En vedette, Hitachi. Ce conglomérat tentaculaire se trouve être la plus grosse entreprise japonaise oeuvrant dans le secteur de l'électronique, avec un chiffre d'affaires global, toutes activités confondues, de quelque 10.000 milliards de yens (77 milliards d'euros) l'an passé.
Frappé par la récession, qui a notablement affaibli ses divisions de composants électroniques (surtout ceux destinés au secteur de l'automobile) et de produits audiovisuels grand public, Hitachi a décidé de mettre l'accent sur les domaines jugés les plus porteurs pour l'avenir, tels que l'énergie.
Le groupe s'active ainsi fortement dans le développement des réseaux de distribution d'électricité dits intelligents ou de nouvelle génération ("smart grid"), un gros marché en perspective. "Alors qu'augmentent les besoins en électricité stable et que se diversifient les générateurs, grâce aux nouvelles énergies (centrales solaires, fermes d'éoliennes, etc.), il est nécessaire de mieux réguler l'équilibre entre l'offre et la demande, notamment lors des grosses variations de production et de consommation difficiles à prévoir", souligne un ingénieur du groupe, Yutaka Saito, lors d'une présentation des ambitions de Hitachi dans ce domaine.
Même si le Japon se targue déjà d'être le pays où la fourniture d'électricité est des plus fiables, avec un temps de coupure de courant constaté le plus bas des pays riches (19 minutes en 2006 contre 97 minutes aux Etats-Unis et près d'une heure en France), cette modification des modes d'approvisionnement et d'usage change la donne. "La nécessité de réduire les gaspillages, et par voie de conséquence les rejets de gaz à effet de serre, exige que l'on ait une gestion encore plus sûre et rationnelle de la production, de la distribution et de la consommation d'électricité, en ajustant au mieux l'équilibre entre ces trois étapes", précise un autre ingénieur de Hitachi.
Outre une plus grande vigilance humaine, cette volonté requiert, selon les acteurs mondiaux du secteur, des moyens matériels et logiciels inusités. Hitachi, dont le portefeuille de produits va des réacteurs nucléaires (avec l'américain General Electric) aux puces électroniques, en passant par les turbines, éoliennes, commutateurs, batteries, serveurs, bases de données, outils de supervision, capteurs, caméras et autres équipements divers, est un des rares industriels à pouvoir se poser en fournisseur de presque tous les appareils et systèmes requis pour construire et gérer informatiquement de bout en bout un réseau électrique intelligent. Les technologies d'amélioration des rendements des différentes techniques électrogènes et d'économie d'énergie sont aussi un de ses chevaux de bataille.
Autre domaine sur lequel mise Hitachi, la sécurité. Ses atouts sur ce plan sont là-encore indéniables. Il fournit tout ou presque: outils de gestion de centre de données, capteurs, caméras, disques durs, enregisteurs, lecteurs et puces d'identification à radiofréquences (RFID), portillons, systèmes de reconnaissance faciale ou autre, outils de traçabilité des marchandises, des documents et des personnes, dans l'environnement réel et virtuel. Ce que le groupe met cependant le plus en avant actuellement, ce sont ses technologies biométriques uniques, où le motif des veines du doigt sert de critère d'authentification des personnes.
La différenciation biométrique par la reconnaissance des veines du doigt ou de la main est un procédé déjà très répandu au Japon, où toutes les grandes banques proposent à leurs clients de remplacer ainsi la saisie du code secret de leur carte pour effectuer des opérations auprès des automates bancaires. Outre Hitachi, le groupe nippon Fujitsu commercialise aussi son propre système (basé sur les veines de la paume de la main) et le géant de l'électronique grand public japonais Sony vient aussi de présenter également une nouvelle technique.
Ce type de moyen biométrique est bien entendu utilisé pour gérér des accès dans des lieux protégés et pour remplacer les mots de passe permettant de se connecter à un réseau ou d'autoriser une imprimante à sortir les documents uniquement en présence de celui qui en a lancé l'impression. Ce sont là des applications basiques. Mais Hitachi ne s'arrête pas ici: des lecteurs d'image vasculaire, il en flanque désormais aussi sur les distributeurs automatiques de boissons ou les casiers pour les personnels d'entreprise et les consignes publiques. Pour sûr, c'est simple et rapide: on met ses affaires à l'intérieur, on ferme la porte, sélectionne le numéro du casier sur l'écran tactile général, on pose son doigt sur le lecteur, et c'est fermé. Avec un doigt en guise de clef, on ne risque pas la perte accidentelle ni l'oubli (ce qui est souvent le cas avec un mot de passe).
