Les collecteurs de particules du spectromètre alpha DORN. © CNES/IRAP
Les collecteurs de particules du spectromètre alpha DORN. © CNES/IRAP

Lorsque Chang'e 6 va se poser sur la face cachée de la Lune, non loin du pôle Sud, un instrument inédit va tenter d'analyser les émissions de radon et la très fine atmosphère lunaire. Il s'agit d'une première, et c'est une coopération inédite entre l'agence française, le CNES, et son homologue chinoise.

Le 3 mai, sous le regard de milliers de spectateurs, le site spatial de Wenchang devrait trembler et voir s'élever la très imposante fusée CZ-5 chinoise. Cela faisait 3 ans et demi que la Chine n'avait plus visé la Lune et préparait cette mission Chang'e 6, la plus ambitieuse de sa (déjà longue) liste d'exploits robotisés autour de notre satellite naturel.

Il a notamment fallu envoyer en orbite lunaire un deuxième relais Queqiao, il y a quelques semaines, pour assurer les communications avec la face cachée de la Lune. En effet, Chang'e 6, après son insertion en orbite lunaire, va se scinder en deux, et une partie tentera de se poser au sud, côté face cachée, pour prélever des échantillons. Et pendant que les équipes chinoises vont pelleter, carotter et préparer ces très précieux éléments, le CNES opérera l'instrument DORN, installé sur le flanc de Chang'e 6.

Vue d'artiste de la mission Chang'e 6 sur la surface lunaire © CNSA / CLEP
Vue d'artiste de la mission Chang'e 6 sur la surface lunaire © CNSA / CLEP

Les sables de DORN

DORN est un instrument compact qui ne pèse que 4,5 kilos et qui sera en réalité allumé une petite dizaine d'heures avant l'atterrissage. Ce sera le début d'un véritable compte à rebours, car il sera actif 48 heures avec un objectif ambitieux : mesurer le dégazage de radon à la surface lunaire pour comprendre le mécanisme qui génère la très fine atmosphère lunaire (que l'on appelle une exosphère).

En effet, le radon est produit par les couches profondes de la surface lunaire, la croûte ou même le manteau. Le flux de radon qui s'échappe du sol est un marqueur qui montrerait que cette exosphère, qui se régénère en permanence, est issue de la Lune elle-même. Il y a d'autres pistes, comme le vent solaire ou les impacts de météorites, mais il s'agira là de la première mesure de ce type au sol, avec une précision inégalée (des mesures en orbite ont été menées lors des missions Apollo, Lunar Prospector et Kaguya).

En détectant deux isotopes différents de radon, même à des quantités infinitésimales, DORN permettra aussi de comprendre si les émanations sont locales, ou si elles proviennent de régions proches et sont transportées par un vent (du coup, un… exovent ?!).

L'instrument DORN est en Chine depuis le mois d'août dernier © CNES / IRAP

Pas mal, non ? C'est français

Mais comprendre l'exosphère lunaire, il est aussi mieux de comprendre comment des molécules d'eau ont pu voyager et se déposer au fil du temps dans des cratères au pôle Sud, à jamais dans l'ombre du Soleil. DORN est un instrument fabriqué et assemblé à l'IRAP (Institut de recherche en astrophysique et planétologie), et il a mobilisé plusieurs dizaines de chercheurs et ingénieurs français. Car il n'a pas suffi d'y penser pour en faire une réalité !

Pour aller dans le détail, c'est un détecteur de particules alpha, conçu pour détecter particulièrement celles émises par le radon et le polonium lors de leur désintégration radioactive. Les espèces de cylindres ou tubes qui sont présents sur l'instrument sont en réalité les collecteurs, 8 unités de détection orientées pour certaines vers le ciel, et pour d'autres vers le sol. Ce petit bijou d'ingénierie n'a pas d'équivalent, et ses résultats sont maintenant attendus avec impatience.

Détail de l'instrument DORN © CNES / IRAP

Se poser à plusieurs, c'est encore plus fun

La coopération, elle, est scellée avec le programme lunaire chinois depuis 2019. La France est l'un des très rares pays occidentaux à poursuivre des collaborations scientifiques avec la Chine, grâce à notre agence nationale, le CNES. Ces partenariats permettent notamment de mettre en valeur l'excellence de nos laboratoires avec des instruments sur les missions CFOSAT (observation des vagues en haute mer) ou SVOM (observation de sursauts gamma), avec certains éléments communs et d'autres séparés entre les deux nations.

Les résultats scientifiques, eux, seront communs et feront avancer, dans le cas de DORN, la compréhension de la Lune. Ils mettent aussi la France à une bonne place pour obtenir à nouveau des échantillons de sol issus de la mission. Nos laboratoires avaient déjà pu réceptionner quelques éléments recueillis par Chang'e 5 sur la face visible, mais ceux qui pourraient être ramenés par Chang'e 6 sont encore plus précieux. Ils seront les tout premiers de la face cachée et du bassin Pôle Sud-Aitken.

La mission devrait ramener environ 2 kilos de précieux échantillons, récoltés à la surface, mais aussi en dessous grâce à un matériel de forage. En attendant, peut-être, une future collaboration sur les missions chinoises Chang'e 7 et 8 à venir, encore plus ambitieuses…

Source : CNES