Étrange profil pour ce petit atterrisseur lunaire, non ? © JAXA
Étrange profil pour ce petit atterrisseur lunaire, non ? © JAXA

Ce petit véhicule japonais, qui a décollé début septembre, est aussi appelé le « Moon Sniper ». Cela montre bien son ambition, qui est de se poser de façon autonome à moins de 100 mètres de sa cible sur le sol lunaire. Une démonstration bien plus complexe qu'il n'y paraît, que les constructeurs privés vont observer de près.

Le 6 septembre, dans la fusée japonaise H-2A qui emportait le télescope XRISM en orbite autour de la Terre, il y avait un copassager bien particulier. Il s'agit d'un petit véhicule, japonais lui aussi, qui ne ressemble même pas aux atterrisseurs lunaires classiques, à commencer par sa taille : 2,4 x 2,7 x 1,4 mètres !

Pourtant, SLIM (Smart Lander for Investigating Moon) a bel et bien démarré son trajet pour rejoindre le régolithe, non loin de l'équateur sur la face visible. Il s'agit d'un véhicule de démonstration, car à l'ère de l'imagerie de précision en orbite lunaire, le Japon veut montrer que ses atterrisseurs peuvent se poser à moins de 100 mètres de leur objectif de départ. Et sans aide ! Pour cela, SLIM est aussi appelé le « Moon Sniper ».

La fusée H-2A contenant SLIM et XRISM sur son site de lancement à Tanegashima © JAXA
La fusée H-2A contenant SLIM et XRISM sur son site de lancement à Tanegashima © JAXA

Un problème pour rejoindre les sites intéressants

Les plus avancées des agences spatiales autour du monde savent à présent comment concevoir et réaliser des missions en orbite lunaire, et plusieurs d'entre elles ont déjà envoyé autour de notre satellite naturel des capteurs photographiques à haute résolution (quelques dizaines de centimètres). L'une des avancées qu'elles ont permises est qu'il est désormais beaucoup plus facile pour les agences de déterminer des objectifs scientifiques avec un maximum d'intérêt pour les missions à venir. Eh oui, il n'est plus question comme à l'époque d'Apollo et de Luna de « simplement » étudier une très large zone, voire d'en ramener des échantillons.

À l'inverse, il est de plus en plus convoité d'aller observer et analyser des zones restreintes, comme les cratères au pôle Sud (on y soupçonne la présence de grandes quantités de glace d'eau), différents affleurements rocheux, des restes d'astéroïdes et d'anciens « tubes de laves ». Mais ces petites zones, il faut bien les rejoindre.

Mini SLIM, maxi intentions

C'est une difficulté majeure, car généralement, les atterrisseurs lunaires robotisés ont une précision d'impact qui ne se compte qu'en kilomètres, voire plus. Et plus on veut être précis, plus il faut de la complexité et de la masse… ou des pilotes. Rappelons en effet que c'est Apollo 14 qui détient le record en s'étant posé à 50 mètres de sa cible initiale.

Bref, avec SLIM, l'agence japonaise (la JAXA) a deux objectifs principaux : faire qu'il atterrisse seul, en utilisant ses nouvelles technologies de reconnaissance d'image et de contrôle de vol, et montrer la fiabilité de composants spatiaux plus légers sur l'ensemble de la mission. Pour cela, SLIM ne pèse que 200 kilos à vide (730 kilos avec le plein), c'est un véhicule compact, même si c'est le premier de l'agence japonaise à tenter de se poser sur la Lune.

Il ressemble plus à un petit satellite... © JAXA

Innovation à tous les étages

Chaque élément de SLIM a été pensé pour être le plus léger et efficace possible. Les panneaux solaires, par exemple, ne sont pas mécaniques. C'est un film avec des cellules solaires, souple et attaché aux parois du véhicule par un système Velcro. Les batteries sont d'une technologie moderne au lithium, et le boîtier de distribution de puissance a été réduit de taille.

C'est la même chose pour les autres composants de SLIM. Il n'y a pas de grande structure de jambes et de patins pour l'atterrissage, mais 5 absorbeurs de choc déformables, en aluminium imprimé en 3D. Le réservoir est double pour accueillir les deux ergols (séparés, évidemment), et sa structure fait partie intégrante de la résistance mécanique du véhicule, tandis que côté propulsion, il n'y a qu'un double moteur de forte puissance et 12 petites unités pour contrôler l'attitude et les manœuvres précises. Enfin, il y a eu des efforts particuliers de faits pour alléger le radar et le système de navigation optique, qui sont les deux éléments indispensables pour un atterrissage autonome réussi.

