Konnichiwa ! (en vrai, c'est Buzz Aldrin, vous l'aurez reconnu) © NASA
Konnichiwa ! (en vrai, c'est Buzz Aldrin, vous l'aurez reconnu) © NASA

Ce 10 avril, l'agence spatiale américaine a jeté le pavé dans la mare. Au terme d'un accord renforcé dans le projet Artemis, le Japon obtient deux places sur des missions qui se poseront sur la surface lunaire. Ils devanceront leurs collègues européens... mais pourquoi ? L'explication est à la fois simple et très politique.

Des sourires, une signature, et surtout une grande déclaration à la clé. Ce 10 avril à Colorado Springs, en marge de l'une des grandes conférences annuelles du secteur spatial, la NASA et son homologue japonaise, la JAXA, ont cimenté un accord préparé de longue date. Et l'annonce a fait l'effet d'un coup de tonnerre.

Un astronaute japonais sera donc le premier non-Américain à fouler le sol lunaire dans le cadre du projet Artemis. D'abord, c'est une ouverture qu'il convient de saluer, car jusqu'à une déclaration de la vice-présidente américaine Kamala Harris en décembre dernier, il n'était pas acté que la NASA emmènerait ses partenaires internationaux sur la surface lunaire. Ensuite, il faut comprendre que cet accord est conditionnel.

Ce n'est pas gratuit

En effet, il ne s'agit pas que d'une bonne entente internationale entre partenaires japonais et américains. Si le contexte de la région Asie-Pacifique y est favorable (pivot américain, accords de défense AUKUS) et permet un appui politique, il s'agit bien d'un échange. Ces places pour des astronautes japonais, la JAXA les a négociées en échange de l'apport d'un grand véhicule lunaire pressurisé, véritable base mobile, sur laquelle les équipes japonaises travaillent en amont depuis plusieurs années.

Baptisé « Lunar Cruiser » et développé sur une base publique-privée avec Toyota, il est question de ce véhicule depuis 2020, mais il s'agissait alors d'un concept dont le design n'était pas figé, tout comme les contours exacts du projet. Désormais, la JAXA s'est engagée à livrer cet imposant véhicule pour qu'il soit envoyé sur la surface lunaire d'ici 2031 au plus tôt, entre les missions Artemis VI et VII.

L'administrateur de la NASA devant la maquette de rover pressurisé japonais © NASA
L'administrateur de la NASA devant la maquette de rover pressurisé japonais © NASA

Le Lunar Cruiser devra, comme ses cousins plus petits récemment financés par la NASA (les LTV, pour Lunar Terrain Vehicle), être pilotable depuis la Terre ou la Lune, offrir un sas, accueillir deux astronautes pour des durées allant jusqu'à 30 jours et fonctionner sur la Lune environ 10 ans. Il s'agit ni plus ni moins du véhicule d'exploration à roues le plus grand et le plus ambitieux de toute l'histoire spatiale !

Pourtant, ce n'est pas qu'une annonce. Dans le cadre de l'accord du 10 avril, l'envoi d'un astronaute japonais sur la surface lunaire est bel et bien conditionné à l'avancée des travaux sur le rover. Si tout se passe bien, cet astronaute fera partie de la mission Artemis IV, pour l'instant envisagée en 2028-2029. Calendrier qu'il faut évidemment prendre avec des pincettes…

Des remous logiques en Europe

En Europe, cette décision de la NASA a fait beaucoup de bruit. Et en effet, en mettant de côté cet impressionnant Lunar Cruiser, l'ESA en fait sur le plan comptable bien plus que son homologue japonaise au service du programme Artemis. L'Europe spatiale fournit le module de service de toutes les capsules Orion, et elle s'est aussi lourdement investie dans la future station en orbite lunaire, la Gateway. Alors, comment comprendre que ce soit un Japonais qui foulera la Lune avant un Européen ?

D'abord, il faut savoir que pour la NASA, chaque poste est différent. La livraison des modules de service d'Orion n'est en réalité pas purement une contribution au programme Artemis. Il s'agit du « paiement en nature » de l'ESA pour sa participation actuelle à l'ISS depuis la fin des cargos automatisés ATV. Plutôt que de donner de l'argent, l'ESA fournit les modules de service d'Orion. Donc, par extension, pour les Américains, c'est déjà une rétribution, pas besoin de nous offrir des places en échange.

Et puis, c'est marqué ESA dessus, hein... © NASA / ESA

De la même façon, la station Gateway est gérée comme une entité à part entière pour Artemis, et ceux qui y participent obtiennent des sièges soit pour des missions autour de la Lune, soit pour des missions dans cette station Gateway. L'ESA, qui est la plus grande contributrice hors États-Unis, dispose de trois « sièges », le Canada deux (dont celui qu'occupe Jeremy Hansen sur la mission Artemis II), les Émirats arabes unis un siège, et le Japon un également, en plus des places pour des missions à la surface.

On peut tout à fait critiquer cette forme de vassalisation face aux États-Unis. En gros, ces derniers monnaient des places sur des missions dans des infrastructures qui, sans les partenaires internationaux, n'existeraient pas. Mais chaque agence savait, en s'y engageant, dans quels termes seraient menées les négociations. In fine, chaque partenaire devrait s'y retrouver, mais les frictions naissent parce que les missions Artemis, du moins d'ici la fin de la décennie, seront rares. Artemis II en 2025, peut-être Artemis III en 2026-2027, puis Artemis IV… Il n'y en a pas pour tout le monde.

À jamais les deuxièmes

Enfin, le président Biden, lorsqu'il a annoncé qu'un Japonais serait le premier non-Américain à marcher sur la Lune, aurait bien fait d'ajouter dans la même phrase « dans le cadre du programme Artemis ». Car la Chine pourrait bien voler ce titre à la fois aux Japonais et aux Européens.

Son propre alunissage est prévu en 2029-2030, et ce plan progresse à grands pas ces dernières années. Et n'oublions pas les privés, qui commencent à promettre la Lune à leurs clients…

Source : SpaceNews