Live Japon : les Nippons plus à l'aise dans l'espace

Karyn Poupée
Publié le 12 septembre 2009 à 12h46
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Fut une époque où l'on s'inquiétait, où l'on doutait sérieusement de la capacité des Japonais à mener à bien des missions spatiales de grande ampleur. Ils se fixaient des objectifs peut-être trop ambitieux, qui plus est avec la volonté d'employer des techniques de pointe inusitées et des méthodes inabouties. L'auteur se souvient de cas de sondes en panne, de mécanismes défaillants, de satellites perdus, d'images terrestres inexploitables, ou pire, de fusée que l'on détruit en vol (2003) à cause d'un problème technique, et ce alors même que les rivaux chinois fanfaronnaient avec raison après avoir réussi leur première mission habitée.

Si les Japonais n'ont toujours pour leur part aucun projet concret d'envoi d'homme dans l'espace à court ou moyen terme par leurs propres moyens, ils ont néanmoins apparemment mis fin à la série noire. Étrangement, mais peut-être est-ce juste fortuit, ce retour sur la bonne trajectoire a coïncidé avec la nomination fin 2004 à la présidence de l'Agence d'exploration spatiale (Jaxa) du visionnaire Keiji Tachikawa, ex-patron du premier opérateur de télécommunications mobiles nippon, NTT Docomo.

Toujours est-il que les instituts japonais, aidés par des entreprises locales spécialistes des systèmes électroniques, des capteurs et autres composants cruciaux, ont aligné ces dernières années quelques belles réussites et lancé des projets innovants au service de la communauté internationale. D'ailleurs, les industriels en question commencent à se faire remarquer à l'extérieur et fournissent de plus en plus de pièces aux intégrateurs d'engins spatiaux.

Ces dernières semaines ont apporté plusieurs illustrations de la présence croissante des Nippons dans le champ spatial. Le premier exemplaire de la nouvelle fusée nippone, H-2B, a notamment décollé comme prévu dans la nuit de jeudi 10 à vendredi 11 septembre de la base de Tanegashima (sud de l'archipel), à 2h01mn au Japon (jeudi 10 septembre 17H01 GMT), selon les images diffusées en direct par l'Agence d'exploration spatiale japonaise (Jaxa).

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Les différentes étapes techniques prévues durant et après le décollage se sont déroulées conformément aux plans, a indiqué la Jaxa confirmant le succès du tir. Ce lanceur H-2B transportait pour ce premier vol un nouvel engin japonais, appelé "véhicule de transport" (HTV). Ce dernier s'est séparé des éléments de la fusée environ un quart d'heure après le départ, comme programmé. Suivi depuis un centre de contrôle au sol, il est censé se diriger désormais seul vers la Station spatiale internationale (ISS) pour apporter 4,5 tonnes de matériel et de ravitaillement à son équipage. Cette mission est jugée cruciale par les Japonais qui espèrent faire du HTV un relais de la navette américaine pour transporter des équipements vers l'ISS. Imaginé par l'agence spatiale japonaise, ce véhicule cargo est à usage unique mais un total de sept exemplaires identiques sont prévus. Un HTV doit ainsi rallier l'ISS chaque année jusqu'à 2015, afin de récupérer les ordures et d'apporter à son équipage jusqu'à 6 tonnes de marchandises et équipements par voyage.

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Si tout se déroule sans problème, le premier HTV lancé dans la nuit de jeudi à vendredi mettra près d'une semaine avant de s'immobiliser à proximité de l'ISS, à une dizaine de mètres. L'équipage le saisira pour le fixer à la station à l'aide d'un bras robotisé. Le HTV est doté d'une large embouchure carrée de 1,2 mètre de côté qui viendra correspondre avec un sas de l'ISS, afin d'effectuer les transferts de cargaison.

Pour ce premier voyage de validation, le HTV emporte aux spationautes de l'ISS des équipements de mesure dans le cadre d'essais pour un programme nippon baptisé SMILES qui doit permettre d'évaluer les effets de la pollution dans la stratosphère. Cet outil expérimental, développé par un institut de recherche public (NITC), servira à quantifier et observer la répartition des traces de différents gaz qui contribuent à la destruction de la nécessaire couche d'ozone. Cette observation se fera par l'émission d'ondes sub-millimétriques (bande des 640 gigahertz), un moyen jugé prometteur mais extrêmement complexe à concevoir et que les Japonais veulent être les premiers à maîtriser dans ce type de mission. Cette sonde va pouvoir suivre une grande partie de la couche d'ozone grâce à des méthodes d'extension de son champ d'observation au-delà des zones survolées par l'ISS. "Il existe des incertitudes sur le temps nécessaire à l'ozonosphère, en partie déchirée, pour se reconstituer", a souligné le NICT. Or cette couche stratosphérique, qui filtre les rayons du soleil, joue un rôle essentiel dans la vie terrestre, a-t-il rappelé.

