Spoiler alert : ça ne s'est pas vraiment terminé comme ça pour Hakuto-R... © iSpace
Spoiler alert : ça ne s'est pas vraiment terminé comme ça pour Hakuto-R... © iSpace

C'est vrai, les moyens de calculs logiciels sont beaucoup plus évolués, les propulseurs sont plus fiables, les communications sont meilleures… Non ? Alors, comment expliquer que depuis début 2019, ce sont trois missions qui se sont écrasées sur la surface ? La réponse se cache dans les moyens, et dans les détails.

En une décennie, il y a une histoire qui tient du succès insolent et plusieurs ratés pour se poser sur la surface lunaire. D'abord la Chine, qui réussit en 2013 (Chang'e 3), puis 2019 et 2020 (Chang'e 4 et 5) à faire descendre et atterrir ses missions sur les faces visibles et cachées de la Lune. Et en face, l'agence spatiale indienne avec Vikram, la petite entreprise israélienne SpaceIL et son atterrisseur Beresheet ainsi que le véhicule Hakuto-R des Japonais d'iSpace. Ces trois derniers ont un point commun : ils se sont crashés sur la surface lors de leur manœuvre d'approche finale, alors que jusque-là, leur trajet avait été impeccable. Mais alors, 50 ans après Apollo, comment est-ce encore possible ? Avec des moyens modernes, en plus ? Et comment se fait-il que la Chine y arrive, et pas les autres ?

En 2013, la Chine a fait croire à tout le monde que c'était facile (photo prise par le petit rover Yutu) © CNSA
En 2013, la Chine a fait croire à tout le monde que c'était facile (photo prise par le petit rover Yutu) © CNSA

Comment faire pour se poser sur la Lune ?

Oui, finalement, c'est la bonne question à se poser : pour bien comprendre comment alunir, observons les techniques qui fonctionnent. Le principe de base, pour une mission robotisée, consiste d'abord à disposer d'un véhicule tout automatisé. En effet, malgré les temps de transfert de données relativement courts (les échanges complexes peuvent prendre quelques secondes), le freinage et l'approche finale ne peuvent être pilotés depuis la Terre, il n'y aurait pas la réactivité suffisante.

C'est d'ailleurs le même principe qu'il s'agisse de la face visible de la Lune ou de sa face cachée, à ceci près que pour récupérer les données depuis la face cachée, il vous faut un satellite ou une sonde relais. Une fois ceci acquis, il faut un bon ordinateur de bord, des propulseurs et leurs réservoirs d'ergols, des capteurs optiques et un radar, ces deux derniers étant capables de fonctionner à une cadence de quelques mesures par seconde. Enfin, nous recommandons des pieds pour votre véhicule, histoire d'absorber un choc raisonnable de 1 ou 2 mètres par seconde, voire d'être capable de faire un (petit) rebond sur la surface lunaire. Juste au cas où.

Séparation de l'atterrisseur Chang'e 5 avant sa descente vers la surface. Du solide ! © CNSA

La descente est menée sur un modèle relativement unique. Il faut d'abord être en orbite basse, avec un périapse (le « point le plus bas » de l'orbite) autour de 25 à 50 kilomètres au-dessus de la surface. Cette orbite fait passer la trajectoire sur le point où vous souhaitez vous poser. Au moment opportun, l'atterrisseur entame sa séquence, s'oriente et freine au maximum afin de réduire comme une peau de chagrin sa vitesse horizontale par rapport au sol.

Maintenant, l'atterrisseur chute, et plus il chute à la verticale, plus il est facile d'ajuster l'action du freinage. Les capteurs optiques et radars sont censés donner l'information de distance par rapport au sol. L'ordinateur de bord va ensuite piloter le moteur et l'orientation de façon à ce que, à quelques centimètres ou mètres du sol lunaire, il n'y ait plus ni déplacement horizontal ni vertical. Puis c'est le moment de l'éteindre (ou de passer à un régime minimal) et de se laisser doucement tomber sur les pattes de l'atterrisseur.

Si tout va bien, voilà, votre véhicule est posé sur la Lune. Et sinon ? C'est probablement le moment où vous avez perdu le signal et toute la télémesure. Vous vous êtes planté quelque part.

