Pour une sonde dont le projet initial a été annulé, puis recréé sous une forme différente une décennie plus tard, le Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) est un véritable monument ! En cartographiant la Lune à haute résolution, elle prépare encore le futur…
Alors qu'elle ne devait rester en action qu'un an !
Tous vers la Lune (encore) !
Nous sommes en 2004. C'est décidé, les Américains ont un programme lunaire ambitieux avec le programme Constellation : ils vont retourner sur la Lune, et cette fois pour y rester ! Même si l'Histoire en a finalement décidé autrement, l'architecture de Constellation était réfléchie avec logique. Pour pouvoir un jour faire atterrir des astronautes sur la surface lunaire, il faut cartographier la Lune avec précision. La petite sonde Lunar Prospector envoyée en 1998 a bien fait son travail pour identifier les différentes zones de composition géologique, mais il manque encore une carte à très haute résolution de la surface elle-même… Les zones les mieux documentées sont les approches des sites d'atterrissage d'Apollo, prises 35 ans plus tôt. Un comble, alors qu'une mission est sur le point de partir pour photographier Mars avec une précision inédite !
Malgré les budgets contraints, les coûts pharaoniques de retour en vol de la navette et le développement de Constellation, la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter verra donc le jour. Elle fait partie du « LPRP », le programme de précurseurs robotiques lunaires, qui prend place avant d'envoyer les astronautes. Et pour optimiser les coûts, LRO décollera avec une autre sonde lunaire, LCROSS, qui analyse l'impact de son étage de fusée sur la Lune.
Une sonde très capable
La sonde LRO elle-même, construite au centre Goddard, est impressionnante : pratiquement deux tonnes sur la balance une fois les réservoirs pleins ! Elle embarque six instruments, dont un détecteur de radiations (en particulier pour mesurer quelle dose les futurs astronautes devront subir sur place), un radiomètre pour capter la température, y compris dans les zones jamais illuminées, un radar expérimental, un altimètre laser et un détecteur de neutrons. Mais son outil principal et le plus connu est la suite optique LROC (Lunar Reconnaissance Orbiter Camera), qui comprend un imageur large champ pour la mise en contexte et un impressionnant zoom rapproché capable de prendre des photographies d'une résolution de 50 cm/pixel. LROC est chargé de documenter les cratères les plus intéressants pour de futurs atterrissages proches des pôles, mais permettra aussi de mieux comprendre la géologie lunaire en identifiant des « tubes » et anciennes coulées de lave. Les clichés magnifiques seront légion. Et dès sa conception, les scientifiques savent que l'instrument pourra capturer les sites des alunissages d'Apollo…
Plus, bas, plus bas… plus bas
Lunar Reconnaissance Orbiter est prête pour son décollage alors même que les Etats-Unis changent de président, et que le programme Constellation est remis en question. Qu'importe, elle décolle avec LCROSS le 18 juin grâce à un puissant lanceur Atlas V. Il ne faudra que quatre jours, et une correction de trajectoire mineure, pour que LRO arrive à son point d'insertion en orbite lunaire. C'est là qu'elle va utiliser la majorité de ses ergols, sans toutefois complètement vider ses réservoirs. Il lui en faudra tout au long de sa vie opérationnelle, car son orbite « finale » à 50 kilomètres au-dessus de la surface lunaire (et même 30 km au-dessus du Pôle Sud à partir de 2015, sur une trajectoire un peu optimisée) lui demande de petits ajustements réguliers. Cette orbite très basse est cependant très avantageuse pour photographier l'ensemble de la Lune à très haute résolution. La campagne scientifique démarre après deux mois de tests réussis.
Un an plus tard, la mission officielle s'achève, et c'est un superbe succès ! La cartographie de la Lune a énormément progressé, avec notamment les trois « produits » de l'altimètre LOLA comprenant les reliefs lunaires, les pentes moyennes observées et la rugosité de la surface, avec une résolution inégalée alors. Sur le plan photographique, ce sont plus de 70 téraoctets de données transférées vers la Terre, avec des formations aux pôles qui n'avaient jamais pu être détaillées avant 2010. C'est notamment le cas de reliefs d'impacts sur la face cachée de la Lune, mais aussi de cratères qui ne sont au mieux que partiellement illuminés au pôle Sud. Le radiomètre infrarouge y mesure une température record de – 248°C ! Mais ce n'est pas parce que la mission est remplie qu'il faut tout éteindre.
LRO se porte à merveille, et les équipes de la NASA lui octroient extension sur extension de mission : elle est toujours active aujourd'hui, et ne devrait cesser d'émettre (avant de s'écraser à la surface) que vers 2026-28.
Apollo plein la vue, même si c'est un détail
Malgré des milliers de clichés saisissants, LRO est le plus souvent citée aujourd'hui comme celle qui a permis de redécouvrir les sites d'atterrissage des missions Apollo. Non qu'ils fussent perdus, mais entre 1972 et 2009, les différents orbiteurs étaient mal équipés pour observer des détails aussi fins que ceux qui apparaissent sur les clichés de l'appareil LROC. Tous les sites ont été photographiés, et l'on y observe (au grand dam des conspirationnistes qui se voient obligés d'aller toujours plus loin dans le farfelu pour l'expliquer) les différents éléments des missions Apollo 11, 12, 14, 15, 16 et 17, avec le bas des modules lunaires restés sur place, et pour les trois dernières, les traces et les restes des jeeps lunaires, figées pour l'éternité après leurs exploits. Plus fin encore (et moins clair,) on discerne quelques drapeaux toujours en place. D'autres n'ont pas tenu : celui d'Apollo 11 par exemple, était trop près du LEM et a sans doute été renversé lors du départ.
Quoi qu'il en soit, ces photos sont d'extraordinaires souvenirs de la « course à la Lune ». Et aussi un douloureux rappel pendant les années Obama, puisque si LRO est en orbite, tout le reste du programme Constellation a été annulé. Tout, ou presque. Car ce que l'on appelle Artemis aujourd'hui et qui utilise la capsule Orion, en est un assez proche descendant.
La reconnaissance, toujours nécessaire !
En plus de détecter l'arrivée de nouveaux véhicules sur la Lune ces dernières années (qu'ils soient réussis comme les modules Chang'E ou ratés comme Beresheet et Chandrayaan-2), LRO est toujours un précieux soutien pour les missions lunaires. Et la NASA compte bien dessus jusqu'à ce que son potentiel soit épuisé ! La mission CAPSTONE comptera par exemple sur LRO pour se repérer, puis les différents alunisseurs des missions publiques-privées CLPS auront aussi besoin de documenter leur arrivée : les équipes ne risquent pas de s'ennuyer. Il est même question de remplacer LRO d'ici la fin de la décennie, pour un véhicule plus petit mais avec une optique encore plus performante. D'ici là peut-être, l'orbiteur pourra prendre quelques humains en photo…