L'objectif est limpide : envoyer à nouveau des Américains marcher sur la Lune, réitérer l'exploit avec leurs alliés, puis mettre en place une infrastructure autour et sur la Lune pour y rester. Mais si la technologie a bien progressé, les moyens ne sont plus ceux des années 60, et la NASA a un immense défi devant elle.
C'était un pari de la première administration Trump en 2018, de démarrer un ambitieux plan pour ramener des Américains marcher sur la surface de la Lune en 2024. Un objectif technologiquement et surtout budgétairement inaccessible alors, mais qui collait à un agenda politique.
Et cette année, malgré une première mission lunaire très réussie en guise de démonstration technologique, voir des astronautes fouler à nouveau la surface semble encore lointain. Artemis souffre d'un rythme lent, avec des décollages très espacés, mais très ambitieux. Reste qu'au-delà des retards, la Lune se rapproche vite.
Artemis I montre des paris réussis
16 novembre 2022. Après de nombreux reports, un compte à rebours perturbé par une fuite d'hydrogène et des doutes sur l'avenir du programme, la titanesque fusée SLS (Space Launch System) décolle et emporte la capsule Orion sur sa trajectoire vers la Lune. Une mission de trois semaines qui, pour le public, livre des images inédites et exceptionnelles d'une capsule habitable autour de notre satellite naturel. Une première depuis Apollo 17 en 1972, et surtout une démonstration technologique réussie.
À son amerrissage au large de la Californie, la capsule Orion a bouclé tout un programme de tests et montré qu'elle est viable. Il en est de même pour la SLS, que la NASA préparait pour des missions au long cours depuis le début des années 2010. Elle résulte pourtant de choix qui ont divisé les Américains, réutilisant une partie des matériels des navettes (en particulier les moteurs) tout en nécessitant de très coûteuses améliorations des infrastructures et de très longues campagnes d'essais au sol.
Le succès de novembre 2022 était plus qu'attendu pour Artemis, il était nécessaire. Très cher aussi. Plus de 40 milliards de dollars dans la mise en place du programme entre 2012 et 2021…
Assurer le retour autour de la Lune
S'il est question de mise en place, c'est qu'Artemis n'est pas un programme au coup par coup. Car si SLS peut et va évoluer, les infrastructures et sites au sol sont installés et produisent des éléments de booster, des étages, des capsules Orion. Lentement, certes, mais en série.
Un exemple : le module de service de la capsule, qui est produit et livré par les Européens. Le premier a volé fin 2022, le deuxième est en Floride, dans les derniers stades de ses tests avec la première Orion, à voler avec des astronautes, le troisième est déjà presque terminé et prendra le chemin des États-Unis d'ici la fin de l'été, et le quatrième est à Brême en préparation, alors même que sa mission ne partira pas vers la Lune avant 2027-2028 au plus tôt.
Que ce soit sur les sites de Michoud à la Nouvelle-Orléans, à la production des boosters en Utah, au Centre spatial Kennedy, c'est toute une suite de mission, une phase de l'exploration lunaire qui s'installe.
Avec Artemis II, la NASA ramènera des astronautes autour de la Lune. Pour la première fois, ils seront quatre, et pour la première fois, un astronaute canadien fera partie de l'aventure. Ainsi, Jeremy Hansen s'entraîne avec ses camarades Christina Koch, Victor Glover et le capitaine de leur « tour de la Lune », Reid Wiseman.
Le vol est pour l'instant prévu en septembre 2025, et il y a de bonnes raisons de penser que cet agenda tiendra. En effet, la fusée est déjà en place en Floride (mais en pièces détachées), l'équipage s'entraîne, l'infrastructure au sol est testée… Il ne reste plus qu'à valider quelques améliorations liées à Orion, qui ont déjà retardé la mission de 6 mois et qui ont été demandées en fin d'année dernière après l'analyse approfondie des résultats du premier vol. Il est notamment question d'améliorer et de valider le design du bouclier thermique de la capsule, plus abîmé que prévu.
Quant à leur vol, ce ne sera pas une simple redite d'Apollo 8, mais un nouveau programme de test circumlunaire sur une dizaine de jours pour être sûr que les missions suivantes, bien plus ambitieuses, disposent de bases solides et d'un véhicule fiable capable de les emporter et rapporter de la Terre à la Lune. En cela, que ce soit en 2025 ou 2026, les Américains y seront de nouveau en premier.
2026, trop tôt pour fouler le sol lunaire ?
