Ces dernières années, on assiste à un florilège de tentatives pour poser des robots sur la Lune. Mais les grands absents sont les États-Unis ! Les missions sont en préparation, et les bijoux de technologie des acteurs publics-privés sont prêts à partir. Feront-ils mieux que les autres ? Pas sûr…
Après un échec en 2019, l'Inde a réussi son pari en atterrissant avec succès sur la Lune cet été. La Chine, après une incroyable série de missions, prépare son aventure la plus ambitieuse pour l'année prochaine. Israël et le Japon (dont la mission SLIM est en route) ont tenté à leur tour d'envoyer des robots se poser doucement sur la surface sélène. Reste que depuis 1972, la nation qui a le plus exploré le Système solaire n'a rien envoyé sur notre satellite naturel. Une anomalie ? Certes, mais cela ne va pas durer.
Un passage au public-privé presque inattendu
On l'oublierait, mais dans les années 2000, la NASA a initié plusieurs missions lunaires, incluant des orbiteurs, un impacteur et le satellite d'observation à très haute résolution LRO (Lunar Reconnaissance Orbiter). Cela devait venir au service du programme Constellation de « reconquête » lunaire, qui a finalement coulé pour des raisons budgétaires et techniques au tournant des années 2010.
Cet arrêt a de facto annulé de nombreux projets consacrés à l'étude de la surface en s'y posant, y compris des rovers. On a ensuite retrouvé ces projets sous une autre forme, prévus pour la fin de la décennie 2010. Mais tout cela devenait cher, et l'administration de la NASA sous Donald Trump, tout en lançant le programme Artemis, a décidé de changer toute l'architecture des projets robotisés concernant la surface lunaire. C'est le programme public-privé CLPS.
Le CLPS, ou Commercial Lunar Payload Services, est, dans le principe, assez simple. Ce soutien à l'industrie fait que la NASA ne développe plus les véhicules pour conduire ses expériences, rovers ou autres charges utiles sur la surface lunaire, mais achète ses places sur des missions privées. L'agence américaine accepte de payer un tarif « premium » pour couvrir une partie du développement des véhicules, mais c'est aux opérateurs et à l'industrie de s'adapter aux prix ou de se découvrir de nouveaux débouchés commerciaux.
En l'état, trouver des clients qui veulent acheter de l'espace et de la masse sur un atterrisseur lunaire est un véritable sacerdoce. À part quelques nations (comme les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni ou l'Australie) qui profitent de ces voyages, les acteurs privés ne se bousculent pas. Par conséquent, les industriels engagés avec la NASA, surtout des start-up et de petites structures, ont eu beaucoup de mal à financer le développement de leurs véhicules lunaires. Ainsi, Orbit Beyond, qui faisait partie des sélectionnés, s'est retirée de son contrat CLPS, faute de moyens pour réussir la mission. Masten Space, elle, a fait faillite.
(Aussi) une histoire de fusées
N'y a-t-il pas de risques que les missions échouent autour ou sur la Lune parce qu'elles ont été financées au prix plancher par des opérateurs privés qui ont eu du mal à lever les fonds ? C'est une possibilité bien réelle, et la réalité montre que les tentatives « low cost » n'ont pas réussi pour l'instant à conquérir la Lune, avec les échecs de Beresheet (2019) et d'Hakuto-R (2023). En 2022, le responsable scientifique de la NASA, Thomas Zurbuchen, expliquait d'ailleurs qu'il s'attendait à voir un taux d'échec de 50 % environ sur les missions CLPS à venir !
Mais il y a un autre effet aux économies : la disponibilité des fusées. Nous en parlons régulièrement, à part SpaceX qui décolle une à deux fois par semaine, le monde manque de lanceurs suffisamment capables. Ainsi, pour faire des économies, Astrobotic a acheté sa place sur le décollage inaugural de la fusée américaine Vulcan. Pas de chance, l'atterrisseur serait prêt depuis des mois, mais United Launch Alliance a beaucoup de retard sur la mise en service de son nouveau lanceur…
Nova-C sera finalement le premier ?
