Voici comme chaque semaine un reportage réalisé par notre correspondante permanente au Japon, Karyn, qui, tour à tour, repère pour Clubic les innovations techniques nippones et décrypte les usages singuliers que font les Japonais des nouvelles technologies.
Tout journaliste de presse écrite au Japon le comprend vite: plus qu'un stylo, l'indispensable outil ici est un enregistreur audio. Cette nécessité, plus forte ici sans doute qu'ailleurs, tient à plusieurs raisons: difficulté de prendre des notes directement en japonais au rythme imposé de la discussion, reproduction fidèle des propos tenus (par éthique professionnelle et en cas de contestation ultérieure) et réécoute inévitable de phrases prêtant à confusion (ce qui est fréquent dans la langue japonaise).
Cependant, et heureusement pour les fabricants de ce type de produits, même si les scribouillards japonais sont très nombreux, ils ne sont pas les seuls acheteurs potentiels de ces appareils, parfois encore appelés dictaphones bien que ce terme, pris au pied de la lettre, apparaîsse désormais bien restrictif. De fait, à l'étendue des utilisations possibles de ces enregistreurs de poche, répond une vaste collection de produits, présentés en bonne place dans les hypermarchés de l'électronique nippons. C'est que les étudiants et les hommes d'affaires sont aussi des fanas de ces appareils qui permettent de conserver le contenu d'entretiens, de réunions ou de cours, et de servir de mémo personnel ou de professeur de langues, entre autres. Etonnamment, le téléphone portable, pourtant couteau-suisse, ne remplace pas ces produits dédiés.
Comme pour tous les équipements électroniques, les acteurs locaux du secteur, qui monopolisent quasiment l'offre au Japon, se battent pour dévorer des parts de marché, rivalisant de fonctions et fanfaronnant à qui mieux mieux sur la qualité sonore de leurs engins. Même si les dictaphones à cassette étaient déjà des produits vedettes au Japon à l'ère révolue de l'analogique, la numérisation des enregistrements sonores et leur conservation sur puce mémoire, puis leur transfert éventuel vers un autre support, offrent en effet de nouvelles possibilités qui ont dynamisé le marché et incité de nouveaux venus à s'y jeter. Il se vend environ 1 million d'enregistreurs audio à mémoire par an au Japon, soit 20% du total mondial.
Alors que les grandes surfaces spécialisées françaises proposent une vingtaine d'appareils émanant d'un nombre plutôt restreint de fabricants (dont en premier lieu les japonais Olympus, Sony ou Matsushita/Panasonic), les Yodobashi Camera, Bic Camera et autres hypers de l'électronique nippons en alignent au bas mot le triple, une proportion d'ailleurs vraie pour nombre d'autres articles.
Il faut cependant distinguer deux catégories de produits: les enregistreurs simples pour les applications ci-dessus citées et les produits portables de haute-qualité destinés à des perfectionnistes (compositeurs et musiciens amateurs ou professionnels au premier chef, mais pas seulement).
Dans le premier ensemble, de loin le plus important en nombre de références, les champions se nomment Olympus, Sanyo, Sony, Toshiba ou Panasonic. Tous proposent des appareils de tout petit gabarit, à glisser dans une poche de veste, avec micro intégré et mémoire interne ou amovible d'une capacité de quelques centaines de mégaoctets à un, deux, quatre ou huit gigaoctects sur puce 'flash", soit des dizaines d'heures de sons à emmagasiner. Pour se distinguer, les fabricants ne cessent de diversifier le design de leurs créations afin de toucher les différentes clientèles, sans éviter d'ailleurs les clichés - noir laqué pour les hommes d'affaires, rose pour les demoiselles - et d'ajouter des petits «plus alpha », c'est-à-dire des fonctions annexes censées faire la différence. Exemple : une ergonomie plus intuitive avec un écran plus large et des boutons mieux placés ou plus maniables (molette), la prise USB logée sous un capuchon qui permet d'éviter de transbahuter un câble pour transférer les données sur un PC, un appendice qui transforme aussi l'appareil en clef de stockage de fichiers variés. De nombreux modèles font aussi office de baladeurs.
Certains concepteurs, tel Sony, proposent des enregistreurs qui se raccordent directement à un lecteur de CD ou MD, voire à une mini-chaîne Hi-Fi pour répliquer des musiques sans recourir à un PC, d'autres comme Olympus ajoutent des fonctions spéciales pour l'apprentissage de langues étrangères. Autre trouvaille récente, bien dans l'air sécuritaire du temps : la possibilité de protéger les enregistrements contre les écoutes de tiers non-autorisés grâce à un code secret. Les logiciels pour ordinateur généralement fournis avec les modèles raccordables à un PC sont aussi un moyen de se démarquer des concurrents grâce par exemple à des outils de reconnaissance vocale. Sanyo a pour sa part imaginé un accessoire qui dope encore les utilisations potentielles de ses appareils, en l'occurrence un micro sans fil accompagné d'un récepteur à brancher sur l'entrée de l'enregistreur. Il est ainsi par exemple possible de poser le micro sur la table d'un conférencier et de garder l'enregistreur par devers soi pour bénéficier d'un son plus propre (car capté à bonne distance) tout en contrôlant l'enregistrement.
