En 2021, la NASA a choisi SpaceX pour emmener ses astronautes sur la surface de la Lune. Une surprise alors, et un challenge qui paraît encore bien éloigné des capacités du titanesque vaisseau de SpaceX. Ses progrès fulgurants suffiront-ils ? Il faudra accélérer, le véhicule est attendu dès la fin 2026... Un vrai sprint.
Pour retourner sur la Lune, la NASA avait le choix. Soit utiliser un véhicule qui répliquerait le modèle utilisé par Apollo, soit utiliser un atterrisseur lunaire de nouvelle génération, réutilisable et pouvant « stationner » autour de la Lune en attendant que la capsule Orion la rejoigne avec ses astronautes.
Artemis ayant l'ambition de retourner sur la surface pour y établir un avant-poste, il fallait donc quelque chose de plus ambitieux.
2021, SpaceX remporte le contrat HLS
Fin 2019, la NASA lançait un appel d'offres hors normes, pour demander aux industriels américains de répondre à son besoin et de lui fournir un atterrisseur lunaire. Celui-ci doit être réutilisable (à terme), capable d'emmener deux, puis jusqu'à quatre astronautes à la surface, de rester en orbite lunaire plusieurs mois et de décoller de la surface par ses propres moyens pour rejoindre la capsule Orion ou la station Gateway en orbite lunaire. Trois groupes industriels sont présélectionnés en 2020, avec un groupe mené par Dynetics, un autre par Blue Origin et un dernier avec SpaceX proposant son Starship. Boeing est éliminé d'entrée, sa proposition n'entrant pas dans les directives très précises édictées par l'agence.
Moins d'un an plus tard, c'est SpaceX qui remporte le contrat « HLS » (Human Landing System), à la surprise générale. Et pourtant, c'est la proposition technique qui est jugée la plus solide et la plus accessible techniquement. Une partie des médias et les adversaires de SpaceX retiendront surtout que la firme de Hawthorne a proposé l'option la moins chère.
Blue Origin notamment, cherche à faire invalider le choix de la NASA par une action en justice, avant d'atteindre son objectif grâce à des pressions politiques. En effet, en 2023, la NASA sélectionne un deuxième conglomérat, le seul encore en lice pour être coûte que coûte aux côtés de SpaceX, Blue Origin. Reste que le choix de Starship, en 2021 comme aujourd'hui est aussi audacieux que risqué.
Quand Starship hausse le rythme
Au moment de la sélection du Starship pour emmener des astronautes sur la Lune, le nouveau véhicule de SpaceX est à peine capable de grimper jusqu'à 10 kilomètres d'altitude, puis de tenter, avec un succès tout relatif, de revenir se poser sur une large dalle de béton, ce qui deviendra plus tard la Starbase. Le premier booster SuperHeavy, l'étage qui lui permet de décoller jusqu'à l'espace, n'est pas encore sorti de production. La tour de lancement et son système de bras amovible ne sont pas encore des réalités. Même le moteur Raptor, qui fonctionne au méthane et à l'oxygène liquide, n'a pas encore dépassé les 100 exemplaires.
En 2024 les choses ont changé. SpaceX produit désormais de nouvelles versions de Starship et SuperHeavy, et tente de repousser les limites des missions précédentes tous les deux mois environ. Le décollage, les installations et l'accès à l'espace sont validés, l'atterrissage précis également. Mais il reste tant à faire… Et Starship continue d'évoluer. Le défi actuel, dixit Elon Musk, est de maîtriser la récupération et la réutilisation des deux étages.
La NASA, de son côté, attend des progrès sur l'amarrage et le transfert d'ergols entre deux Starship en orbite. Une capacité indispensable au futur Starship lunaire, et qui n'a pourtant jamais été montrée à cette échelle hors de quelques transferts dans les réservoirs de l'ISS. Une première démonstration réussie lors du 3e vol de Starship ne suffira pas.
Dans sa version actuelle, le Starship lunaire décollerait donc avant d'entrer en orbite basse et d'attendre pas moins d'une quinzaine de ravitaillements d'affilée, lesquels rempliront ses réservoirs de suffisamment d'oxygène et de méthane pour qu'il parte pour l'orbite lunaire. Là-haut, il devra rester actif assez longtemps pour supporter une mission Artemis (au moins) et ne pas faillir à descendre, puis à remonter les astronautes de la surface.
