Un peu bloquée par le vieillissant Bluetooth Classic, la technologie audio sans-fil risque de prendre un petit coup de fouet d'ici 2021 avec la mise en place du Bluetooth LE Audio. Véritable petite révolution, le Bluetooth LE Audio permettra de faire migrer l'implantation d'un profil audio sur la partie Low Energy du Bluetooth (apparue avec la version 4.0), bien plus dynamique et plus prometteuse pour l'avenir.
Et si les adeptes du « je veux du lossless » risquent de rester sur leur faim, la mise en place de ce nouveau Bluetooth Audio est sans doute l'avancée la plus significative en la matière depuis... la création du protocole. Petit dossier sur cette nouveauté.
Un grand merci Vincent Nallatamby, fondateur de l'entreprise Tempow, pour son aide et les précisions apportées. Tempow est spécialisée dans le développement de solutions en Bluetooth Audio, et l'un des acteurs de cette nouveauté.
Pour revenir aux fondamentaux
Repassons d'abord sur l'état du Bluetooth Audio actuel.Le Bluetooth est un protocole basse consommation, plus ou moins dédié à l'audio à la base, mais pas nécessairement pour la musique (la nuance est de taille). Entre sa version 1.0 et sa version 3 (2009), seul le Bluetooth dit Classic (ou BR/EDR) existait, peu adapté aux objets connectés naissants, car davantage à l'aise avec l'envoi continu de données. À partir de la version 4.0 vint se greffer un second type de Bluetooth à la norme, le Wibree, changeant alors son nom pour Bluetooth Smart, puis Bluetooth Low Energy. Cohabitaient ainsi, sans être les mêmes, deux types de Bluetooth, une cohabitation qui est toujours en cours à l'heure actuelle.
Ne fonctionnant pas de la même façon, une puce Bluetooth Low Energy ne peut pas se connecter avec une puce Bluetooth Classic, les deux étant deux parties d'un protocole. Le premier est clairement là pour l'envoi de données continues et un débit plus élevé, le second tire son avantage des petites données ponctuelles et la gestion infiniment meilleure de la mise en veille, par exemple.
Ce problème de double Bluetooth est presque invisible maintenant, puisque toutes les puces Bluetooth ou presque sont dites Dual-Mode. C'est une sorte de puce double cœur intégrant une puce Classic et une puce Low Energy, pouvant tirer parti des informations de l'une pour les transmettre à l'autre, ce qui peut avoir de nombreux avantages, notamment pour un casque audio (sur l'autonomie par exemple).
Mais depuis la version 4.0 et l'arrivée du Bluetooth LE, le Bluetooth Classic n'évolue plus vraiment, quand le Low Energy prend son lot de nouveautés à chaque itération. Par exemple, la vitesse de transmission de paquet du Bluetooth Classic (3 mb/s) n'a pas bougé depuis le Bluetooth 2.0. Il faut le comprendre assez simplement : les objets connectés prennent une place infiniment plus importante que l'audio, qui n'est qu'une goutte d'eau niveau économique.
Problème : le seul profil audio (stéréo) dédié à la musique, le A2DP, se trouve sur la partie Classic du Bluetooth. Connexion, possibilités, débit, tout est presque bloqué depuis 10 ans. Le Bluetooth 5 n'a rien changé, voire pire, il a simplement accentué les différences entre Classic et Low Energy. On en attendait beaucoup côté audio ? Rien, absolument rien. Pas de plus grand débit possible, pas de connexion plus rapide ni plus stable en profil audio, le Bluetooth 5 n'est qu'une promesse (qui n'en a jamais été une) entraperçue dans quelques documents marketing mal interprétés par certains.
Ainsi qu'un casque soit 4.2 ou 5.0 n'a absolument aucune importance pour sa partie audio, les nouveautés bien souvent optionnelles du Bluetooth 5 ne s'appliquant qu'au Low Energy. Tout au plus, les avancées sur le Low Energy permettent quelques optimisations d'autonomie sur un casque, la connexion en LE permettant de créer un pont de connexion, de mettre rapidement le casque en veille et en éveil, ou d'échanger sur des données liées à une application dédiée par exemple (la mise à jour du firmware passe par le Low Energy). Les avancées (surtout en connexion) viennent avant tout de l'optimisation des puces récentes, pas du standard en lui-même.
