350 millions, c'est le nombre de puces dites à identification par radiofréquences (RFID) de type "Felica" à ce jour vendues par leur géniteur, Sony. Ces dernières sont devenues un standard de facto au Japon où elles mutent en dizaines de variantes de cartes (de transport, de paiement, de fidélité, d'accès d'entreprise, de club ou d'école, etc.) sur support en plastique ou intégrées dans les téléphones portables. Tous les Japonais ou presque en ont au moins une qu'ils brandissent régulièrement. Ces cartes sont des sésames qui ouvrent la porte à une foultitude d'applications que les Nippons voient plutôt d'un bon oeil et qui entraîne l'intégration de lecteurs RFID dans un nombre croissant d'équipements connectés à internet. Cela changera la vie des humains, et en bien, pensent-ils.
Le géant de l'électronique japonais Sony a ainsi présenté cette semaine à Tokyo une nouvelle série de téléviseurs à écran à cristaux liquides (LCD), raccordables à internet et dont la télécommande intègre un lecteur "Felica". Ces TV de la gamme "Bravia", qui accèdent directement à une plate-forme spécifique, permettent au spectateur d'acheter des programmes à visionner quand bon lui semble (vidéo à la demande - VOD), de faire des courses en ligne, de consulter diverses informations, etc. Mais, à la différence des nombreux modèles existants à relier au Net par un banal câble réseau, les nouveaux "Bravia", destinés au marché japonais, offrent un mode de paiement (anonyme si souhaité), qui n'exige pas la saisie d'un numéro de carte bancaire et est jugé plus sûr, plus simple ou encore plus rapide.
Concrètement, pour payer la vidéo ou la marchandise choisie, le téléspectateur n'a qu'à effleurer la partie inférieure de la télécommande du téléviseur avec une de ses cartes à puce "porte-monnaie électronique" sans contact (technologie d'identification par radiofréquences - RFID) qui contient de l'argent virtuel ou des références cryptées liées à un compte bancaire. Les téléspectateurs ont le choix entre deux types de porte-monnaie électronique: les premiers, dits pré-payés et souvent anonymes, doivent être au préalable chargés en argent, ce qui peut se faire dans les commerces, auprès des distributeurs de billets ou via des bornes dédiées. Les seconds (dits post-payés) débitent chaque mois la somme dépensée sur le compte en banque associé.
Des ordinateurs, et pas seulement les "Vaio" de Sony, sont également déjà dotés d'un lecteur "Felica" pour payer des achats effectués auprès de boutiques sur internet. La console de jeux PlayStation 3 peut également en accueillir un en option via un de ses ports USB.
Outre le paiement facilité de services en ligne, le couple "internet-Felica" démultiplie les possibilité et simplifie bien des opérations qui autrement sont si fastidieuses qu'on ne les fait pas.
Prenons un exemple: vous voyez à la TV un programme qui présente un restaurant dont le menu est ma foi bien appétissant (les Japonais adorent les conseils gastronomiques télévisés) mais vous avez la flemme de vous lever du canapé pour aller chercher de quoi noter dans le tiroir. Avec la nouvelle TV "Bravia", pour récupérer l'info il n'y a alors qu'à poser votre téléphone portable sur la télécommande et à appuyer sur la touche "Felica". Pas convaincu ? On continue. Vous recevez une carte postale sur laquelle est indiquée une adresse internet: la saisir sur un ordinateur muni de hauts-parleurs est le seul moyen d'écouter la musique qu'un ami a gentiment voulu vous offrir, mais "dieu que c'est ennuyeux". On verra ça demain! Eh hop, aux oubliettes. Imaginez que ladite carte postale comporte une puce sans contact. Il suffirait alors de la poser sur la télécommande de la TV pour qu'immédiatement le clip vidéo s'affiche à l'écran et que la musique envahisse la pièce. Alors ? N'est-ce pas plus ludique et plus simple, donc plus agréable ?
Autre cas de figure: vous faites tous les jours de la marche à pied, car votre médecin ou votre employeur s'inquiète pour votre tour de taille (une situation qui est loin de relever de la fiction pour des millions de quadragénaires nippons). Podomètre arrimé à la ceinture, vous vous astreignez à l'effort pédestre, mais aurez-vous le courage d'aller jusqu'à relever chaque jour le nombre de pas, les calories brûlées, les kilomètres arpentés et de saisir le tout dans votre ordinateur? Réponse: non, dans la plupart des cas, soyez francs.
Et s'il suffisait de poser le podomètre près de la télécommande le soir en rentrant, geste banal que vous faites peut-être déjà? Les données seraient alors automatiquement transférées à un serveur et votre téléviseur vous présenterait alors vos exploits sous forme de graphiques sans rien vous demander. Encourageant, non? Pas suffisant? Poursuivons: vous haïssez les tonnes de prospectus que vomit chaque jour votre boîte à lettres, vous bazardez systématiquement tout à la poubelle sans prendre la peine de trier le bon grain de l'ivraie. N'y-a-t-il pas pourtant parfois dans le lot des bonnes affaires que vous ratez bêtement, parce que vous avez la fainéantise, compréhensible au demeurant, de sélectionner.