Pourquoi la réussite, ça coûte cher ?

La Chine est considérée comme un véritable modèle pour ses missions lunaires Chang'e, car elles ont été des réussites. Mais ces dernières ne sont pas venues de nulle part. Déjà, le pays a investi massivement dans des outils de simulation. Et ne pensez pas uniquement à des logiciels, on trouve aussi un portique de plusieurs dizaines de mètres de haut, avec un sol lunaire peint par terre et un véhicule suspendu par des câbles. Pensez aussi à des missions menées par hélicoptère pour tester les radars, à de longs moments que le matériel a passés dans des chambres à vide.

L'entraînement des astronautes Apollo sous portique, avec une simulation du sol lunaire à partir des clichés. Ce ne sont pas de petites installations ! © NASA

Tout ceci coûte très cher, des centaines de millions de dollars lorsque le véhicule se pose sur la Lune. Et les atterrisseurs chinois, parlons-en. 3,8 tonnes sur la balance pour Chang'e 3 (le premier du pays à s'y poser), un véhicule robuste. Il est doté d'énormes réserves d'ergols, de propulseurs performants (mais aussi de la marge en secours), avec des redondances à tous les niveaux (capteurs, ordinateurs de bord, radar…) et des équipes de dizaines d'ingénieurs, chercheurs et techniciens pour travailler plusieurs années sur la mission.

Sans oublier les préparations avec les missions lunaires précédentes : pour le retour d'échantillons Chang'e 5, la Chine avait envoyé une mission avec une vraie fausse capsule d'échantillons, qui a permis de simuler le retour à travers l'atmosphère terrestre. Des moyens, de nombreux systèmes de secours et du temps.

L'échec indien de Vikram, même les États ne sont pas à l'abri

L'Inde avait préparé minutieusement sa mission Chandrayaan-2, qui a décollé en 2019 avant de se placer en orbite lunaire et d'éjecter l'atterrisseur Vikram, lequel a tenté de se poser sur la Lune le 6 septembre de la même année. Mais souvenez-vous du paragraphe précédent : Vikram est plus petit (1,4 tonne), moins robuste, et surtout, il y a eu moins de moyens de tests et de simulation.

Or, que l'on soit dans les années 60 ou en 2019, lorsqu'il s'agit de descendre sur la Lune, la moindre erreur envoie toute la mission au tapis. C'est notamment la raison pour laquelle il y a eu de nombreux échecs américains et soviétiques, et que les premières réussites étaient « toutes simples », l'extrême complexité résidant dans la mission, et pas dans l'objectif une fois posé.

L'atterrisseur indien Vikram et son petit rover n'ont jamais pu accomplir leur mission à la surface © ISRO

Vikram, lui, a réussi une grande partie de sa descente. Mais, dans les derniers instants avant de se poser, il a dévié de sa trajectoire. L'agence indienne n'a jamais expliqué à 100 % le problème, mais il serait dû à une erreur logicielle. L'ordinateur de bord, sous les 7 kilomètres d'altitude, n'a pu piloter et freiner avec suffisamment de précision pour amener l'atterrisseur doucement sur la surface, et ce dernier s'est crashé à environ 50 m/s (180 km/h).

S'agissant alors de la plus chère des missions d'exploration indiennes, cet accident avait fait grand bruit. Mais les agences nationales ne sont pas immunisées contre les problèmes logiciels. Les moyens des ordinateurs de bord sont évidemment plus performants que ceux des missions d'il y a 50 ans, mais ils sont toujours vulnérables aux erreurs, aux particules cosmiques et aux imprévus. Le succès de tous les atterrissages des missions Apollo reposait aussi énormément sur les épaules des astronautes, qui ont su prendre les bonnes décisions en quelques fractions de seconde pour gérer les commandes. Et les marges dont ils disposaient étaient plus amples que pour la majorité des missions robotisées d'aujourd'hui !

