Crise ou pas, les festivités de Noël et du Nouvel An approchent et avec elles la "nenmatsu shousen" (guerre commerciale de fin d'année), laquelle suit celles de l'automne et de l'été, précédées par celle de la rentrée qui, au Japon, a lieu au printemps. Dans la perspective des réjouissances hivernales, les groupes d'électronique dégainent en général des munitions inédites, produits canons censés faire un carton. On avait déjà eu droit récemment aux shows des champions du jeu vidéo, avec Nintendo et sa nouvelle console de poche DSi (commercialisée le 1er novembre au Japon), puis Sony Computer Entertainment avec sa PSP-3000 affinée sortie cette semaine. Panasonic et Sony nous avaient aussi récemment gratifiés de présentation en fanfare de nouveaux téléviseurs.
Pas de grande révolution chez Panasonic, numéro un mondial des TV à écran plasma, et premier fabricant de téléviseurs au monde à avoir produit plus de 300 millions de postes (toutes technologies confondues) au cours de sa longue histoire. Le groupe (anciennement Matsushita) est aussi un des rares qui conserve à son catalogue à la fois des modèles plasma et LCD, alors que ses principaux rivaux compatriotes, Sony et Sharp, ont laissé de côté le plasma et tout misé ou presque sur les LCD dont le marché est autrement plus important, avant de passer progressivement aux écrans organiques (OLED ou OEL) dans le cas de Sony.
Ce dernier a par ailleurs surpris son monde il y a peu avec un téléviseur à écran LCD en haute-définition dont l'épaisseur est inférieure à un centimètre pour la partie la plus fine, un record à ce jour pour ce type de télévision. Le dénommé "Bravia ZX1" sera vendu au Japon le 10 novembre, pour un prix laissé à la discrétion des revendeurs, et quasi simultanément dans le reste du monde. Ce modèle mesure 40 pouces (environ un mètre) de diagonale et affiche une masse de 12,2 kilogrammes.
Pour arriver à de telles mensurations mini, Sony a isolé l'écran du système de réception des chaînes (tuner) et des parties nécessaires à la connexion de sources vidéo (platine DVD et autres), réduisant ainsi au strict minimum les composants de l'écran proprement dit. Les images lui sont transmises par le boîtier distant par technologie sans fil à haut débit. De ce fait, l'écran peut être installé plus librement dans un salon, voire directement fixé au mur. Sony a également expliqué avoir employé un mode de rétro-éclairage à diodes électroluminescentes (LED) placées aux pourtours, et non en face arrière, une autre innovation qui contribue fortement à affiner l'écran.
Le fleuron de l'électronique nippon, qui n'avait pas de TV LCD dans son offre il y a trois ans s'est rattrapé depuis. Sony est aujourd'hui au coude-à-coude avec le sud-coréen Samsung Electronics aux premiers rangs du secteur à l'échelle mondiale. Il bénéficie notamment d'une excellente image de marque en Europe et aux Etats-Unis, compensant ainsi largement son retard sur Sharp au Japon. Sony, qui a mis en place une stratégie destinée à gagner des parts de marché un peu partout (quitte à sous-traiter la production de modèles d'entrée de gamme), espère vendre 17 millions de TV LCD dans le monde au cours de l'année budgétaire en cours, soit une progression de quelque 70% par rapport à l'an passé.
Sharp, loyal rival de Sony, a pour sa part fait jaser cette semaine en dévoilant une nouvelle gamme de téléviseurs LCD qui intègrent, pour la première fois, un lecteur/enregistreur vidéo en haute-définition sur DVD au format Blu-Ray. "Alors que la concurrence est vive et la conjoncture mauvaise, nous voulons nous différencier en proposant aux consommateurs des produits haut de gamme de grande qualité mais simples à utiliser", a expliqué le patron de Sharp, Mikio Katayama, lors d'une conférence de presse. Sharp va mettre sur le marché nippon fin novembre 16 nouveaux téléviseurs "Aquos" dont la diagonale s'étend de 26 pouces (66 cm) à 52 pouces, tous intégrant en face arrière un lecteur/enregistreur vidéo sur DVD de grande capacité Blu-Ray.
Ces téléviseurs, dont la fourchette de prix ira de 170.000 à 500.000 yens (1.230 à 3.610 euros), rendent inutile la possession d'un lecteur/enregistreur vidéo séparé et peuvent, selon Sharp, "aisément trouver place dans toutes les pièces d'une maison". Ces TV hybrides, dont les composants-clefs (dalle LCD, cellule laser, etc.) sont produits par Sharp, permettent de stocker jusqu'à 21 heures de programme en haute-définition sur un disque Blu-Ray à double couche (capacité de 50 gigaoctets - Go). "Nous misons fortement sur le support d'édition et d'enregistrement Blu-Ray", a affirmé le patron du groupe. Même des films ou autres programmes diffusés par les chaînes ou distribués en ligne exigent en effet des supports pour être conservés durablement par le téléspectateur et regardés à volonté en différents lieux. Sans compter que tout ce qui passe à la télévision ne sera pas indéfiniment disponible en ligne, émissions dites de flux en premier lieu. Qui veut les archiver a intérêt à s'en occuper lui-même.
Selon nos calculs, l'intégration du lecteur/enregistreur enchérit de 50.000 yens (360 euros) le coût par rapport à un téléviseur simple de mêmes dimensions. Autrement dit, ces "TV enregistreuses" semblent être une bonne affaire, sachant que l'on ne trouve pas pour le moment dans le commerce au Japon d'enregistreur Blu-Ray double-couche à moins de 570 euros. Le produit meilleur marché est en outre également signé Sharp. A noter qu'en cas de panne du module Blu-Ray de ces TV, il peut être détaché pour être réparé sans priver son propriétaire de télé.