Et s'il suffisait de poser la carte de fidélité de vos boutiques fétiches sur la télécommande de votre TV pour prendre connaissance des offres en rayon et surtout de celles qui risquent le plus de vous intéresser en fonction de vos achats antérieurs? On en entend déjà crier au loup, mais il n'empêche, un tel système minimiserait le gâchis de papier et vous ferait peut-être bien économiser quelques yens sur des produits que vous achetez la veille ou le lendemain de la promotion, faute d'avoir regardé le prospectus. Et si toutes les dépenses effectuées avec votre carte de paiement à débit différé se saisissaient toutes seules au jour le jour dans un logiciel de compte?
Avouez que ce serait moins pénible que d'éplucher les facturettes et de comparer avec ce qui est inscrit en fin de mois sur votre relevé. Admettons que vous raisonniez comme les Japonais (pour qui le bénéfice d'usage et le côté pratique passent devant les craintes sur l'utilisation légale, précisée, d'informations à des fins commerciales) et rajoutons-en, car ce n'est pas tout.
Si tous les produits et objets du commerce, les courriers, les ordonnances, les aliments étaient accompagnés d'une puce sans contact à identifiant absolument unique qui puisse être lue par une télécommande de télévision ou tout autre appareil, fixe ou mobile, muni ou adossé à un écran? Cette hypothèse est non seulement formulée au Japon, mais elle risque bien de s'y concrétiser plus vite qu'ailleurs. On vous a déjà parlé ici du professeur Ken Sakamura et de ses "ucode", on ne va pas récrire la même histoire.
Par contre, lui n'a jusqu'à présent pas (pas devant nous en tout cas) présenté la télécommande de télévision comme un possible lecteur des puces, ce qui est étonnant vu son approche visionnaire, mais ne fait que renforcer sa thèse d'une généralisation de ces dernières et d'un accès facilité à leur contenu à travers des équipements familiers. Juste un exemple: vous sortez de chez le médecin avec une ordonnance où le texte de la prescription est accompagné d'une puce RFID renvoyant vers le même contenu. Le pharmacien lit ladite puce ainsi que celle intégrée dans chaque boîte de médicaments avec son terminal de paiement. S'il se trompe, sa caisse enregistreuse le lui dit. "Ce sirop là n'est pas inscrit sur l'ordonnance"!
Arrivé chez vous, vous passez à votre tour ladite ordonnance sur la télécommande de la TV, puis faites de même avec les boîtes, ce qui vous donne accès à des informations complémentaires sur la posologie, les contre-indications, etc. En temps utile, la TV (ou plutôt un serveur distant), qui sait tout grâce aux puces, vous rappelle votre prescription. Avant d'avaler vos cachets, vous effleurez de nouveau la télécommande avec chaque boîte que vous vous apprêtez à ouvrir. La TV vous alertera alors en cas d'erreur "Non, le matin, vous ne devez pas prendre cette gélule". La même chose est faisable avec le téléphone portable lorsque vous êtes ailleurs.
Reconnaissez que pour une personne âgée qui n'a plus forcément toute sa tête, ces aides sont bienvenues et peuvent même s'avérer vitales, même si le stockage des données en ligne présente potentiellement un risque. Mais, tout bien pesé, et à condition que des précautions soient prises et des mises en garde répétées, n'est-il pas négligeable au regard du bienfait? Cela mérite réflexion, non? Ce type de service ne doit pas et ne sera de toute façon pas conçu sans de multiples verrous de sécurité.
Pour rendre le tout de surcroît plus commode et facile à digérer, une petite société nippone, Faith, a développé un prototype de télécommande dont l'ergonomie est plus intuitive, sous la forme d'un écran tactile qui peut lui-même servir de support de visionnage ou de lecture et être trimbalé à l'extérieur. A la place des boutons s'affichent d'une part les objets présents alentour (TV, téléphone portable, etc.) préconfigurés ou reconnus grâce à leur puce, et d'autre part les contenus disponibles (photos, vidéos, messages, livres ou journaux électroniques, etc.).
Il suffit alors de faire glisser les seconds dans les premiers pour en profiter sur l'écran de TV ou un autre terminal, d'un geste du doigt, et la technique s'occupe du reste, sans vous dire qu'en réalité, elle ne fait que transférer des droits d'accès à un serveur distant entre un terminal (par exemple la TV) et un autre (le téléphone portable). Cet instrument peut aussi servir de centrale de domotique. On imagine même un jour qu'il saura dire à grand maman où sont ses lunettes, la puce de ces dernières indiquant leur emplacement, lequel peut par exemple être le tiroir du buffet lui-même identifié comme tel par... une puce. Quand on vous dit qu'il y en aura partout!