Alors que la campagne électorale américaine se termine, l’avenir du programme de vols habités vers la Lune ARTEMIS semble très incertain. Particulièrement ambitieux, ARTEMIS est un programme éminemment politique, et très coûteux. Avec ou sans changement d’occupant à la Maison Blanche, il pourrait bien subir de nouveaux retards. Mais pour l’instant, le retour de l’homme et l’envoi de la première femme sur la Lune restent toujours prévus pour 2024.
C’est donc l’occasion pour nous de revenir sur la chronologie planifiée du programme Artemis, mais aussi sur les risques de reports et d’annulation qui planent sur lui.
Un programme très ambitieux
Ces dernières décennies, l’exploration spatiale américaine s’est organisée autour d’un véritable clivage politique. D’une part, les Démocrates ont plutôt soutenu l’exploration robotisée du système solaire lointain, dont Mars. D’autre part, les Républicains ont plutôt tenté de relancer l’exploration humaine de la Lune.
Lancé en 2017 par le Donald Trump, le programme Artemis reprend en partie les études et développement réalisés pour le programme Constellation lancé par George W. Bush. Entre 2005 et 2009, Constellation visait en effet à renvoyer des humains sur la Lune au plus tard en 2020. Lancé huit ans après l’arrêt de Constellation, Artemis affiche une chronologie ambitieuse, et potentiellement risquée pour les astronautes. En effet, Trump insiste pour que le retour des astronautes américains sur la Lune se fasse avant novembre 2024, même s’il faut pour cela réduire au minimum les vols d’entrainement.
Pour atteindre de tels objectifs sans flamber son budget, la NASA a entrepris de répartir ses efforts sur plusieurs programmes parallèles, dont certains ont été confiés à des sociétés privées ou à des partenariats internationaux. Ainsi, si les missions habitées Artemis décolleront depuis des fusées SLS (Space Launch System) développées par la NASA, l’atterrissage sur la Lune se fera au moyen du Human Landing System conçu par des entreprises privées. SpaceX, Blue Origin et Dynetics sont d’ailleurs en compétition pour fournir le HLS. La base avancée en orbite lunaire, la LOP-G (ou Gateway), sera quant à elle développée conjointement avec des partenaires européens, canadiens et japonais.
La chronologie de ARTEMIS
2021 :
Les activités de soutien décollent
Parallèlement aux composants principaux d’Artemis (le lanceur SLS, la station LOP-G et les atterrisseurs HLS), de nombreux systèmes d’appoint devraient être testés dès 2021. Il s’agira surtout de vaisseaux cargos automatiques, de ravitailleurs et de missions d’exploration. Les petits atterrisseurs Nova-C et Peregrine 1 conçus par des entreprises privées devraient ainsi voler pour la première fois.
Mars 2021 :
Sélection des industriels pour le HLS
Après avoir éliminé les projets de Boeing et Vivace, la NASA a sélectionné trois designs pour le futur atterrisseur lunaire qui amènera les astronautes de l’orbite lunaire jusqu’au sol de notre satellite naturel. En février ou mars 2021, les deux finalistes devraient être annoncés :
- Dynetics propose une solution légère et innovante, mais encore immature sur le plan technologique,
- SpaceX propose une variante dédiée de son très impressionnant Starship,
- Blue Origin conçoit son ILV à base de composants éprouvés et fiables, ce qui pourrait bien séduire la NASA.
Novembre 2021 :
La mission Artemis I décolle… sans équipage
La première mission Artemis devrait décoller du Kennedy Space Center, en Floride, au sommet de la première fusée SLS Block 1. Elle enverra autour de la Lune la première capsule Orion, équipée module de vie conçu par Lockheed Martin et d’un module de service européen construit par Airbus.
Il s’agira d’un vol entièrement automatisé destiné à tester à la fois la capsule Orion et la nouvelle fusée SLS conçue à partir des briques élémentaires de la défunte navette spatiale. Une douzaine de CubeSats accompagneront le vaisseau Orion pour étudier la Lune.