En pratique, ce Bluetooth Classic vieillissant n'est même pas capable d'assurer une connexion True Wireless, chaque marque doit bricoler quelque chose, système maître/esclave ou sniffing (le second intercepte le flux du premier) pour que le principe fonctionne. La porte ouverte à une débauche de technologies propriétaires, Qualcomm en tête, pour vendre des solutions à des problèmes dont ils sont en partie responsables (Qualcomm étant l'un des très gros membres du SIG Bluetooth).
Mais joie et fêtes ! Le standard va enfin évoluer avec le Bluetooth LE Audio.
Bientôt des casques à réduction de bruit vous alertant des dangers que vous n'entendrez pas
Bluetooth LE Audio : la fin d'un long sommeil ?
Présenté cette nuit au CES 2020, même si attendu depuis quelques années, le Bluetooth LE Audio est une sorte de bel avant-goût du futur standard Bluetooth 5.2. Ainsi ce sera l'une des (très grosses) avancées parmi les autres pour la future itération du Bluetooth. Mais surtout, le BLE Audio est une solution totalement englobante et pas seulement un simple profil audio intégré sur le Low Energy, presque un protocole à part qui implique un véritable changement hardware. Le BLE doit être pris en compte des premières jusqu'aux dernières piles du protocole.Cela ne signifie pas la mort des anciens casques restant sur le Bluetooth Classic, du moins pas avant quelques années, mais plutôt une avancée significative dans le domaine, en premier lieu pour la praticité d'usage.
Bien plus souple sur sa gestion des profils et ne se limitant pas seulement à des connexions point à point, le Bluetooth LE appliqué à l'audio ouvre des horizons dans pas mal de domaines.
Compatibilité
Le Bluetooth Audio LE apparaîtra à partir de la version 5.2 du Bluetooth. Le consortium ne précise pas si cette implémentation est obligatoire ou non, mais on voit mal les constructeurs ne pas s'y plier.S'il n'y aura aucune obligation de le faire, un matériel compatible Bluetooth LE Audio pourra parfaitement continuer d'intégrer un profil audio en Bluetooth Classic, ce qui permettra dans un premier temps une rétrocompatibilité avec les modèles uniquement Bluetooth Classic (l'intégralité de nos casques et smartphones actuels). L'utilisation à la fois des objets connectés et des casques audio sur le même smartphone ne risque-t-elle pas de poser un problème de bande passante ? A priori non, puisque pas mal de constructeur opteront pour une solution séparant le BLE Audio du reste, appelée « Dual-Mode Chipset ». Tous les fabricants (ou presque) n'utiliseront pas ce Dual-Mode, ce qui pourrait bien donner un Bluetooth LE Audio à deux vitesses.
En revanche, un modèle uniquement LE Audio ne pourra pas se connecter avec un casque uniquement en Audio Classic, ce qui risque d'arriver à terme. Un mal pour un bien.
LC3 : le codec next-gen
Nouvelles résolutions, nouveau codec. Si le seul codec audio obligatoire, le SBC, n'est pas aussi mauvais qu'on veut bien le dire, il n'en reste pas moins qu'il accuse clairement son âge. Ainsi le LE Audio le délaissera et viendra avec un nouveau codec standardisé et obligatoire, le LC3, pour Low Complexity Communication Codec. Si sa documentation n'a pas encore été dévoilée, nous savons qu'il s'agit d'un codec au bitrate adaptatif, fonctionnant principalement entre 160 kb/s (et sans doute en dessous) et 345 kb/s, à priori pas davantage. Comme avec le codec SBC, certains casques risquent clairement de limiter le bitrate maximum en dessous des 345 kb/s afin de gagner en autonomie.Le LC3 sera le seul obligatoire pour cette nouvelle norme, mais il sera parfaitement possible pour les marques d'y intégrer leurs propres codecs. Le AptX Adaptive de Qualcomm semble clairement fait pour ce nouveau standard.
Le bitrate parait faible ? Sans doute, mais tout comme les mégapixels pour les capteurs photo, le bitrate ne fait pas tout. Un meilleur débit ne veut pas dire une meilleure qualité. Le LC3 promet ainsi des algorithmes largement optimisés par rapport au SBC. Il n'est pas impossible d'y voir même là un codec supérieur à l'AAC et à l'AptX à bitrate égal, les deux n'étant pas non plus incroyablement modernes. La méthode de codage ou la profondeur de bits (16 ou 24 bits) n'étant pas encore connues, nous sommes bien forcés d'attendre.
