Des cartes révolutionnaires basées sur l'intelligence artificielle et l'imagerie satellitaire dévoilent les activités méconnues en mer, de la pêche clandestine à l'essor du développement éolien offshore, révélant l'impact colossal, industriel même, de l'homme sur les océans.
Les progrès technologiques ont permis la création de cartes marines inédites, nous informant sur l'activité humaine en mer avec une précision sans précédent. Des chercheurs, qui ont utilisé l'imagerie satellite et le deep learning, ou apprentissage profond, ont mis en lumière des opérations de pêche secrètes et un boom énergétique offshore. Ces cartes révèlent que la majorité des navires de pêche industrielle dans le monde et jusqu'à 30 % des navires de transport et d'énergie échappent carrément à tout suivi public, ce qui interroge sur l'état et la préservation réels de nos océans.
Les satellites et l'IA dévoilent les secrets des océans, exposant la face cachée de la pêche et du développement énergétique en mer
Des cartes publiées le 3 janvier 2024 dans la revue Nature, dessinées par l'organisation à but non lucratif Global Fishing Watch, d'ailleurs soutenue par Google, dévoilent l'ampleur de l'activité humaine en mer. L'étude révèle notamment que 15 % des océans du globe concentrent à eux seuls 75 % de l'activité industrielle.
Global Fishing Watch nous apprend que des navires de pêche industrielle ne sont pas suivis publiquement, un vrai symptôme du concept de « vaisseaux sombres », si l'on doit en faire une traduction littérale, concept qui soulève bien des préoccupations. L'intelligence artificielle et l'imagerie satellitaire ont en tout cas permis de cartographier ces activités industrielles autrefois inaperçues, révélant des opérations de pêche suspectes et une croissance du développement énergétique offshore.
Les chercheurs soulignent l'importance de leur travail en ce que la méconnaissance des activités marines peut entraver les objectifs de conservation des océans mondiaux. Alors que la plupart des pays ont convenu de protéger 30 % des terres et des eaux d'ici 2030, l'absence de cartes précises est problématique. Pour protéger les océans et la pêche, les décideurs politiques ont besoin d'une vision plus claire de l'exploitation des ressources marines, une information cruciale que les cartes basées sur l'IA et l'imagerie satellite peuvent désormais fournir. Voyons ce qui change.
2 000 téraoctets d'images satellites analysées
Jusqu'à aujourd'hui, le suivi des navires se basait principalement sur le système AIS (Automatic Identification System), qui présente des limites liées aux variations des exigences d'embarquement et à la possibilité d'éteindre le système. Pour pallier ces lacunes, Global Fishing Watch a analysé pas moins de 2 000 téraoctets d'images radar de la constellation de satellites rattachée à la mission Sentinelle 1 de l'Agence spatiale européenne (ESA).
Pour les traiter, les chercheurs ont développé des modèles d'apprentissage en profondeur pour classer les navires en fonction de leur longueur, de leur classe (pêcheurs ou non), et identifier les infrastructures offshore, comme les éoliennes. Le tout, avec une précision allant de 90 à 98 %.
Les résultats sont sans appel : entre 21 et 30 % des navires de transport et d'énergie échappent au suivi public. Les nouvelles méthodes d'analyse ont révélé un trafic maritime dense dans des zones autrefois peu actives, notamment en Asie du Sud, en Indonésie, en Asie du Sud-Est, et sur les côtes nord et ouest de l'Afrique. Les données AIS traditionnelles, prises séparément, suggèrent une pêche comparable entre l'Europe et l'Asie, alors que l'Asie domine en réalité la pêche industrielle, puisqu'elle rassemble 70 % de toutes les détections de navires de pêche, dont 30 % uniquement dans la zone économique chinoise.
Le développement offshore éolien se poursuit
Le développement énergétique offshore connaît aussi un essor considérable, avec des éoliennes plus nombreuses que les structures pétrolières. En soi, ce n'est pas une mauvaise chose. En 2021, les turbines éoliennes représentaient 48 % de toutes les infrastructures océaniques, concentrées principalement au large des côtes de l'Europe du Nord (52 %) et de la Chine (45 %), marquant un tournant significatif vers les énergies renouvelables.
Au terme de leur étude, les scientifiques soulignent que l'IA a été essentielle pour traiter la masse de données issues des images radar. Ils estiment que ces outils sont déterminants pour documenter les changements rapides dans l'activité maritime, surtout dans un contexte où la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité nécessitent une gestion responsable de nos océans.
Source : Nature