La semaine dernière, la société Opera Software a publié la version 10.50 de son navigateur Internet pour Windows. Outre une nouvelle interface et une meilleure intégration à Windows 7, le logiciel embarque un nouveau moteur JavaScript, la nouvelle librairie graphique Vega et la version 2.5 du moteur de rendu Presto. De passage à Paris pour la promotion du navigateur, Charles McCathieNevile, chargé de la prise en charge des standards, revient avec nous sur les plaintes déposées auprès de la Commission Européenne et le modèle de développement suivi par la société norvégienne.
Quand et comment s'est passé le premier dépôt de plainte auprès de la Commission Européenne ?
Charles McCathieNevile : Je ne suis pas sûr mais je crois que c'était en 2008, il y a à peu près deux ans. Nous avons expliqué qu'il y avait un problème sur le marché et qu'il était plus facile pour tout le monde de se baser sur les standards du web.
Globalement cela n'a pas été difficile parce qu'il y avait déjà eu le cas similaire de Windows Media Player. Il y avait donc un précédent. Il suffisait juste que quelqu'un porte plainte.
Aujourd'hui l'écran d'installation (ballot screen) mis en place par Microsoft vous semble-t-il satisfaisant ?
CM : Oui c'était dans les réponses que l'on attendait. On avait pensé au ballot screen et cela faisait parti de nos propositions. On n'a pas fait ça pour l'argent !
Outre un choix élargi pour l'internaute, qu'apportera le ballot screen pour Opera ? Une meilleure part de marché ?
CM : Nous nous attendons à ce que plusieurs consommateurs fassent leur choix. Nous savons que la plupart se dirigera vers Internet Explorer. On ne s'attend pas à une croissance de 10% de part de marché même si l'on espère une légère hausse. Nous souhaitons surtout que la nature du marché change. Par exemple un ami pourrait recommander d'utiliser Opera et laisser faire le bouche-à-oreille. Pour nous c'est important. Aussi nous espérons que les développeurs se rendront compte de l'importance des standards et qu'ils ont une responsabilité à assumer.
Lors des actions auprès de la Commission Européenne vous avez été rejoints par Mozilla et Google. Pensez-vous qu'ils partageaient la même vision que la vôtre ?
CM : Chez Mozilla ils ont souvent les même objectifs que nous. C'est un fabricant de navigateur spécialisé. Depuis l'arrivée de Chrome, ce n'est plus le petit bébé de Google. Ils doivent faire leur propre vie. ils ont donc un réel intérêt avec ce ballot screen. Google, c'est une grande entreprise ; ils font plein de choses. Le navigateur Chrome est une toute petite partie de leurs activités. Je ne sais pas trop mais j'espère qu'ils avaient la même vision.
Pensez-vous que Microsoft ait changé ces dernières années, notamment lorsque l'on entend parler de la prise en charge du HTML5 au sein d'Internet Explorer 9 ?
CM : Moi j'ai vu un changement. Ils n'ont rien fait pendant 5 ou 6 ans et ils se sont remis à travailler. Déjà c'est bien! J'ai aussi vu un changement d'attitude. Ils se sont remis à participer à la standardisation. Je crois que c'est nécessaire pour eux parce que Microsoft n'est plus aussi puissant sur le web. D'ailleurs ils ont eux-mêmes reconnu les problèmes du navigateur IE6.
Nous savons qu'Opera a un modèle de développement fermé mais avez-vous déposé des brevets ?
CM : Oui nous en avons quelques uns, par exemple en ce qui concerne les protocoles de communication entre les applications. Pour les brevets, nous suivons la politique du W3C. On prend les brevets en mode défense. Nous estimons que le brevet n'aide pas l'industrie en général et nous n'attendons pas d'argent.
Lorsque l'on évoque les similitudes entre les différents navigateurs, vous répétez à tue-tête que l'imitation est flatteuse. On a quand même du mal à y croire...
CM : J'avoue que de temps en temps ca m'énerve d'entendre les autres dire que Firefox a tout inventé. Mais finalement l'important c'est de faire le meilleur navigateur. Nous aussi nous avons copié quelques trucs. En fait je dirais même que parfois c'est énervant de ne pas être copié.