Installés dans la section avant, ces derniers seront déposés grâce à un ascenseur déposé sur le régolithe lunaire. Et certains ont déjà posé la question : que se passe-t-il si Starship se pose sur un cratère aux pentes inclinées ?
SpaceX met en place une usine à vaisseaux réutilisables
Pour parvenir à ses fins dans le calendrier, qui est pour l'instant celui de la NASA, SpaceX doit réussir une série de prouesses technologiques en 30 mois seulement. Impossible ? Peut-être. Néanmoins les progrès sont bien là, et à chaque vol, la firme profite de son impressionnante force de travail déployée au Texas. Site de test, d'assemblage, double tour de lancement, véritable usine de production de Starship. La Starbase n'a pas cessé de s'étendre, de se professionnaliser et d'accélérer.
Le cinquième vol test aura-t-il lieu en août ou en septembre ? Qu'importe, on sait déjà que deux autres prendront sans doute place avant la fin d'année, sinon plus. Une fois le modèle aérodynamique solide et les progrès techniques validés, les progrès seront rapides. Reste qu'il faudra une courbe exponentielle pour envisager de produire et de lancer plus d'une quinzaine de Starship en quelques jours au service d'une mission lunaire de démonstration. Puis de reproduire l'exploit un peu plus tard avec des astronautes.
Améliorer les performances, ravitailler en orbite, se poser…
N'en déplaise à ses nombreux détracteurs, Starship est une réalité, et le nouveau véhicule géant de SpaceX est là pour rester. L'entreprise a lourdement investi dans ses nouveaux outils et ne sera pas au pied du mur de sitôt.
D'autant que SpaceX prévoit de financer une partie de l'aventure Starship avec les revenus de sa constellation de connectivité Starlink. Il faut aller encore plus vite que la génération Falcon 9 ? Les équipes s'y emploient déjà aujourd'hui, avec une nouvelle version de bouclier thermique, une évolution des ailerons avant ou un futur agrandissement du vaisseau pour augmenter sa capacité d'emport et accommoder une nouvelle itération du moteur Raptor, la V3.
Ravitailler en orbite sera une étape déterminante, même si ce ne sera pas la dernière. SpaceX compte sur Starship pour son avenir, et son avenir ne passe pas que par le programme lunaire Artemis. Reste que ce dernier dispose de la priorité absolue. La NASA débourse tout de même plus de 4 milliards de dollars pour le gagnant du contrat HLS et 2 missions Artemis IV et V !
La NASA et SpaceX vont avoir des rapports ambigus
Si l'agence scrute les activités du Starship avec ses critères de notation et ses évaluations des progrès, avoir sélectionné SpaceX est aussi un choix politique. Car depuis qu'Elon Musk a présenté son futur vaisseau de « colonisation martienne », la NASA se retrouve avec une situation embarrassante : SpaceX avance à grands pas, de façon entièrement indépendante, et risque de dépasser l'agence dans son domaine phare : l'astronautique au long cours.
Boeing et Lockheed Martin, qui construisent la fusée SLS et la capsule Orion, disposent dès à présent de contrats qui couvrent les missions Artemis jusqu'après 2030 avec Artemis V et même VI. Que restera-t-il de SLS si d'ici quelques années, Starship peut emporter des charges utiles plus importantes jusqu'autour de la Lune, ou même au-delà ? Pire, que se passera-t-il pour les missions de l'agence, espacées de plusieurs années, si SpaceX embarque des astronautes privés sur un horizon plus court ? La firme dispose avec son armada de cerveaux et de possibilités très différentes avec Starship sur le long terme. Du moment que les choix technologiques sont bons.
Le plus grand des lanceurs et son vaisseau réutilisable doivent encore faire leurs preuves. Et les progrès devront être spectaculaires : le retour des Américains sur la surface lunaire en dépend. Et si la fin 2026 ne pouvait être atteinte ? La NASA garderait un œil anxieux sur SpaceX. L'autre se tournerait de l'autre côté du Pacifique, vers une autre grande agence qui a promis de poser le pied sur la Lune avant la fin de cette décennie…
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