Si Artemis II doit ramener des astronautes autour de la Lune en 2025, la prouesse technique et humaine suivante sera bel et bien de se poser sur la surface. SLS et Orion feront partie de l'aventure, il est donc logique de préparer ces deux véhicules, mais ce n'est pas la capsule de Lockheed Martin qui pourra se poser sur la Lune.
La mission décollera avec quatre astronautes et rejoindra en orbite lunaire le véhicule HLS (Human Landing System) commandé par la NASA, c'est-à-dire une version spécialement préparée du Starship de SpaceX. Ce dernier, dont nous reparlerons dans un autre numéro de cette saga de l'été, est l'élément clé pour amener les astronautes sur la surface et les ramener en orbite lunaire. Il devrait se poser au pôle Sud avec deux astronautes (la première femme et le premier homme de couleur, dixit l'agence américaine), les deux autres restant au sein d'Orion pour cette mission.
Reste que le calendrier soulève encore des questions. Artemis III est pour l'instant annoncée en 2026, soit dans deux ans et demi. C'est peu pour Starship, d'autant que le développement et les vols de tests vont devoir hausser de rythme. La NASA attend une démonstration de mission lunaire sans astronautes avant d'envoyer ses futurs héros fouler le régolithe. 30 mois, c'est peu. Mais les États-Unis n'ont pas d'impératif ultime à respecter la date de 2026, sinon pour préserver le niveau des budgets… La Chine ne menace pas de se poser avant eux à cette échéance.
Les missions Artemis de la fin des années 2020
Aucune des missions Artemis prévues pour l'instant ne ressemble vraiment à la précédente. Artemis IV, qui est pour l'instant prévue en 2028, exhibera quelques nouveautés. La première, c'est le lanceur. Le Space Launch System va évoluer, car la NASA et Boeing remplacent son deuxième étage (capable de s'allumer plusieurs fois en particulier pour quitter l'orbite terrestre et atteindre la Lune).
Doté d'un seul moteur aujourd'hui, le SLS va disposer de quatre moteurs plus puissants, avec l'EUS, Exploration Upper Stage, un étage plus lourd, mais beaucoup plus performant. Quelle est son utilité ? Tout simplement de pouvoir propulser plus que juste la capsule Orion vers la Lune. Sur Artemis IV, il s'agira d'un module habitat destiné à la station orbitale lunaire internationale, la Gateway. Orion et ce module I-Hab iront s'amarrer à la station, y passeront quelques jours et retrouveront un Starship HLS pour un nouvel aller-retour vers la surface. Artemis IV sera probablement la dernière mission lunaire américaine habitée de cette décennie.
Artemis V apportera elle aussi un changement majeur, avec l'introduction d'un deuxième atterrisseur lunaire, que la NASA a commandé (sous la pression politique) à Blue Origin, qui mène un consortium de constructeurs américains. Blue Moon, après avoir elle aussi atteint la surface lors d'une mission de démonstration, amènera entre 2 et 4 astronautes sur la surface à l'horizon 2030.
Artemis V, qui disposera d'autres petites nouveautés (notamment des moteurs neufs pour le premier étage), terminera pour ainsi dire une « phase » du projet lunaire américain, lequel se concentrera ensuite sur des missions plus longues et l'établissement d'habitat proche du pôle Sud lunaire. Au service de ces futures missions, la NASA a déjà commandé le développement de véhicules, les futures « Jeep lunaires » américaines. Le Japon de son côté, s'est engagé à fournir un très large véhicule.
Artemis, aussi un jeu d'alliances
La force du programme Artemis, en plus d'être supporté à la fois par les politiciens américains démocrates et républicains, c'est d'avoir permis à des partenaires de longue date de participer directement au projet et aux missions lunaires. Canadiens, Japonais, Européens n'ont pas raté le coche et jouent des rôles importants dans cette (re)conquête lunaire, même si de nombreux acteurs déplorent le fait d'être traités en vassaux.
La réalité budgétaire ne fait pourtant aucun doute : les États-Unis pourraient y arriver sans leurs alliés, cela leur prendrait tout simplement quelques années et quelques milliards de plus. Sans les « tickets » obtenus des Américains, leurs alliés devraient tout simplement attendre quelques décennies supplémentaires pour y arriver par leurs propres moyens, ou attendre l'avènement des vols privés commerciaux (lesquels ne viendront pas, en l'état actuel des choses, du Canada, du Japon ou de l'Europe).
Alors, à quand les premiers pas d'un Européen sur la Lune avec Artemis ? Eh bien, la réponse n'est pas encore tombée. Le seul équipage international confirmé aujourd'hui est celui d'Artemis II avec un Canadien. Un Japonais marchera sur la Lune également. Mais patience, les places arriveront…
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