Dans quel cas par exemple ?
CM : Par exemple au sein du CSS2 lors de la déclaration de la feuille de style il existe le type "projection" qui fonctionne super bien pour les présentations. C'est un truc de base et personne d'autre ne le fait.
Un modèle de développement hybride de type Chrome/Chromium cela ne vous intéresse pas ?
CM : C'est un peu ce que l'on fait. On protège le code parce que c'est plus efficace mais on laisse ouvert le niveau supérieur. Il y a Safari qui utilise Webkit mais dessus ils ont mis des codes fermés. Chez nous les utilisateurs peuvent installer des widgets, ajouter des boutons ou des menus. On fait aussi des outils de personnalisation permettant de repackager Opera et de le redistribuer. Aussi il y a Dragonfly, notre outil de debugging qui est actuellement sous licence BSD mais on devrait ensuite passer à une licence Apache.
Comment expliquez-vous votre part de marché en Russie (25%) ?
CM : A l'époque où Opera était payant, on a vu que cela ne marchait pas très bien en Europe de l'Ouest mais en Russie ca allait plutôt bien. Il n'y avait pas beaucoup d'argent mais beaucoup d'utilisateurs ! Aussi il y a quelques années l'infrastructure n'était pas aussi développée qu'en Europe et cela correspondait très bien à Opera. Enfin il y a une très forte communauté. Un administrateur réseau va par exemple recommander Opera à l'un de ses amis....
Si vous deviez faire un reproche pour chacun des navigateurs Firefox, Chrome, Safari et IE, quel serait-il ?
CM : Je trouve que Firefox manque de fonctionnalités. Il faut sans arrêt aller chercher des extensions. Je n'utilise presque jamais Internet Explorer parce que je ne suis pas sous Windows. Je n'ai joué qu'un tout petit peu avec Chrome. En ce qui concerne Safari, je ne peux tout simplement pas trouver de fonctionnalités, tout est fermé !
L'année dernière, si Opera n'existait pas, vous auriez surfé sur Omniweb, est-ce toujours le cas ?
CM : Probablement. Je regarderais aussi du côté d'iCab. Sur Linux j'utiliserais sans doute Konqueror.
Avec Opera 10.5 vous avez introduit la librairie graphique Vega. Pouvons-nous espérer la prise en charge de l'accélération matérielle ?
CM : Tout à fait, c'est l'un des grands buts de Vega. C'est un processus sur lequel nous travaillons peu à peu.
Dans la thématique du Web 3D, prenez-vous part aux travaux du groupe Khronos ?
CM : Oui nous y sommes. L'un de nos développeurs sur Vega travaille sur WebGL. En revanche nous ne connaissons pas vraiment la feuille de route.
Quand les versions Mac OS X et Linux d'opera 10.5 seront-eles disponibles ?
CM : Nous avons dû décaler les projets pour la sortie du ballot screen et donc retarder ces versions. Nous avons effectué divers changements. Par exemple la version Mac OS X est basée sur Cocoa. Nous avons fait quelque chose de similaire pour Linux en coupant les dépendances à QT pour que le logiciel soit mieux intégré au système. Je dirais que c'est une question de semaines.
Enfin quels sont les projets à venir pour Opera ?
CM : Dans un futur proche nous sortirons les nouvelles versions d'Opera Mini et Opera Mobile. Après en ce qui concerne la 3D, je ne sais pas trop je dirais peut-être que ca viendra dans un an. Nous allons travailler davantage sur Vega et Carakan (NDLR : nouveau moteur JavaScript). Nous allons aussi nous concentrer sur Opera Link qui permet la synchronisation des favoris, de l'historique ou encore des notes. Aussi nous ajouterons un mode sécurisé sur Unite pour le transfert des données plus sensibles ; aujourd'hui nous sommes juste en HTTP. Nous pensons publier une API de Link pour que la technologie puisse être intégrée sur d'autres navigateurs. Enfin nous continuerons à densifier la prise en charge des standards du HTML5 et du CSS3.
Je vous remercie
Voici pour finir la vidéo promotionnelle (en anglais) d'Opera 10.50 pour Windows. Quant au téléchargement, c'est par là.