SLIM lors des derniers préparatifs avant la mise sous coiffe © JAXA

Parcours du combattant

Comme SLIM optimise sa masse, il est nécessaire de n'utiliser que des manœuvres économiques en carburant, mais aussi en budget. Côté finances, le décollage vers l'orbite basse en tandem avec le télescope XRISM est un bon plan, mais cela implique aussi que l'atterrisseur lunaire démarre sa mission en orbite basse terrestre : la Lune est bien loin !

Résultat, il faut une trajectoire qui utilise le moins de carburant possible. C'est pourquoi, après une première vérification de ses systèmes (tout s'est bien passé), l'atterrisseur va progressivement augmenter l'altitude maximale de son orbite, la transformant en une énorme ellipse, jusqu'à survoler la Lune.

Vue d'artiste du double moteur principal de manœuvre, qui servira à la fois pour les orbites et pour le rétrofreinage au-dessus de la surface © JAXA

En s'aidant de l'attraction gravitationnelle de cette dernière (grâce à l'effet de fronde), et avec une manœuvre très précise, SLIM entamera dès lors une très longue parabole, ajustant même sa trajectoire grâce aux forces du vent solaire, pour arriver et freiner, après environ 4 mois de trajet total, soit une arrivée autour de la Lune au Nouvel An 2024. Il restera ensuite à ajuster l'orbite pour descendre jusqu'à environ 15 x 600 kilomètres. Cela inclura des passages à très basse altitude très importants pour SLIM. Le radar sera allumé pour établir des profils d'approche du point d'atterrissage.

Le logiciel pour se poser repensé

Comme pour la majorité des autres véhicules modernes, l'atterrissage sur le sol lunaire sera mené en toute autonomie. L'approche de SLIM consiste à s'autoguider pour freiner un maximum et éliminer quasiment toute la vitesse horizontale jusqu'à environ 7 kilomètres au-dessus de la surface.

Ensuite, le véhicule continuera de se guider, mais essentiellement grâce à un programme d'approche qui reposera sur la vision optique : reconnaissance du site sur les images, approche et évitement au besoin des obstacles dans les dernières centaines de mètres. Le Japon annonce d'ailleurs que sa suite électronique embarquée pour cette mission est l'une des plus puissantes et compactes du genre pour des calculs en temps réel (non sur des processeurs classiques, mais avec des FPGA).

La manœuvre de SLIM pour se poser sur les pentes lunaires © JAXA

N'oublions pas que si la JAXA serait déjà très contente de devenir la 5e nation à se poser sur la Lune (après l'URSS, les États-Unis, la Chine et l'Inde), elle a pour ambition d'atterrir très précisément. Le site choisi est juste à côté du cratère Shioli (13.3°S ; 25.2°E), et il a été choisi non parce qu'il est « shioli », mais justement parce qu'il est compliqué, en particulier car les cratères environnants ont des pentes marquées.

SLIM est donc conçu pour approcher à la verticale avant de basculer sur le côté dans les derniers mètres, au moment où les deux moteurs principaux s'éteignent. Il va littéralement se coucher sur la Lune ! L'atterrisseur lui-même, en plus de ses imageurs et du radar, ne possède qu'un seul instrument scientifique, un spectromètre, pour analyser les propriétés des matériaux à la surface.

Minipassagers à bord

Juste avant de se poser, SLIM éjectera ses deux petits passagers, le LEV-1 (Lunar Excursion Vehicule-1) et Sora-Q. Le premier est un petit robot « puce » équipé d'une plaque amovible qui lui servira de mode de propulsion. Il fait des sauts sur la surface, se pose, puis se remet droit avant de prendre des photos. Le deuxième est encore plus petit, avec seulement 8 centimètres de diamètre. C'est une espèce de robot-boule capable de séparer ses deux demi-sphères pour rouler dans le régolithe, avec en son centre une petite caméra de navigation. Risqué ? Oui, mais il ne s'agit pas d'un enjeu majeur pour SLIM. Ce sont avant tout d'autres démonstrations technologiques pour des missions futures.

Le minuscule robot Sora-Q en version repliée. On ne voit que sa petite caméra © JAXA

SLIM est un marqueur important pour la JAXA. En effet, l'agence japonaise n'a pas les moyens de son homologue américaine, même si elle est partenaire du programme spatial Artemis. Toutefois, avec ce type de mission, elle compte se démarquer et prouver son excellence technologique, tout en mettant ensuite les outils développés (tous ou une partie d'entre eux) à disposition de son industrie nationale, laquelle compte d'ambitieuses et capables start-up. C'est le cas d'iSpace qui, au printemps, a raté sa première mission lunaire, Hakuto-R, à cause d'une erreur dans son programme d'approche et d'atterrissage.

La JAXA, en plus d'avoir un programme pour au moins un autre atterrisseur/rover (LPE, Lunar Polar Exploration, ainsi que des projets avec l'ESA) participe à la future station lunaire Gateway. Réussir à se poser sur la Lune du premier coup permettrait de s'affirmer comme un partenaire de poids.