Toutefois, bien qu'offrant des qualités sonores améliorées par rapport aux premiers modèles à puce, et a fortiori comparés aux ancêtres analogiques, ces produits miniatures sont loin de satisfaire les exigences des audiophiles et chasseurs de sons. D'où le développement de la deuxième catégorie d'appareils qui rencontrent un engouement croissant au Japon. Initialement réservés aux amateurs avertis, les enregistreurs haut de gamme de poche trouvent désormais preneur auprès d'un public de plus en plus large. Se passe ainsi dans ce domaine un phénomène similaire à celui constaté sur le segment de la photo numérique où l'on trouve d'un côté des modèles compacts relativement performants et truffés de fioritures plus ou moins gadgets, mais aux marges de paramètrage plutôt limitées, et de l'autre des appareils à visée reflex plus complexes à utiliser mais bénéficiant de nombreuses options et accessoires et offrant des résultats nettement meilleurs, sous réserve d'en maîtriser les subtilités et de disposer du budget idoine.
De ce fait, les fabricants, qui ont antérieurement assis leur réputation sur les techniques de captation acoustique pour professionnels, trouvent désormais un débouché plus large en proposant des appareils semi-pro qui attirent des amateurs avertis en nombre grandissant prêts à débourser plus de 300 euros pour se doter d'un enregistreur de poche de qualité supérieure. Ainsi, depuis environ 18 mois, grossit à vue d'oeil le rayon des enregistreurs en mode linéaire (non compressé) PCM. Les appareils proposés, ainsi que la flopée d'accessoires optionnels, que l'on trouve dans toutes les boutiques d'électronique grand public, et pas seulement dans les enseignes d'équipements pour pros de l'audio, séduisent au premier chef les jeunes férus de musique qui souhaitent enregistrer leurs performances de guitare ou autre instrument.
Ils font aussi florès auprès des amoureux des bruits divers, captés ici ou là, au hasard de leurs pérégrinations, pour les transformer en créations sonores. Edirol (groupe Roland), en 2004, et Sony, en 2005, ont été parmi les premiers à investir ce champ, avec le R-1 pour le premier et le toujours fameux PCM-D1 pour le second, un modèle dont le prix reste depuis le départ aux alentours de 200.000 yens (1.300 euros). Trop onéreux et/ou trop complexes, ces appareils encore insuffisamment miniaturisés étaient destinés une niche restreinte. C'est toutefois grâce à Edirol que le cercle de chalandise s'est notablement étendu lorsqu'il lança son R-09 il y a un peu plus d'un an. Cet enregistreur, léger et à peine plus gros qu'un paquet de cigarette, rencontra d'emblée au Japon un engouement tel que les boutiques affichèrent alors "rupture de stock" plusieurs semaines durant.
Puis sont entrés dans la danse Zoom, Tascam, Kenwood ou encore Korg et Yamaha avec des appareils du même acabit, dont le prix se situe dans une fourchette de 160 euros à 450 euros, soit trois à huit fois moins chers que le PCM-D1 de Sony. Ce mouvement concurrentiel a poussé Sony à donner un petit frère (PCM-D50, 400 euros) à son produit initial PCM-D1 qui reste néanmoins toujours le meilleur. Les concepteurs de simples dictaphones étendent pour leur part aussi leur catalogue dans cette direction. Ainsi, Olympus, dont la populaire gamme d'enregistreurs de base "VoiceTreck" est devenue une source de profits, vient-il de se positionner également sur cette seconde catégorie d'appareils de niveau supérieur. Idem pour Sanyo. Cette évolution vers la qualité et le soin apporté à la finition illustre une fois de plus la tactique des Japonais pour échapper à la spirale infernale de baisse des prix et des marges.
Cela s'appelle s'échapper par le haut grâce à la maîtrise de technologies qui ne sont pas à la portée du premier venu, fût-il capable d'assembler des puces et autres composants. De fait, des produits de ce type, à commencer par le Korg MR-1 (Direct stream digital 1 bit), sont entièrement "made in Japan", un facteur qui renforce d'ailleurs leur attractivité au pays du Soleil-Levant où la production locale est toujours considérée comme un gage de fiabilité et de qualité.