2022 :
Reconnaissance automatique du pôle Sud de la Lune
La société Masten, sous contrat avec la NASA, va expédier huit charges utiles au pôle Sud de la Lune, via une fusée Falcon 9. Il s’agira d’étudier l’environnement lunaire (topographie, radiations, etc.) dans la zone où se poseront les humains en 2024
Août 2023 :
Premier vol habité pour Artemis II
Deux ans seront nécessaires pour finir le développement d’Orion et surtout de la fusée SLS Block 1B plus puissante. Quatre astronautes seront embarqués à bord d’Artemis II qui les emmènera autour de la Lune, pour la première fois depuis la fin des missions Apollo.
Il s’agira d’une répétition générale, à la manière d’Apollo 8 en 1968. Des manœuvres d’approche spatiales pourraient être réalisées, en préparation des futurs rendez-vous orbitaux que devront réaliser les capsules Orion avec les atterrisseurs lunaires.
Fin 2023 :
Les premiers éléments de la LOP-G en route pour la Lune
Dès l’origine du programme Artemis, la NASA a prévu d’installer une station spatiale en orbite autour de la Lune. Véritable poste avancé, la Lunar Orbital Platform-Gateway doit pouvoir accueillir les équipages en transit vers la Lune et ravitailler en carburant les vaisseaux spatiaux ainsi que les HLS. Les capsules Orion viendraient ainsi y accoster, tout comme les atterrisseurs lunaires et les vaisseaux de ravitaillement.
Pour des raisons de délais de construction, la LOP-G ne devrait finalement pas être utilisée pour la première mission de retour humain sur la Lune. Fin 2023, les modules PPE et HALO devraient être envoyés ensembles dans l’espace, probablement par une Falcon Heavy. Dotés d’une propulsion modeste, ils devraient mettre environ 10 mois à rejoindre leur orbite autour de la Lune.
Mi 2024 :
Le HLS et la LOP-G se mettent en orbite lunaire
En prévision de Artemis III, le HLS pourrait progressivement se mettre en orbite lunaire dès le milieu de l’année 2024. Tout dépendra du design choisi par la NASA pour conduire le premier atterrissage lunaire de la mission Artemis.
Si l’ILV de Blue Origin est sélectionné, cet atterrisseur se composera de trois éléments envoyés par des lanceurs New Glenn et Vulcan Centaur. Leur assemblage est prévu en orbite lunaire, où viendra les rejoindre le module Orion d’Artemis III. Les options de Dynetics et SpaceX sont cependant constituées d’une unique structure, qui pourra précéder Orion de quelques jours ou semaines seulement.
Dans le même temps, il se pourrait que les modules PPE et HALO de la LOP-G se mettent également en orbite lunaire dans la seconde moitié de l’année 2024. Ils ne serviront cependant que pour la mission Artemis IV, au mieux.
Octobre 2024 :
L’équipage d’Artemis III en route pour la Lune !
Selon le plan actuel de la NASA, Artemis III devrait décoller de Floride en octobre 2024 pour une mission de plusieurs semaines avec quatre hommes et femmes à bord. Après un transit de quelques jours, la capsule Orion d’Artemis III rejoindra son HLS en orbite lunaire.
Deux astronautes, dont au moins une femme, y seront transférés avant d’entamer leur descente vers le pôle Sud lunaire. Si tout se passe bien, ils doivent y rester environ une semaine afin de mener des expériences scientifiques.
A la fin de leur séjour, un module de remontée intégré au HLS (ou le HLS en entier, s'il s'agit du Starship) renverra les deux astronautes en orbite lunaire pour rejoindre Orion. De là, les quatre astronautes reviendront sur Terre, 52 ans après leurs prédécesseurs d’Apollo 17.
2024-2028 :
L’aventure continue ?
Seules les trois premières missions Artemis sont pour le moment planifiées. Mais la NASA ne manque pas de propositions pour la suite ! De 2025 à 2030, l’agence spatiale américaine propose un vol Artemis annuel à destination de la Lune ou de la LOP-G.
Il s’agit d’ailleurs là d’un des grands avantages politiques de la station spatiale Gateway. Financée en partie par l’Europe, le Japon et le Canada, la LOP-G va nécessiter un coûteux investissement qu’il faudra forcément rentabiliser au-delà de Artemis III, qui ne fera pas appel à ses services. Cela devrait alors passer par des missions Artemis supplémentaires, embarquant si possible des membres d’équipages européens ou japonais par exemple.
Parallèlement aux missions Artemis habitées, des fusées SLS Block 1B Cargo et des lanceurs lourds privés pourraient envoyer du matériel sur le sol lunaire, à proximité des sites d’atterrissage d’Artemis.