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Une fois ce matériel livré et sa mission d'environ un mois accomplie, le véhicule HTV sera détaché de l'ISS, puis s'en éloignera pour se désintégrer dans l'espace et se consumer en retombant dans l'atmosphère terrestre. La nouvelle fusée H-2B, fabriquée par le conglomérat industriel nippon Mitsubishi Heavy Industries (MHI) dans une usine de Nagoya (centre), effectuait quant à elle à cette occasion son vol inaugural. Haute de 56,6 mètres, plus imposante que son aînée H-2A (5,2 mètres de diamètre pour le réservoir du premier étage contre 4), équipée de deux réacteurs et quatre propulseurs auxiliaires ("boosters"), elle est destinée également à lancer ultérieurement des satellites commerciaux. Dotée d'une capacité de 16,5 tonnes pour le largage dans l'espace du HTV (qui pèse 10,5 tonnes à vide), elle peut aussi emporter séparément jusqu'à 8 tonnes de charge utile en orbite de transfert dans le cas de satellites. "Beaucoup d'éléments et de connaissances issus de la précédente version H-2A ont été réutilisés pour la H-2B afin de minimiser les risques, de raccourcir les délais et de réduire les coûts", a expliqué le directeur du projet pour la Jaxa, Tomihisa Nakamura, très confiant dans les capacités de cette nouvelle future concurrente de la fusée européenne Ariane. Avant le tir réussi de la H-2B, la H-2A (désormais passée aux mains du secteur privé, celles de MHI) avait enchaîné 9 succès en ligne concentrés entre février 2005 et début 2009. Auparavant, elle avait effectué 5 missions correctement mais échoué lors de sa sixième en 2003, ce qui avait obligé à une longue suspension de ses activités pour analyse.

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Par ailleurs, il y a quelques semaines, l'Institut national des technologies de la communication japonais (NITC), déjà évoqué plus haut pour l'observation de la couche d'ozone, s'est félicité d'avoir réussi à émettre et recevoir un signal de télévision en ultra haute-définition (seize fois la vraie haute-définition actuelle) via un satellite nippon à très haut débit. Ce test, une première mondiale, a été conduit avec le groupe audiovisuel public NHK, fer de lance du développement de la télévision en ultra haute-définition, autrement appelée Super Hi-Vision ou SHV. Cette expérimentation a consisté à émettre vers un satellite un programme en SHV depuis un site du NITC et à le recevoir ensuite dans un centre de recherche de la NHK. Un signal en SHV se distingue techniquement d'un signal TV actuel (standard ou haute-définition) par un volume de données beaucoup plus élevé, corollaire d'une amélioration significative de la précision des images et des sons.

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La NHK planche depuis plusieurs années sur toute la chaîne de traitement SHV où les images sont constituées chacune de 33 millions de points (ou pixels), contre seulement environ 2 millions en actuelle haute-définition (TV HD). Le son associé est pour sa part restitué sur plus de vingt canaux audio, contre six en TV HD. L'essai a mis en oeuvre le satellite japonais "Kizuna" (lien, en japonais), un engin de test unique conçu par l'agence d'exploration spatiale nippone et calibré pour l'accès à internet ou la diffusion à ultra haut-débit. Ce satellite a été placé en orbite début 2008 et doit servir durant cinq ans de plate-forme de test pour divers services internet, de communication ou de transmission gourmands en ressources numériques et spectrales. Le Japon veut aussi mettre au point des techniques efficaces qui, à terme, permettent de supprimer dans la majeure partie de l'Asie-Pacifique les "zones blanches", à savoir les régions non couvertes par un réseau de données rapide.

Enfin, à plus long terme, le Japon ne désespère pas de réduire sa dépendance énergétique à l'égard de l'extérieur grâce à l'espace ensoleillé. Dépourvu sur son sol de ressources naturelles mais détenteur de technologies de pointe, il ambitionne en effet de construire une centrale solaire spatiale émettrice d'énergie sur Terre par faisceau laser ou micro-ondes. Au terme d'un appel d'offres lancé cet été, l'Etat japonais a désigné très récemment les entreprises et organismes qui devront développer ce dispositif futuriste mais jugé essentiel par les pouvoirs publics. D'autres études sont conduites aux Etats-Unis et en Europe, mais le Japon fait un pas de plus en impliquant concrêtement des industriels dans le processus avec un vrai calendrier. Objectif: placer vers 2030 un engin en orbite géostationnaire (à 36.000 kilomètres de la Terre), équipé d'une grande surface de panneaux solaires et réflecteurs.