Ainsi le but est double : soit utiliser un bitrate plus faible pour rester à même qualité audio que le SBC mais avec une consommation moindre, soit utiliser le même débit max que le SBC, pour une qualité audio bien supérieure et une autonomie à peu près équivalente. Le LC3 est présenté comme bien plus flexible que le SBC, ce qui nous l'espérons permettra une implémentation de qualité. Son intérêt est d'autant plus grand qu'il sera parfaitement possible pour une marque de l'implémenter sur un modèle Bluetooth Classic, même si cela restera optionnel.
Par comparaison, un ingénieur du Fraunhofer IIS (qui est responsable de la moitié des codecs existants, peut-on dire) affirme que même avec un bitrate 50 % inférieur à celui du SBC, le LC3 conserve un avantage qualitatif. Il n'est pas impossible (voire probable) que ce codec ait été développé par ledit institut, mais tout de même. Mon petit doigt me dit que l'enthousiasme autour du codec est justifié.
Pourquoi ne pas avoir tenté un meilleur bitrate ? Parce que le Bluetooth Low Energy, tout comme le Bluetooth Classic, est limité par la puissance émission/réception du protocole Bluetooth. Augmenter les débits implique de perdre facilement en stabilité et en autonomie. On peut rappeler que le LDAC, bien plus énergivore, est presque intenable en pratique dans sa qualité 990 kb/s, et impossible à implémenter sur un True Wireless pour cette même raison. Au lieu d'augmenter les débits pour laisser penser que c'est là la seule possibilité pour une bonne qualité audio, le LC3 optimise les algorithmes tout comme le AptX Adaptive les optimise. Un codec assez moderne (non Bluetooth) comme le OPUS est déjà indissociable d'une qualité CD, voir le LC3 réussir la même chose n'aurait rien d'incroyable.
Certains risquent tout de même de grincer des dents, puisque le Bluetooth Low Energy est pour le moment encore plus limité en termes de vitesse de transmission que le Bluetooth Classic : 2 mb/s optionnel contre 3 mb/s optionnel. Cela changera peut-être sur les futures versions du Bluetooth, mais n'y comptez pas trop tout de même.
Seule vraie inconnue : la latence. Celle-ci étant en grande partie le fait de l'implémentation et de la nature du codec, il faudra attendre pour plus de détails.
Un standard pour les aides auditives
Idée développée depuis pas mal de temps, parfois en marge (Apple a déjà créé ce genre de profil pour aide auditive), le Bluetooth LE Audio permettra de rendre viables les solution d'aide auditive. C'était d'ailleurs la motivation première de son développement. La consommation réduite d'un produit LE Audio, que ce soit grâce à son codec optimisé ou sa couche radio un peu plus efficace, permettra de standardiser un peu plus le principe.La possibilité de mise en veille et en éveil instantanée permettra aux produits de devenir nettement plus viables du point de vue de l'autonomie, chose qui n'était pas possible avec du Bluetooth Classic car pas du tout adapté à ce principe.
Les futurs produits pourront également bénéficier des avancées en matière de multi-stream et de Broadcast, ce qui évitera à un utilisateur d'utiliser un casque ou un écouteur peu adapté à son handicap pour écouter une source sonore. Pour le reste, les détails sont encore peu nombreux, nous reviendrons dessus au besoin. Le SIG ne précise par exemple pas si les aides auditives dépendront d'un profil audio dédié ou non.
Multi-Stream
Uniquement en connexion point à point, le Bluetooth Classic ne permettait des petites audaces qu'à travers des modifications (souvent software) plus ou moins poussées et toujours non-standardisées.Cela change radicalement avec le Low Energy, capable de se connecter en point à point lui aussi, mais également en réseau maillé ou même en Broadcast (échange de données sans connexion). Ce dernier type d'échange existe déjà dans la méthode d'appairage rapide des Airpods, même si cela n'a rien à voir avec un échange audio.
Jusqu'à maintenant, sauf disposition particulière de la puce ou modification software, un produit Bluetooth ne pouvait échanger en audio qu'avec un seul produit à la fois. La fameuse légende urbaine du « avec le Bluetooth 5 on peut se connecter à deux produit à la fois » étant sans doute intéressante, mais totalement fausse.
