des objectifs clairs, de gros financements ainsi qu'une version bien locale de la méthode utilisée par SpaceX, le développement itératif.

Chang'e, de l'orbite à la surface, bien sur ses appuis

C'est en 2004 que la Chine a décidé de mettre le cap sur la Lune. L'administration centrale met en place une direction de son agence spatiale spécialement consacrée à l'exploration lunaire, la CLEP (Chinese Lunar Exploration Program). Cette dernière démarre ses travaux sur les missions nommées Chang'e, en référence à la déesse lunaire de la mythologie locale.

À l'époque, les objectifs n'inquiètent pas les agences occidentales, car le fossé technologique qui sépare la Chine de la NASA (opérant par exemple déjà 2 rovers sur Mars, Opportunity et Spirit) semble large. La première mission a lieu en 2007 et confirme cet écart, malgré sa belle réussite. Chang'e 1 est un satellite de télécommunications modifié pour observer et cartographier la Lune depuis son orbite. Son successeur, Chang'e 2, qui décolle en 2010, est déjà beaucoup plus ambitieux. Plus lourd, avec une trajectoire lunaire directe, il effectue une série de manœuvres autour de la Lune et en repart après avoir cartographié plusieurs sites d'atterrissages futurs. La Chine le pilote et l'envoie photographier l'astéroïde géocroiseur Toutatis. Une première.

La Lune fait rêver, même en Chine © NASA
La Lune fait rêver, même en Chine © NASA

En coulisses, la Chine préparait l'acte suivant, en investissant massivement dans des moyens de tests au sol, en particulier pour le guidage automatisé de véhicules lunaires, les communications, le matériel spatial. Et en décembre 2013, la CLEP a réussi son premier objectif d'ampleur avec Chang'e 3.

L'atterrisseur, en orbite lunaire, a allumé ses propulseurs et s'est posé avec succès dans une plaine lunaire (sur la mer des Pluies, ou Mare Imbrium), sur la face visible, avant d'y déployer le petit rover Yutu. Ce dernier ne pourra rouler que quelques semaines, mais c'est la première fois qu'un robot roule sur la Lune depuis 1976. La Chine réussira à envoyer une version améliorée de son rover en 2018 et à se poser sur la face cachée grâce à un satellite-relais spécifique : c'est la mission Chang'e 4. Et soudain, le monde découvre que la Chine est équipée pour de grandes premières.

Relais et missions complexes : pour l'instant, la Chine est devant

Chang'e 4 et Yutu 2 continuent d'envoyer épisodiquement des données au centre de contrôle, même si la mission a rempli ses objectifs depuis bien longtemps. Grâce à ce succès, mais aussi à une autre préparation spécifique amplement financée, la CLEP a encore haussé son niveau à partir de 2020.

Les missions Chang'e 5 et Chang'e 6 (cette dernière en mai-juin 2024) ont permis de rapporter des échantillons de sol lunaire, de la face visible et de la face cachée. Un deuxième véhicule-relais est en orbite elliptique autour de la Lune, spécifiquement orienté pour couvrir la face cachée et le pôle Sud. Et la complexité de ces missions dépasse désormais amplement ce que toute autre agence est capable de mettre en place en 2024.

L'atterrisseur Chang'e 3, pris en photo par son petit rover Yutu en décembre 2013 © CLEP

Ces missions de collectes d'échantillons pèsent plus de 8,3 tonnes au décollage et se composent d'un véhicule de transfert qui sert d'orbiteur lunaire, d'une plateforme d'atterrissage équipée d'un bras robotisé, d'instruments scientifiques, d'un petit rover et d'une foreuse capable de récolter des échantillons au-delà d'un mètre de profondeur ainsi que d'un véhicule de remontée qui apporte les précieuses poussières lunaires en orbite. L'orbiteur réalise ensuite un rendez-vous et place les échantillons dans une capsule qui les emporte sur Terre. Un véritable ballet sur 6 semaines !

À chaque mission Chang'e, la Chine a repoussé les limites en utilisant d'une part ses acquis des missions précédentes, tout en ajoutant des éléments plus complexes testés au sol ou en vol. Cette réussite ne laisse pas la place à l'improvisation et se prépare 5 à 10 années à l'avance, mais elle permet également d'envisager d'autres missions également complexes. C'est notamment grâce aux avancées de Chang'e que l'agence chinoise a réussi en 2021 sa première mission martienne avec un « triplé inédit » orbiteur, atterrisseur et rover. Du premier coup…

Le petit rover Yutu-2 sur la face cachée de la Lune © CLEP

Chang'e 7 : cap sur le Pôle Sud !