Les différentes entreprises du CLPS ont fini par annoncer régulièrement leur décollage vers la Lune « dans 6 mois » pour finalement repousser la date. Mais Intuitive Machines est récemment sortie du lot avec son atterrisseur Nova-C et sa mission IM-1. L'entreprise installée à Houston a en effet annoncé que son véhicule était prêt, et a même donné la date de son décollage prévu avec une fusée Falcon 9 de SpaceX, le 16 novembre prochain.
Précisons que si, pour une raison ou une autre, l'atterrisseur lunaire ou la fusée n'étaient pas prêts à temps, une autre fenêtre de tir est prévue en décembre. Nova-C est un véhicule imposant, qui pèse 1,9 tonne au décollage et mesure 3 mètres de haut. Il embarque 11 charges utiles de différentes tailles, dont 5 expériences de la NASA et 6 « cargos », dont une petite sculpture de Jeff Koons.
Intuitive Machines, par la voix de son directeur général Steve Altemus, s'est déclarée optimiste quant à ses chances de réussir à se poser. Les années supplémentaires passées au sol ont servi à l'entreprise à peaufiner en particulier son algorithme de pilotage. Et les erreurs qu'ont faites les autres véhicules (à l'image de Luna 25 ou Hakuto-R) ont été simulées pour que Nova-C sache comment se comporter dans ces situations spécifiques, mais qui peuvent rapidement être fatales. En tant que premier véhicule américain à tenter de s'y poser depuis 1972, il y aura cependant une certaine pression sur ses épaules !
Astrobotic en embuscade
Des contrats CLPS, la NASA en a passé plusieurs. Outre celui de la première mission d'Intuitive Machines (IM-1 a coûté 77 millions de dollars aux contribuables américains), Firefly Aerospace, Draper et Astrobotics ont toutes des contrats du même genre. L'entreprise iSpace japonaise, qui prépare le successeur de son atterrisseur Hakuto-R, participe également au programme.
Alors, on peut s'attendre à 5 à 6 missions robotisées dans les 3 ou 4 années à venir, commandées uniquement pour les besoins américains. Une manne, et ce, avant même que les astronautes retournent y poser les pieds. Il est probable qu'Astrobotic soit la deuxième entreprise à tenter l'aventure, avec son petit atterrisseur Peregrine qui est déjà prêt (ses moteurs manquent encore à l'appel, mais ils seront montés en Floride juste avant l'assemblage avec le lanceur). Dès que Vulcan entamera sa première campagne de vol, on reverra Peregrine sur le devant de la scène.
Peregrine pèse 1,3 tonne, et il est un peu plus compact que son concurrent Nova-C, bien que ses caractéristiques soient similaires pour l'emport de charges utiles. Astrobotic a cependant réussi à attirer des sponsors privés pour sa mission, partiellement financée grâce à un accord avec le logisticien DHL. Comme Intuitive Machines, Astrobotic prévoit déjà 2 à 3 missions pour son véhicule. De là à savoir s'il arrivera à se poser de son côté…
Des retards, oui, mais des succès ?
Entre les retards de ce programme (à l'origine, les chèques de la NASA devaient servir de stimulants, et les véhicules étaient censés décoller à partir de 2019) et les incertitudes sur les potentiels succès à venir, rater une ou plusieurs missions pourrait coûter très cher à ces petites start-up. Le pari de la NASA est que cela ne transpirera pas sur sa capacité à envoyer des missions lunaires ni sur la perception du public.
Pourtant, on peut se poser la question, les aventures largement relayées de l'Inde et de la Chine ayant fait le tour du monde. Mieux, en construisant en interne une véritable suite de missions toujours plus ambitieuses les unes que les autres, la Chine avec son programme Chang'E dispose aujourd'hui d'outils que ni la NASA ni les opérateurs privés ne peuvent lui apporter.
L'an prochain, alors que les premières missions CLPS auront lieu, la Chine devrait envoyer son deuxième relais de communication vers la face cachée de la Lune avant d'y faire atterrir la mission Chang'E 6, qui creusera et renverra sur la Terre les tout premiers échantillons de l'autre côté de notre satellite. Privées ou pas, la NASA va devoir muscler ses missions robotisées !