Pour peu que le Starship de SpaceX soit sélectionné comme atterrisseur lunaire, on peut également imaginer que la LOP-G accueille, en plus des capsules Orion de la NASA, certaines missions touristiques embarquées à bord de capsules Crew Dragon modifiées ou de vaisseaux Starship.
2028 :
Une base permanente sur la Lune ?
A partir de 2024, Artemis devrait entrer dans sa phase 2, qui implique notamment d’agrandir la LOP-G avec des équipements européens, japonais et canadiens. Les HLS deviendront également réutilisables, grâce au ravitaillement en carburant depuis la station Gateway.
Mais les choses pourraient prendre une nouvelle dimension dès 2028 avec la mission Artemis VII. Cette mission pourrait être la première à envoyer quatre astronautes vers un poste avancé sur le sol lunaire, dénommé Foundation Habitat. Comme la LOP-G, cet habitat fournirait une infrastructure permanente pour les missions de longue durée, mais cette fois sur la Lune, et non plus autour d’elle.
Si cette étape est atteinte, alors d’autres modules de surface (ou même sous la surface) pourront être installés. Des usines de traitement de l’eau pourraient être envoyées dans les cratères du pôle Sud afin de produire localement de l’eau potable et surtout du carburant pour les atterrisseurs et les vaisseaux spatiaux.
2030 :
La surpuissante SLS Block 2 fait son entrée
A partir de Artemis VIII, la NASA devrait disposer d’une nouvelle variante de la fusée SLS, la Block 2. Les boosters de la SLS, qui s’inspirent aujourd’hui de ceux de la navette spatiale, devraient être remplacés par de nouveaux modèles, améliorant la poussée au décollage de 35%.
Si la charge utile vers la Lune ne passera que de 40 à 45t, le volume maximal emporté par la Block 2 Cargo sera de 905 m3 contre seulement 537 m3 pour la Block 1B Cargo. De quoi permettre d’envoyer en un seul vol des modules entiers de stations spatiales, y compris vers l’espace lointain.
Entre 2030 et 2040:
« To Mars and back » ?
Si le programme Artemis tient ses promesses, il devrait permettre de créer un écosystème industriel et diplomatique très favorable à une future exploration martienne.
Les stations en orbite lunaire, les habitats au sol et les divers lanceurs lourds nécessaires à Artemis constitueront un excellent entrainement pour les longues missions vers Mars, dans un environnement très hostile. Mieux encore, en sollicitant différents acteurs privés, la NASA devrait booster tout un pan de l’économie spatiale américaine, qui va ainsi accumuler une expertise technique et scientifique indispensable pour l’exploration du reste du système solaire.
Et si Mars est un jalon symbolique de premier ordre, l’exploration des astéroïdes ou des lunes joviennes et saturniennes pourraient s’avérer également d’une incroyable richesse.
Un planning trop ambitieux ?
Si le plan sans accroc que nous venons de vous exposer semble un peu trop beau pour être vrai, c’est sans doute parce que c’est le cas. Le principal défaut du programme Artemis est en effet son extraordinaire ambition et sa complexité.
Dès le lancement du programme, des scientifiques et ingénieurs ont ainsi rappelé qu’un retour direct sur la Lune (sans passer par un rendez-vous orbital avec l’atterrisseur ou la LOP-G) serait à la fois plus prudent, plus réaliste et beaucoup moins coûteux. Il a également été proposé de se passer de la très coûteuse fusée SLS et de transférer Orion vers la Falcon Heavy de SpaceX ou la New Glenn de Blue Origin.
Mais avec cette architecture complexe, la NASA espère enthousiasmer suffisamment de partenaires étrangers et privés pour pérenniser son programme de vols habités au-delà de 2024, peu importe l'occupant de la Maison Blanche.
Malheureusement, bien plus que la politique de Joe Biden ou les ambitions de Donald Trump, la véritable menace sur Artemis risque bien d’être microscopique : les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 pourraient contraindre les Etats-Unis et ses partenaires étatiques à réduire leurs investissements, tandis que certaines sociétés aérospatiales essentielles pourraient tout simplement ne pas survivre aux prochains mois.
Une sombre perspective qui rend la chronologie d’Artemis de plus en plus improbable.
Source : NASA