La mise en place du Bluetooth LE Audio va permettre de radicalement changer la donne avec la possibilité de Multi-Stream. Ce principe permet la transmission d'un ou plusieurs flux audio depuis un smartphone (par exemple) vers un ou plusieurs appareils audio (casques par exemple) en simultané. En plus du côté pratique, il est surtout possible de voir là la fin de la limitation stéréo du Bluetooth Audio. Un peu d'imagination, et nous pouvons même y voir une amorce de reproduction multicanale.
Mais surtout, cela va permettre de standardiser l'utilisation d'écouteurs True Wireless et non plus de bricoler des solutions propriétaires. Envoyer en simultané le flux gauche sur l'écouteur gauche et le flux droit sur l'écouteur droit sera enfin possible, voire davantage. Côté interface, le choix sera laissé aux marques de faire apparaître les deux écouteurs comme un même modèle, ou de mettre en évidence l'écouteur droit et l'écouteur gauche dans les options Bluetooth. Cette dernière possibilité est appelée coordinated set of devices, à savoir, la gestion et coordination des écouteurs liés entre eux. Tout cela permettra de largement réduire la latence des True Wireless. Dans le sens opposé, un même écouteur pourra recevoir le flux de plusieurs émetteurs en simultané.
L'implémentation sur la partie Low Energy permettra sans doute d'intégrer plus facilement le déclenchement des assistants à la voix (le petit « ok Google », ou « Alexa »). Le Bluetooth Classic n'était pas vraiment fait pour attendre et rester alerte, le Bluetooth Low Energy l'est parfaitement.
Broadcast Audio et partage
Derniers cas de figure avec le Broadcast audio, que l'on pourrait traduire ici par « diffusion en aveugle ». Pour faire simple, les possibilités du Low Energy en matière d'échange hors connexion - ce qu'on appelle les données type advertising - permettront de diffuser du son plusieurs (potentiellement une infinité) casques audio en simultané. Pour cela, un appareil fonctionnant comme une balise (smartphone ou autre) envoie à l'aveugle un flux audio. Tout appareil à même de capter le signal et acceptant la lecture pourra lire ce flux. Cette fonction de Broadcast pourra être ouverte, mais également fermée (demandant un mot de passe par exemple).Dans le même esprit, le Partage Audio permettra d'exploiter un principe équivalent, mais sous conditions plus précises. Ce partage pourra être de deux types : personnel ou localisé. Le premier cas est assez simple et permettra à un utilisateur de partager sa musique sur le casque d'un ami apparaissant à proximité (le casque, pas l'ami) en le sélectionnant dans les options Bluetooth ou dans une application.
Le second cas dépendra de la position de l'utilisateur par rapport à la balise. Une salle de concert ou de cinéma désirant faire une écoute au casque pourra par exemple laisser cette simple condition : tous les casques à moins de 40 mètres sont autorisés à lire le flux. Les possibilités plus avancées de géolocalisation apportées avec le Bluetooth 5.1 pourront même permettre d'imaginer (pure supputation) des prérequis directionnels, exemple : tous ceux présent à moins de 40 mètres dans un angle de 30° par rapport à la scène.
Dans un cas comme dans l'autre, le smartphone du receveur, plus puissant, pourra jouer le rôle d'intermédiaire en scannant plus facilement et en permettant de sélectionner les flux entrants, ainsi que servir d'interface.
En attente du Bluetooth 5.2
Tous les points n'ont pas été dévoilés sur le Bluetooth LE Audio, il faudra attendre le courant du semestre pour connaître toutes les spécifications. Cela pourra surtout coïncider avec l'annonce du futur Bluetooth 5.2 à partir duquel ce nouveau principe sera implémenté.Une date de sortie ? Le SIG indique 2020, mais il est clair qu'aucun produit compatible ne verra le jour tout de suite. Le changement est tel que la mise en place de nouveaux chipsets (Snapdragon pour commencer) sera nécessaire, soit de très longs mois de développement. Passé cette étape, il faudra encore intégrer le support software sur Android (AOSP) et miser sur une arrivée dans les casques et enceintes. Selon Vincent de Tempow, les premiers smartphones compatibles sous Android débarqueront fin 2021. Quant à Apple, visiblement un peu en retrait, il faudra encore patienter davantage.
Cette news étant un peu longue et sans doute un peu velue, n'hésitez surtout pas à relever des points paraissant trop obscurs, pas assez développés, voire les petites coquilles.
Source : Bluetooth