Vue d'artiste de l'assemblage des premiers modules de la station orbitale lunaire Gateway © NASA
Vue d'artiste de l'assemblage des premiers modules de la station orbitale lunaire Gateway © NASA

Une nouvelle station internationale autour de la Lune dont les modules sont déjà en préparation, une future station internationale dirigée par la Chine sur la surface près du pôle Sud… Les deux projets sont entièrement inédits et vont repousser les frontières jadis posées par Apollo. De nouvelles ambitions pour la décennie !

Si les chapitres actuels de l'exploration robotisée de la Lune sont déjà inédits et vont progresser pour ajouter de nouvelles capacités, l'exploration lunaire habitée est toujours considérée comme une affaire de héros.

Les astronautes viennent, récoltent des roches, plantent le drapeau et font quelques expéditions autour de leur site d'atterrissage avant de repartir. La Chine comme les États-Unis se préparent à répéter tout cela... Mais cette fois, les deux puissances veulent aller plus loin.

Vue d'artiste d'une base lunaire multi-composants telle que l'ILRS sur la surface lunaire © CMS
Vue d'artiste d'une base lunaire multi-composants telle que l'ILRS sur la surface lunaire © CMS

Gateway d'un côté, ILRS de l'autre

Pour ces nouvelles missions, la Chine et les États-Unis vont utiliser des architectures différentes, centrées autour de collaborations avec d'autres États. C'est un nouveau volet qui va s'ouvrir, tant pour les missions lunaires que pour la politique spatiale. Les États-Unis, de leur côté, souhaitent une station habitée située en orbite lunaire, qu'ils préparent avec leurs alliés. C'est la Lunar Gateway.

La Chine, elle, s'intéresse plus à la surface et propose l'ILRS (International Lunar Research Station) et a invité toutes les nations à venir y participer. C'est là un jeu d'alliances, car plus d'une dizaine de pays participent à l'ILRS (Russie, Venezuela, Biélorussie, Pakistan, Azerbaïdjan, Afrique du Sud, Égypte, Nicaragua, Thaïlande, Serbie et Kazakhstan).

Toutefois, la majorité d'entre eux sont des nations au très faible potentiel d'investissement comme de capacité spatiale, et la Russie fait office d'épouvantail. L'agence européenne, l'ESA, un temps intéressée par l'ILRS, a signifié qu'elle n'y participerait pas à cause des Russes. A contrario, c'est un noyau plus resserré qui participe à la Gateway avec la NASA : les agences européenne, canadienne, japonaise et émirienne fournissent toutes des éléments clés.

Vue d'artiste de la station Gateway avec une capsule Orion amarrée et tous les modules prévus (y compris cargos) © NASA

Les premiers modules de la Gateway lui assurent un avenir

Autre avantage de la Gateway, la future station lunaire n'est plus un projet sur le papier, elle est bel et bien en construction. Northrop Grumman construit actuellement le PPE (Power and Propulsion Element), qui sera le module consacré à l'orientation et aux réglages de l'orbite de la station Gateway. Ses puissants propulseurs électriques ioniques ont également été testés de longues heures dans différents environnements.

Le premier module pressurisé, l'habitat HALO qui servira aussi de laboratoire et de « hub » vers les autres segments de la station, dispose déjà de sa coque interne, fabriquée en Italie par Thales Alenia Space. Ces deux modules, qui partiront autour de la Lune grâce à un décollage sur Falcon Heavy (actuellement prévu en 2026, mais cette date sera probablement repoussée), formeront un premier assemblage en attendant les autres modules. La NASA compte sur ses partenaires pour l'aider.

L'Europe et le Japon fournissent I-HAB, un module d'habitat qui abritera le cœur du support vie pour toute la station Gateway, l'ESA construit aussi l'ensemble ESPRIT, qui servira au stockage (notamment de carburant), aux expériences et aux télécommunications, tandis que les Émirats arabes unis fournissent le sas réservé aux sorties extravéhiculaires. Le Canada se charge quant à lui de produire un nouvel emblématique bras robotisé Canadarm, pendant que la NASA et le Japon se partagent les tâches pour le ravitaillement, avec des cargos à long rayon d'action, l'un livré par SpaceX, l'autre (le HTV-X) par l'industrie japonaise.

Cette multitude de partenaires différents est à la fois un handicap (il faut des standards clairs, chacun peut être retardé par les industriels d'autres continents, etc.) et un avantage, en particulier pour la NASA, qui pâtit souvent de l'instabilité politique américaine. Les projets internationaux, surtout ceux où les Américains ont une claire place de leader, sont plutôt privilégiés. La Gateway, si elle a bien vocation à être internationale, reste en effet une initiative américaine, et ce sont donc les États-Unis qui en gardent le contrôle, y compris évidemment dans son accès.

Comme la capsule Orion est la seule à pouvoir s'y rendre avec des passagers, les États-Unis jouent la « politique du siège » vis-à-vis de leurs partenaires, pour qui un premier Européen, Japonais, Canadien ou Émirien autour de la Lune est une importante affaire de prestige. L'agence américaine, ce faisant, est aussi obligée de marcher sur un fil : un partenaire mécontent, et toute la station Gateway peut en subir les conséquences.

Le module HALO (structure interne) en préparation à Turin, dans les locaux de TAS © Thales Alenia Space

Un statut bâtard, mais des possibilités multiples

Imaginée lors de l'administration Obama, la station Gateway a toujours été sous le feu des critiques. Il y a ceux qui lui préfèrent les opérations uniquement à la surface de la Lune et qui, par conséquent, trouvent la majorité de ses modules inutiles. De l'autre côté, ceux qui préféreraient voir les efforts franchement consacrés à une base préfigurant la future exploration martienne restent sur leur faim.

