Tout sourires et pas mort (enfin pas à ce moment-là), Youri Gagarine. Crédits N.A.
Tout sourires et pas mort (enfin pas à ce moment-là), Youri Gagarine. Crédits N.A.

60 ans ont passé et avec eux, l'histoire du premier humain dans l'espace est toujours aussi connue. Par contre, on a fini par oublier (pour de bonnes raisons) les rumeurs folles qui couraient autour de ce vol, et de supposés échecs avant ou après. Dans l'histoire des cosmonautes fantômes…

On gardera quand même la version officielle à la fin.

Mannequin skywalker

Qui sera le premier humain à s'aventurer au-delà de l'atmosphère terrestre ? Si aujourd'hui son identité ne fait plus de doute, la situation était toute autre début 1961. Comme souvent au début de la « course à l'espace », les Américains ont divisé leurs efforts et peinent en réalité à progresser avec leur programme Mercury. A l'inverse, les Soviétiques ont enfin un lanceur assez puissant pour envoyer leur capsule Vostok. Les décollages tests s'enchainent en mars 1961, avec un mannequin ressemblant à un astronaute (nommé Ivan Ivanovitch), différents petits animaux dont certains à l'intérieur de sa combinaison de vol et des enregistrements pour tester les communications, notamment les chœurs de l'Armée Rouge - mais aussi une recette de soupe. Les Américains ne rattraperont pas leur retard : le 12 avril 1961, Youri Gagarine fait une orbite autour de la Terre, puis s'éjecte et revient au sol sain et sauf en marquant l'Histoire.

Le mannequin "Ivan Ivanovitch" (l'équivalent de John Doe) était particulièrement réaliste. Crédits Eric Long/Smithsonian NASM
Le mannequin "Ivan Ivanovitch" (l'équivalent de John Doe) était particulièrement réaliste. Crédits Eric Long/Smithsonian NASM

Des cosmonautes qui n'existent pas

Voici donc l'histoire officielle… Car évidemment, la maîtrise des Soviétiques sur leur communication (et leur silence lors de différents échecs) génère bien des fantasmes. Et Gagarine était un inconnu pour le monde entier. Pour contourner les journaux du parti, certains journalistes en Occident se reposent parfois sur des informateurs un peu douteux, et les services de renseignement d'alors ne sont pas forcément logés à meilleure enseigne. Fin 1959, un responsable communiste tchécoslovaque révèle ainsi que les Soviétiques comptent déjà plusieurs décès dans leurs rangs après des essais suborbitaux ratés. Il cite même des noms… D'autres rapports du même genre émergent en 1960, avec des vols supposés « habités » et dont plus personne n'entend parler après quelques heures. En réalité, la majorité des succès depuis Baïkonour sont annoncés dans les formes après leur succès, mais bon nombre d'entre eux concernent des essais pour la défense (les satellites Cosmos) ou mettent de côté une majorité des informations pertinentes.

Vladimir Iliouchine, anti-héros malgré lui

De temps à autre, de mauvaises informations (tantôt purement inventées, tantôt des histoires déformées) étaient relayées en occident, comme la mésaventure rocambolesque de Vladimir Iliouchine… Imaginée tout simplement car personne n'était au courant des noms de la sélection des cosmonautes du programme Vostok. Vladimir Iliouchine, qui n'en faisait pas partie, aurait tout à fait pu y figurer : pilote d'essai, fils du héros concepteur des avions Iliouchine, il avait l'aura du candidat idéal. Le 7 avril 1961, moins d'une semaine avant le véritable vol de Gagarine, le Daily Worker publie son histoire : Vladimir Iliouchine est devenu le premier homme autour de la Terre, mais au retour sa capsule spatiale a subi de gros problèmes. Le héros, gravement blessé, est à l'hôpital !

Le pauvre n'avait rien demandé. Crédits N.A.