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Ces éléments photovoltaïques, à l'instar de ceux employés au sol, convertiront l'énergie des rayons du soleil en électricité, avec une capacité annuelle cinq à dix fois supérieure à aire identique. Ce courant électrique sera à son tour transformé en flux énergétique transmis par faisceau laser ou micro-ondes jusqu'à la Terre où il sera recueilli dans une gigantesque zone de collecte et retransformé en électricité. "Puisqu'il s'agit d'une forme d'énergie propre et inépuisable, nous pensons que ce système peut contribuer à résoudre les problèmes d'insuffisance énergétique et de réchauffement climatique de la Terre dû aux gaz à effet de serre", expliquent des chercheurs de Mitsubishi Heavy Industries (MHI), groupe diversifié spécialiste des techniques aérospatiales. "La lumière du soleil abonde dans l'espace", rappellent-ils. Ce gigantesque défi scientifique et industriel conduit par l'Agence spatiale japonaise (Jaxa) semble tout droit sorti de la science-fiction, mais le Japon planche techniquement dessus depuis 1998 après des années d'études théoriques et de participation à des discussions internationales sur ce thème.

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Les ministères de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie (Meti) et des Sciences et Techniques (Mext) ont confié le 1er septembre le développement du dispositif et des différents éléments expérimentaux à MHI et à l'Institut de recherches sur les engins spatiaux inhabités, une organisation qui regroupe dix-sept sociétés dont les groupes d'électronique Mitsubishi Electric, NEC, Fujitsu et Sharp ainsi que divers autres industriels polyvalents. Plusieurs étapes sont prévues avant l'entrée en exploitation d'un tel système à partir des années 2030, selon les plans actuels. D'abord, "un satellite de démonstration destiné à l'expérimentation de la transmission par micro-ondes devrait être placé en orbite basse par la fusée japonaise" dans les toute prochaines années, explique un des responsables du projet à la Jaxa, Tatsuhito Fujita. Puis, il s'agira de vérifier la faisabilité d'un assemblage robotisé dans l'espace (en co-orbite avec la Station spatiale internationale, ISS) des éléments constitutifs d'une large structure photovoltaïque flexible d'une puissance de 10 mégawatts (MW).

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Ceci est prévu aux alentours de 2020. Ensuite, un prototype d'une puissance de 250 MW sera placé en orbite géostationnaire (36.000 km d'altitude). Il servira à tester l'ensemble du dispositif et à évaluer sa compétitivité sur le plan financier. La mission finale consiste à produire de l'électricité à un coût qui ne soit pas prohibitif face aux autres énergies. Les chercheurs se fixent pour objectif de développer un système définitif de 1.00O MW qui permette d'arriver à une charge de 8 yens (0,06 euro) par kilowatt-heure (kWh), au même niveau environ que la production solaire sur Terre aux alentours de 2030 et environ six fois moins qu'actuellement.

Mais même si le tarif est attractif, il faudra cependant convaincre les populations, lever des craintes compréhensibles. Selon une étude conduite en 2004 par la Jaxa auprès de 1.000 personnes, la sécurité est le premier motif d'inquiétude, les mots laser et micro-ondes faisant peur. "Chaque fois que je fais une présentation sur les centrales solaires spatiales, tout le monde me demande si les oiseaux qui voleront dans le faisceau finiront en yakitori (brochettes de poulet grillé) comme les volatiles cuits dans les fours micro-ondes de cuisine", racontait il y a quelques années un professeur de l'université de Kobe, Nobuyuki Kaya. Et ce dernier de poursuivre: "il est bon de se souvenir que la densité d'énergie des faisceaux de micro-ondes du TESF (Transport d'Energie Sans Fil par micro-ondes) est beaucoup plus faible que celle qui règne dans les fours à micro-ondes, et qu'elle est bien incapable de cuire les oiseaux qui les traversent".

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Plus précis, il ajoutait : "au centre d'un site de collecte de l'énergie d'un faisceau micro-ondes, où la densité de puissance est la plus élevée, elle est encore cent fois plus faible que dans un four à micro-ondes. Et au bord du site de collecte, elle se situe au-dessous des normes de sécurité fixées à 1 mW/cm²". En fait, si l'on peut obtenir des puissances totales de l'ordre du gigawatt avec des densités de puissances aussi faibles, c'est parce que les dimensions des sites de collecte sont très grandes, avec un diamètre d'une dizaine de kilomètres, pour récupérer la plus grande partie de l'énergie projetée depuis la centrale spatiale. Pour autant, ce spécialiste estimait qu'il fallait quand même évaluer précisément l'effet sur les corps de ces faisceaux de micro-ondes rayonnés. Il ajoutait qu'il y avait en outre au moins deux autres facteurs à considérer pour l'environnement et la vie humaine: le premier est l'émission de CO² pendant la construction de la centrale, le second est l'interférence du faisceau d'énergie micro-ondes avec le plasma ionosphérique et les télécommunications.

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Karyn Poupée
Par Karyn Poupée

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