Beresheet, le gyro est hors ligne, ne quittez pas

Avec 585 kilos au lancement, Beresheet (de l'entreprise israélienne SpaceIL) est un poids léger par rapport aux exemplaires précédents. Il s'agit en plus d'un développement privé, même si l'on peut arguer qu'une partie des fonds, apportés par l'industriel étatique IAI, n'étaient pas entièrement hors de la sphère publique. Cela implique des coûts serrés, des matériels qui ne sont pas toujours redondants et, naturellement, plus de sources d'erreur.

Elle est là aussi, la différence avec les missions des années 60 : il s'agit pour les « petits modèles » d'atterrisseurs lunaires, d'équipes de quelques dizaines de personnes au maximum, avec des composants achetés sur étagère, dont le risque est considéré comme élevé, à la mesure de la réussite (si elle a lieu). De plus, Beresheet n'a pas été envoyé vers la Lune dès son décollage, il a fallu une suite complexe de manœuvres avec son moteur principal et 5 mois pour que le véhicule parvienne sur son orbite finale avant de descendre vers la surface. Autant de temps pour que l'électronique vieillisse et soit plus sensible aux pannes.

Vue d'artiste de l'atterrisseur Beresheet qui devait se poser sur la Lune en 2019. Il s'y est écrasé quelques semaines avant Vikram © SpaceIL

C'est d'ailleurs une double panne qui a mené la mission à sa perte. Beresheet était en plein freinage lorsqu'une de ses deux centrales inertielles gyroscopiques a subi une panne. Instinctivement, on peut se dire que l'ordinateur de bord peut suivre les données de l'autre centrale, mais laquelle est la bonne ?

L'atterrisseur a tenté d'envoyer un message vers la Terre pour demander de l'aide. Sauf qu'il y a eu une deuxième panne, celle du système de communication. Au même moment, vraiment pas de chance. Beresheet a alors stoppé son freinage, le temps de recevoir des instructions. Les équipes israéliennes ont bel et bien réussi à reprendre contact, puis à forcer le redémarrage du moteur, mais il était déjà beaucoup trop tard. À 150 mètres de la surface, Beresheet tentait encore de freiner de toute sa puissance, mais il plongeait à 500 km/h.

Hakuto-R : ah oui, au fait, on a changé de trajectoire

Pour Hakuto-R (1 000 kilos), c'est une erreur encore plus inattendue, liée à un changement de site d'atterrissage après avoir qualifié les principaux systèmes de navigation du bord. En choisissant le cratère Atlas, l'équipe ne s'était pas rendu compte que le terrain que la sonde allait survoler était beaucoup plus accidenté. Or, l'ordinateur de bord, voyant les signaux de l'altimètre radar varier de plusieurs kilomètres d'altitude en quelques secondes, en a déduit que les mesures du radar ne pouvaient être prises en compte. Se référant uniquement à sa centrale inertielle, il a freiné, freiné… et s'est retrouvé à l'arrêt ou presque (1 m/s), mais au mauvais endroit.

En effet, comme elle avait pris une mauvaise référence, la centrale a stoppé la descente à 5 kilomètres d'altitude. Une fois ses ergols épuisés, Hakuto-R a donc chuté sur la surface. Ces erreurs, si elles sont un « rien » à l'échelle d'un atterrisseur lunaire (elles ne remettent par exemple absolument pas en cause un seul des éléments de la conception), peuvent comme on le voit envoyer des années d'efforts s'écraser sur la surface. C'est ce qui fait aujourd'hui la différence entre les missions les plus risquées (qui gardent tout de même bon espoir) et celles préparées longtemps en amont par les États.

L'atterrisseur Hakuto-R en préparation. Il embarquait en son sein le petit rover Rashid des Émirats arabes unis © iSpace

Et les prochaines ? Dans quelques semaines, l'Inde enverra sa mission « bis » Chandrayaan-3 pour se poser sur la Lune, et cette fois, l'ISRO compte bien y arriver ! La Russie également, avec la mission tant retardée Luna 25, qui décollera peut-être en août. De leur côté, les États-Unis, qui financent leurs start-up avec des missions à haut potentiel, mais également à haut risque, ont deux missions qui sont prévues avant la fin de l'année : l'atterrisseur Peregrine d'Astrobotic et le Nova-C d'Intuitive Machines. Pensez-vous qu'ils vont y arriver ?