« Nous sommes tous des micro-nomades », une tribune de Dominique Piotet

Dominique Piotet
Publié le 09 mai 2008 à 15h38
Président de l'Atelier BNP Paribas à San Francisco, Dominique Piotet propose cette tribune dans laquelle il propose de redéfinir le nomadisme digital...

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Jacques Attali l'a annoncé dans sa Brève Histoire de l'avenir[1] : le monde se divisera bientôt entre les hyper-nomades, sortes de bobo digitaux passant leur vie connectés virtuellement mais détachés de toute racine physique, et les sédentaires résolument attachés à leur terre, et souvent à leur misère. Avec tous les stades intermédiaires. Et si c'était déjà une réalité ? Ou, si la réalité était plus complexe ? La Silicon Valley, notamment depuis la sortie de l'iPhone d'Apple, ne parle plus que du « allways on », « connecté en permanence », et tous les acteurs, Google en tête, rêvent de tenir le premier rôle de ce monde connecté.

Il suffit de se promener dans la Bay Area, la région de San Francisco, pour le constater. Prenons par exemple le bien nommé Nomad Café, à Oakland. Christopher Waters, son propriétaire, a créé le lieu en 2003, aux débuts du déploiement massif du réseau sans fil WiFi dans la région. Et il observe depuis le nombre croissant de clients qui viennent passer quelques minutes ou quelques heures, pour boire un café, mais surtout pour se connecter à l'internet. Beaucoup d'entre eux sont étudiants à l'université de Berkeley, voisine, et profitent d'un intercours pour relever leurs courriels et préparer leurs dissertations, qu'ils ne peuvent plus imaginer sans connexion internet, par exemple à Wikipedia, l'encyclopédie en ligne. On les reconnaît à leur équipement pléthorique : un ordinateur, un iPod pour la musique, un téléphone mobile. Parfois un iPhone, voire même un Blackberry, l'appareil qui vous permet de recevoir vos courriels en permanence. Regardons nos poches. Elles se sont alourdies dans la Silicon Valley. Impossible de sortir, au minimum, sans un assistant personnel connecté et un ordinateur portable. Et l'idée de rester une heure sans lire ces mails, l'application la plus basique de l'internet, est devenue un cauchemar. Au point qu'il existe maintenant des cures de désintoxications spécialisées pour les accros du Blackberry.

Mais il faut d'abord redéfinir le nomadisme. Contrairement aux idées reçues, ce n'est pas le voyage qui définit le nomade digital. C'est la connexion. Ces étudiants de Berkeley ne vont souvent pas beaucoup plus loin que du campus à l'université, en passant par le Nomad café. Ils éprouvent en revanche de plus en plus le besoin d'être connectés en permanence, dans leurs déplacements quotidiens, aussi petits soient-ils. Parfois, c'est simplement de leur chambre à leur salon...L'hyper nomade de Jacques Attali, sorte de jetsetteur numérique, n'est donc peut être pas celui que nous croyions. Et se sont sûrement les jeunes qui nous montrent la voie. Des « micro-nomades » en quelque sorte, se déplaçant de points de connexion à point de connexion.

D'abord parce que les appareils que nous utilisons sont de plus en plus connectés, et que nous les adoptons de plus en plus. Selon la international-telecommunication-union, il y aura en 2008 « seulement » 1,2 milliard d'utilisateurs de l'internet à partir d'ordinateurs (fixes et portables), alors qu'il y aura environ 3,3 milliards d'utilisateurs de téléphones mobiles, soit la moitié de la population mondiale. Qui seront de plus en plus connectés à l'internet grâce à leur mobile. Dans la Silicon Valley, l'iPhone a connu le succès d'abord grâce à son navigateur internet et la capacité simple qu'il permet d'être connecté à tout moment, dans de relativement bonnes conditions. Google indique déjà qu'il a reçu 50 fois plus de requêtes « mobiles » sur son site venant de l'iPhone que de n'importe quel autre téléphone mobile. Avec un tel taux de pénétration, et des fonctionnalités qui deviennent de plus en plus « web friendly », c'est le temps d'une connexion permanente à l'internet qui s'annonce, pour une partie importante de la population.

Sans nous en rendre compte, nous sommes donc devenus des micro-nomades. Regardons nos usages. Nous utilisons massivement nos téléphones pour recevoir ou envoyer des SMS. Jeunes et « exécutifs » utilisent de plus en plus un téléphone mobile pour lire ou envoyer des courriels. Et avec des téléphones comme l'iPhone, don't il y a fort à parier que les prix vont baisser et que la concurrence va s'emparer rapidement de ses fonctionnalités, nous allons très vite surfer, dans de bonnes conditions, et pour peu cher, sur l'internet. Alors, ce sont nos façons d'entrer en relation avec les autres qui vont changer. De micro-nomade à micro-nomade, c'est un monde d'ultra mobilité qui se dessine à grande vitesse. Et ce n'est pas la Silicon Valley qui montre le chemin, même si elle nous a donné avec l'iPhone l'appareil qui va changer la donne, mais l'Asie, dont les usages sont d'ores et déjà très en avance. Et ce sont tous ces jeunes micro-nomades qui nous montrent de quoi demain sera fait. Moins de paillettes et de raisonnement que de vrais usages innovants.

[1] Attali, Jacques, Une brève histoire de l'avenir, Fayard, 2006

Dominique Piotet
Président de l'Atelier BNP Paribas à San Francisco
Dominique Piotet
Par Dominique Piotet

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