Cette technique biométrique est aussi commercialisée en Europe, Hitachi ayant l'ambition de faire-valoir sa fiabilité supérieure à celle des empreintes digitales. Le groupe nippon a d'ailleurs signé en début d'année un accord en ce sens avec la société française Sagem Sécurité (groupe Safran), laquelle prévoit de développer des dispositifs d'authentification personnelle "multimodaux", c'est-à-dire s'appuyant en même temps sur deux modes de vérification des traits différenciateurs des personnes.
Autres techniques particulièrement intéressantes chez Hitachi (qui en a réellement beaucoup), les systèmes permettant de suivre les comportements des consommateurs, non pas en ligne, mais dans les magasins et centres commerciaux ayant pignon sur rue. Les chercheurs du groupe ont notamment conçu un dispositif de suivi par laser qui marque d'une ligne pour chaque client et de couleur distincte, sur un écran, son parcours dans la boutique. Ce moyen est moins indiscret et sans doute plus admissible dans de nombreux pays que les caméras généralement utilisées à cette même fin, puisque le suivi est totalement dépourvu d'éléments de reconnaissance des personnes.
Le touche-à-tout Hitachi a aussi imaginé un outil pour mesurer et prévoir les déplacements de populations dans la ville, en fonction des différentes circonstances, ce qui est utile tant aux administrations qu'aux promoteurs immobiliers, commerçants, urbanistes, services de sécurité, etc. Au Japon, où la gestion des foules est un souci constant et où les risques de séismes sont permanents, prévoir est une obligation, si ce n'est une obsession. Pour les milieux ruraux, où ne se pose pas le problème de la densité de population, Hitachi a développé des moyens d'améliorer le travail de la terre, par une surveillance distante sur PC de l'état des terres, parcelle par parcelle. Le tout se fait via des vues satellites enrichies d'informations prélevées par des capteurs de diverses natures.
Il faudrait aussi parler des systèmes destinés aux opérateurs de transport ferroviaire ou aux chaînes d'usines, puis des appareils médicaux et de suivi sanitaire, mais pour conclure, on préfère s'arrêter sur deux technologies qui ne manqueraient pas de susciter des réactions outrées si elles étaient employées en France.
La première a été développée par Hitachi et le groupe de tabac nippon Japan Tobacco. Pour ceux qui n'ont jamais mis les pieds ici, il faut savoir que les trottoirs des rues des villes et bourgades nippones sont encombrés de distributeurs automatiques de boissons (environ 2,5 millions) et 0,5 million de machines à cigarettes. Ces dernières ne vendent désormais plus qu'aux individus majeurs (plus de 20 ans) détenteurs d'une carte nominative à puce sans contact, Taspo, qui leur permet de s'authentifier et de payer. Certains automates sont pourvus d'un dispositif visuel qui permet de confirmer si celui qui achète est bien le porteur enregistré.
Notez qu'il est mal vu quand on n'a pas sa carte, surtout si on est étranger, de demander à un Japonais de vous acheter des clopes en échange de la somme correspondante (à bon entendeur). La dernière trouvaille de Japan Tobacco, en cours de développement chez Hitachi, est de suivre grâce à une caméra placée à l'intérieur du distributeur, le mouvement des yeux de l'acheteur. Objectif: recueillir des données sur les zones les plus regardées de la vitrine afin d'y placer les marques de cigarettes que l'on veut mettre en vedette. Comme nous l'a confirmé un ingénieur de Hitachi, cette technique ne sera bien sûr pas cantonnée aux distributeurs de cigarettes.
Autre innovation troublante pour finir: "le business microscope". Ce dispositif, qui s'appuie sur le port par les salariés d'une entreprise d'un badge électronique pendu au cou, permet d'enregistrer et de visualiser sur ordinateur la fréquence de dialogue en vis-à-vis entre les différents membres d'un service et entre personnes appartenant à différentes entités d'une société. "J'ai conçu ce système pour aider à repérer des lacunes de communication entre personnes censées travailler ensemble, afin de les rendre plus efficaces. Mais je ne voudrais pas que cela soit utilisé à des fins de flicage ni de sanction", prévient le concepteur de ce système.