Pour cette nouvelle gamme, le groupe d'Osaka (ouest) privilégie la clientèle avant-gardiste du Japon où il fait la course en tête. A l'étranger, il va dans un premier temps, en 2009, ne proposer que des TV LCD intégrant un lecteur Blu-Ray (sans fonction d'enregistrement). Pourquoi? Eh bien tout bonnement parce que les téléspectateurs n'ont pas besoin d'un matériel pour enregistrer en haute définition puisque la diffusion d'émissions dans ce mode n'est pas encore majoritaire en Europe, contrairement au Japon où toutes les chaînes nationales émettent des signaux numériques HD, et bientôt plus que cela.
Outre la qualité d'image ("la force des industriels nippons" selon M. Katayama), la moindre consommation électrique est aussi devenue, en cette période d'inflation, un argument de vente pour les téléviseurs. Dans un foyer japonais, un quart du courant sert à alimenter la climatisation (99% des maisonnées en ont une, qui sert de chauffage en hiver), 16% le réfrigérateur et autant l'éclairage. Suit la télévision, qui est responsable de pas moins de 10% de l'électricité absorbée, devant les tapis chauffants (4%) et les toilettes électroniques (4%).
Au vu de ces chiffres étonnants, tous les groupes d'électronique et électroménager rivalisent en produits vantés comme "cho-sho-ene" (super-économes). Panasonic a par exemple mis en vente en 2007 un téléviseur à écran à cristaux liquides (LCD) de 32 pouces qui, au moment de sa sortie, affichait une consommation de 128 kilowatts-heure par an, contre 131 kWh/an pour le produit concurrent le mieux placé. Son compatriote Sharp a répliqué cette année avec un modèle de même taille qui n'engloutit que 120 kWh par an. Et voilà que Sony vient de proclamer "sho-ene number one" une TV de dimensions identiques qui fait encore beaucoup mieux: 86 kWh par an. "Il faut se souvenir qu'en 2004, un téléviseur LCD de format similaire consommait 238 kWh par an. Autrement dit, en quatre années, nous avons divisé par deux la quantité d'énergie ingurgitée", se félicite une porte-parole de Sharp."Et nous par trois", renchérit Sony.
Du coup, l'argument de la consommation électrique pèse lorsqu'il faut remplacer une télévision, qu'il s'agisse d'un des premiers modèles à écran plat ou a fortiori d'une vieille lucarne à tube cathodique. Les hypermarchés de l'électronique de Tokyo n'hésitent pas à placer un compteur à côté des téléviseurs allumés pour afficher leur voracité électrique et permettre ainsi aux clients de comparer non seulement le rendu des images, mais aussi le rendement à l'usage. La course aux performances à grand renfort de technologies n'est pas près de cesser. Des nouveaux matériaux électrolumiescents pour écrans organiques (OLED) permettront en théorie de diviser encore par quatre la consommation d'un téléviseur, comparé à un modèle LCD actuellement au top.
Cela ne saurait tarder si l'on en juge par les derniers travaux de groupes comme Nippon Steel (un sidérurgiste diversifié) qui a commencé à produire en masse de nouveaux matériaux offrant un meilleur rendement, c'est-à-dire exigeant moins d'électricité pour dégager une luminosité identique à ceux qui équipent les premiers écrans OLED. Les Japonais dominent de façon écrasante la production mondiale de matériaux électroluminescents. Sharp, qui est aussi spécialiste des cellules photovoltaïques, imagine pour sa part de coupler l'écran du téléviseur avec un panneau solaire pour que le poste s'auto-alimente. "Cela pourrait aussi permettre au 1,6 milliard d'humains qui n'ont pas l'électricité de profiter quand même de la télévision", espère le groupe.
Même si les prouesses techniques s'enchaînent, si les prix des téléviseurs continuent de baisser à dimensions et performances similaires, et si les industriels font tout pour en simplifier l'usage et minimiser leur consommation électrique, l'inquiétude sur les tendances du marché est de plus en plus perceptible. Le patron de Sharp a reconnu cette semaine que la crise économique internationale rendait plus difficiles les prévisions, notamment sur les marchés occidentaux.
Le groupe conserve toutefois ses objectifs d'écouler plus de 10 millions de TV LCD dans le monde cette année budgétaire (mars 2008 à avril 2009), bien qu'il ait récemment dû fortement réviser à la baisse ses objectifs financiers initiaux, du fait de la concurrence qui tire les prix des TV vers le bas, de la hausse du yen et de performances inférieures aux attentes dans son activité de téléphones portables. "Au Japon, les ventes de TV continuent de bien se comporter, malgré un bref contre-coup après les Jeux Olympiques de Pékin", a cependant souligné M. Katayama. Sharp domine nettement le secteur sur l'archipel, ses produits "made in Japan" étant jugés de meilleure facture par des clients un brin chauvins.
En Occident en revanche, particulièrement en Europe, les TV Sharp "Aquos" sont moins bien distribuées que celles de Sony et le grand public ignore le plus souvent que Sharp est le plus avancé du monde sur les technologies LCD qu'il est le premier à avoir industrialisées. Sony ne maîtrise pas directement ces complexes techniques de production et se fournit en dalles auprès de S-LCD (une coentreprise montée avec Samsung). Il a même récemment appelé Sharp à la rescousse pour que ce dernier lui fournisse en grande quantité des dalles encore meilleures à compter de 2010. A défaut d'être numéro un mondial des TV LCD, Sharp compte bien être le plus gros fabricant de dalles-mères, ce qui peut rapporter davantage encore.