Pourtant, la station Gateway est intéressante à plusieurs égards. D'abord, elle montre un savoir-faire : orbite elliptique lunaire, moteurs ioniques, assemblage international, opérations cargos… Tout cela est nouveau en orbite lunaire, et encore plus avec des missions habitées. D'autre part, les astronautes eux-mêmes n'ont jamais passé plus de 2 semaines dans un environnement lunaire, y vivre pour potentiellement quelques mois sera réellement représentatif d'un voyage long pour Mars (radiations, isolement, dangers) tout en restant à quelques jours à peine d'une relative sécurité terrestre.

Enfin, la Gateway se veut une porte ouverte sur l'exploration lunaire au sol, mais cela ne va pas sans quelques paradoxes. En effet, la première mission Artemis à amener les astronautes américains fouler le sol sélène se passe bien de la Gateway, ce qui va renforcer cette image « d'étape inutile ». Et il y a pire, car pour les missions suivantes, les véhicules pour accéder à la surface devraient normalement rester amarrés à la station lunaire entre leurs missions…

Or, un rapport récent du bureau des audits de la NASA pointe du doigt un manque de coopération entre les acteurs sur le plan technique : un Starship, par exemple, est si large et lourd qu'il serait virtuellement impossible de manœuvrer la Gateway avec le véhicule de SpaceX amarré. Pourtant, c'est aussi ce genre de déconvenues qui vont permettre de progresser. Tout est dans le respect des coûts, du calendrier et de l'audace. C'est peut-être ce qui manque (un peu) à ce projet.

Ironiquement, s'il existe de nombreux visuels des modules (ici, l'Européen Lunar View/ESPRIT avec ses 6 hublots), il manque des rendus officiels de Gateway avec Starship ou Blue Moon... © ESA

ILRS, la Chine ouvre-t-elle sa conquête lunaire ?

Lorsque la Chine a dévoilé un projet de base collaborative internationale au pôle Sud lunaire, elle n'avait pas autant montré ses capacités lors des missions Chang'e. Depuis, avec des retours d'échantillons, de la face visible comme de la face cachée, et deux missions robotisées en préparation pour établir une base et anticiper les besoins des astronautes lorsqu'ils se poseront avant 2030, la Chine est dans le concret. De quoi attirer plus d'une dizaine de nations, dont la Russie…

Cela pouvait paraître impressionnant en 2020, mais ne représente pas forcément une aide majeure pour la Chine. Ses moyens technologiques lui permettent amplement de se passer de toute capacité russe actuelle, d'autant que la dernière tentative de Roscosmos pour une mission lunaire s'est soldée par un cuisant échec. Que pourront donc apporter les Russes, sinon une histoire riche en réussites il y a cinq décennies ?

Il y a évidemment une dimension politique dans la réponse à cette question. Les pays des « nouvelles routes de la soie » ont répondu présents à la demande de collaboration de la nation dirigeante, et ceux qui refusent un « alignement » avec les États-Unis peuvent sans lourdement s'endetter s'aligner avec la Chine dans un jeu d'alliances.

Le rôle de chacun (en dehors de l'agence chinoise) est encore flou, tout comme les budgets alloués ou même l'architecture des missions. Ce qui est certain, c'est que si la Chine propose, à l'image de ce que fait la NASA, des sièges à ses alliés, ce sera sans nul doute une opportunité unique pour eux d'aller fouler la Lune. Pour peu que l'ILRS suive un rythme rapide, certains seront sur la surface avant les agences partenaires de la Gateway !

Les astronautes chinois n'ont pas manqué d'occasions de briller ces dernières années. Cela devrait se poursuivre sur la Lune ! © CMS

Le secteur privé, un autre pôle d’influence

Si le milliardaire japonais Yūsaku Maezawa n'a pas eu la patience de conserver la mission autour de la Lune qu'il avait achetée à SpaceX, l'entreprise n'est jamais fermée à l'idée de missions privées vers cet objectif. En octobre 2022, le premier touriste spatial, Dennis Tito, a d'ailleurs acheté un ticket en Starship pour un tour de la Lune.

Cela vous paraît irréaliste ? Peut-être. Mais cela ne fait pas encore 5 ans que la capsule Crew Dragon vole pour amener les astronautes de la NASA vers l'ISS, et il y a déjà eu une multitude de missions privées pour cette capsule, y compris une première dans quelques jours avec la sortie extravéhiculaire d'un milliardaire, et d'ici quelques mois, une mission en orbite polaire.

Si SpaceX ou Blue Origin montrent qu'elles sont capables d'emmener des astronautes de la NASA, elles seront ravies d'ouvrir les mêmes services à de richissimes clients. Et si un industriel (ou un patron de X.com) voulait sa base lunaire, cela nous paraît lointain, mais la clé résidera dans les plans des États et les projets de ces 5 prochaines années.

La mission Polaris Dawn paraissait bien improbable, il y a une décennie seulement © SpaceX/Polaris

Reste qu'à un horizon qui ne dépasse pas 10 ans, on ne parle plus seulement de fouler le sol de notre satellite naturel, mais d'avoir deux bases concurrentes autour de la Lune et à sa surface, sans oublier les initiatives privées. De quoi exciter de nombreux scénarios qui n'appartenaient (jusqu'ici) qu'à la science-fiction !

C'était le dernier épisode de cette « Saga de l'été » sur le futur proche de l'exploration lunaire. N'hésitez pas à nous dire si elle vous a plu en commentaire, ou à vous replonger dans les dossiers précédents.