Un autre journaliste, français cette fois, rapporte que le vol d'Iliouchine a eu lieu le 25 mars en réalité, et que l'astronaute est dans le coma depuis. Pour certains, cette version tiendra longtemps. En effet, Vladimir Iliouchine est bien à l'hôpital : le pauvre a en réalité été victime d'un accident de voiture. De plus, le 26 mars, un véhicule Korabl-Spoutnik avec un mannequin Ivan Ivanovitch part pour l'orbite, ce qui a pu entretenir la confusion.

Au fil des mois, certaines versions seront même plus exotiques encore, Vladimir ayant tantôt été prisonnier des Chinois, retenu en otage ou échangé sur son lit de mort, tantôt ayant piloté avec succès Vostok 1, avec Youri Gagarine sa doublure, et présenté au monde car il représentait mieux l'idéal soviétique. Bien sûr, les documents déclassifiés depuis ont montré que Vladimir Iliouchine n'a jamais fait partie de la sélection des premiers cosmonautes.

La capsule Vostok 1 après son atterrissage. Crédits Novosti/alldayru.com

Des doutes, des doutes, trop de doutes

Il faut dire que le vol de Gagarine étonne. Non seulement les Soviétiques ont réussi à le ramener sans problème apparent (en réalité sa boucle autour de la Terre fut émaillée de petits soucis), mais en plus il est allé directement en orbite, et pas sur une trajectoire suborbitale. Se pourrait-il que l'URSS ait caché une série d'essais dramatiques ? L'idée fait son chemin. L'une des histoires qui prendra le plus de corps est celle des frères Judica-Cordiglia, deux radioamateurs italiens opérant dans un ex-bunker de la Seconde Guerre mondiale. Ensemble, ils écoutent et publient à plusieurs reprises des enregistrements de messages de détresse et de terrifiants rapports. Par exemple, un véhicule habité qui s'éloigne, hors de contrôle, en direction de l'espace profond. Ou bien, en 1961, un cosmonaute qui suffoque à mort lors de sa rentrée atmosphérique. Et même, en 1963, la « première femme en orbite », victime à son retour après plusieurs jours en orbite de températures extrêmes au sein de sa capsule…

Les enregistrements des frères Judica-Cordiglia ont eu leur petit succès. Ils ont notamment été examinés dans le cadre de documentaires, par des linguistes et par différentes instances (officielles ou non). Toutefois, les détails ne tiennent pas. Les dates sont parfois fantaisistes, ne correspondent souvent avec aucun décollage ou les performances des lanceurs. Ils sont les seuls à avoir capté ces enregistrements qui n'ont été reçus par aucune station officielle, ils ne sont pas corroborés par les archives déclassées de l'Union Soviétique… Bref, ils sont faux (et datent d'une période assez fertile sur le plan des OVNI et autres expériences mystérieuses).

Tout comme Gagarine, le premier vol de Valentina Terechkova a généré son lot de suspicions. crédits N.A.

Vendanges de révélations tardives

Pour autant, cela ne veut pas dire que l'Union soviétique n'a rien caché. Et cela inclut quelques drames importants, comme la mort de Valentin Bondarenko (qui faisait partie du corps des cosmonautes) trois semaines avant le vol de Youri Gagarine. Il est même possible que ce soit l'histoire déformée de son décès qui soit à l'origine de rumeurs - mais il est mort au sol, dans des circonstances ridiculement tristes : cloisonné dans un environnement riche en oxygène, il a malencontreusement jeté un morceau d'ouate qui a atterri sur une plaque chauffante et s'est enflammé. Le temps que les équipes l'atteignent, il était trop grièvement brûlé. De la même façon, l'incendie de Nedelin sur le site de Baïkonour, qui a fait au moins 124 victimes en 1960, est resté longtemps secret. Ces catastrophes humaines (et bien d'autres, matérielles) furent connues au fil du temps et des révélations, ainsi qu'avec les déclassifications, à l'effondrement de l'Union soviétique.

Les cosmonautes fantômes, eux, et quelques-uns des « scoops » autour du premier homme en orbite autour de la Terre, sont bel et bien restés silencieux.