On pourrait se demander ce que la Chine pourrait améliorer pour sa prochaine mission Chang'e, ou si elle a validé l'ensemble des capacités menant à terme à amener des astronautes sur le sol lunaire. Mais en réalité, le travail n'est pas terminé. La prochaine mission, Chang'e 7, ne rapportera pas d'échantillons et sera dirigée vers le pôle Sud lunaire, sur les bords du cratère Shackleton.

Décollant en 2026, elle emportera d'abord un orbiteur, qui sera suffisamment capable pour rester plusieurs mois, voire plusieurs années en orbite basse, pour réaliser des mesures aux pôles. Ensuite, un atterrisseur s'en détachera et aura besoin de se poser avec une grande précision. En effet, le cratère Shackleton est majoritairement dans une ombre éternelle, il faudra donc viser les bords. C'est une partie de l'enjeu de Chang'e 7, qui embarquera plusieurs instruments d'étude du sol pour évaluer la zone, mais également un rover et un « hopper », c'est-à-dire un robot sauteur qui se déplacera en une série de bonds de quelques secondes à quelques minutes au-dessus de la surface.

L'objectif scientifique de Chang'e 7 est clair, il s'agit avant tout d'étudier en détail la zone du pôle Sud lunaire (et possiblement de le faire en premier, même si la zone intéresse aussi Artemis).

Les instruments sont nombreux, avec des caméras, spectromètres, radars de sol, l'analyse de composés spécialisée pour détecter des molécules d'eau, y compris de façon embarquée sur le « hopper ». Ces analyses de sol sur la zone ne sont pas innocentes, le bord du cratère Shackleton est l'un des sites privilégiés par la Chine, mais aussi par d'autres équipes internationales pour y installer une future base lunaire. Chang'e 7 peut donc être vue comme une mission d'exploration, mais aussi la première brique d'une ambitieuse future architecture.

L'atterrisseur de Chang'e 4, pris par son rover à plus d'une centaine de mètres © CLEP

Chang'e 8, préparer la future base

Il y a encore peu de détails sur Chang'e 8, qui devrait prendre place en 2028 et sera possiblement la dernière du programme qui soit entièrement robotique. En effet, la Chine a l'ambition d'amener ses premiers astronautes sur la surface lunaire d'ici 2030, puis d'y installer une base de travail, l'ILRS (International Lunar Research Station), qui sera habitée de façon occasionnelle.

Chang'e 8 s'inscrit dans cette préparation et devrait apporter sur place les premières briques nécessaires à l'installation de l'ILRS. En plus d'instruments de recherche, d'un large atterrisseur et d'un rover, il est donc question d'un robot ou d'un ensemble scientifico-technique destiné à utiliser les ressources du sol. Fabrication d'habitat, extraction d'eau ou tout simplement préparation d'un futur site à l'aide de rovers et de techniques de terrassement, les détails ne sont pas encore connus, même si les équipes chinoises travaillent déjà sur le sujet.

Il est également possible que cette mission se pose à proximité, voire sur le même site exact que son prédécesseur Chang'e 7, ce qui serait une autre prouesse : l'installation d'une future base nécessitera une approche très précise. Pas question de se poser trop loin de la base, ni trop près, sous peine de l'abîmer avec la matière soulevée lors des manœuvres pour alunir.

Les différents modules assemblés de la mission Chang'e 5 en chambre anéchoïque © CNSA / CLEP

Chang'e, tout pour la science… uniquement ?

Ce n'est pas parce que la Chine affirme qu'elle n'est pas dans une « course à la Lune » avec les Américains qu'il n'y a absolument aucune pression sur le programme Chang'e. Le pays a énormément investi dans son programme d'exploration (les montants ne sont pas connus, mais sont évalués à plusieurs milliards pour l'ensemble, hors lancements) et dispose de capacités uniques qui sont, in fine, aussi utilisées par la politique.

Rayonner grâce aux publications scientifiques sur les échantillons lunaires ou les distribuer au compte-gouttes à des « pays partenaires », c'est aussi un soft power puissant. Se poser en premier sur la face cachée et récolter des échantillons de sol sur une zone identifiée comme prioritaire par les scientifiques américains, ce n'est pas qu'une démonstration technologique. Et cibler les bords du cratère Shackleton avec ses futurs robots et sa base lunaire, c'est un autre message.

Mosaïque d'images et mise en valeur du cratère Shackleton au pôle Sud lunaire. L'intérieur du cratère est dans l'ombre éternelle, mais il est ici mis en valeur par l'instrument Shadowcam américain © NASA / KARI/ASU

Au présent comme à l'avenir, la Chine veut que ses missions comptent sur la Lune. Et elle est prête à mettre les moyens pour y arriver. Ses succès ne sont pas des hasards.