Au cœur des Alpes autrichiennes, une équipe de physiciens a réalisé l'impensable en photographiant des tourbillons quantiques microscopiques au sein d'un état de matière à la fois solide et fluide. Grâce à cette prouesse technique, les chercheurs espèrent mieux comprendre les processus physiques qui se déroulent à l'intérieur des étoiles à neutrons.
Un des laboratoires de l'Université d'Innsbruck abrite une expérience qui défie notre compréhension de la matière. Des métaux des terres rares y sont portés à des températures extrêmes, se volatilisant à une vitesse comparable à celle d'un avion de chasse. Un dispositif sophistiqué de lasers et d'impulsions magnétiques intervient alors pour freiner brutalement ce gaz, le refroidissant jusqu'à des températures plus basses que celles des confins de l'espace interstellaire.
Dans ces conditions extrêmes, les quelque 50 000 atomes présents perdent leur individualité pour fusionner ensuite en un état quantique unique. Une simple modification du champ magnétique ambiant suffit alors à faire apparaître d'infimes tourbillons. Les chercheurs d'Innsbruck ont enfin réussi à les observer ; un pas de plus dans la compréhension du monde quantique après l'expérience menée par l'Université de l'Indiana au mois d'octobre.
Des années de recherche pour capturer l'insaisissable
Ces tourbillons quantiques sont des excitations élémentaires de la matière qui apparaissent dans certains systèmes quantiques à basse température. Ils correspondent à des régions où la matière tourne autour d'un axe central de manière quantifiée. Cela signifie que la circulation de la matière dans le tourbillon ne peut prendre que certaines valeurs bien définies, contrairement à un tourbillon classique qui peut tourner à n'importe quelle vitesse.
La quête de Francesca Ferlaino et de son équipe illustre parfaitement la ténacité nécessaire en recherche fondamentale. Pendant trois années consécutives, ces physiciens ont perfectionné leurs techniques pour parvenir à immortaliser ces tourbillons, signature caractéristique d'un état de matière insaisissable. Ferlanio explique : « De nombreuses personnes m'assuraient que ce serait impossible, mais j'étais persuadé que nous allons y parvenir ». Cette persévérance a finalement abouti à la publication de leurs observations dans la prestigieuse revue Nature le 6 novembre, apportant la preuve irréfutable de l'existence des supersolides.
Cette phase de matière, prédite théoriquement en 1957, défie notre intuition en combinant des propriétés apparemment contradictoires : elle présente simultanément la rigidité caractéristique des solides et la fluidité parfaite des superfluides. Pour comprendre ce phénomène, il faut imaginer un matériau capable de s'écouler sans la moindre friction tout en maintenant une structure cristalline ordonnée.
La formation de tourbillons quantiques lors de la rotation du matériau est justement la manifestation la plus probante de cette dualité unique : alors que le réseau cristallin tourne comme un solide, le fluide qui le compose génère des vortex caractéristiques des superfluides, confirmant ainsi la coexistence de ces deux états vraisemblablement incompatibles.
Des micro-tornades aux implications cosmiques
La méthode développée par l'équipe d'Innsbruck relève presque de la haute voltige expérimentale. Les chercheurs ont utilisé un champ magnétique comme instrument de précision pour agiter les champs magnétiques internes des atomes à une fréquence d'environ 50 Hz. Cette fréquence, soigneusement calibrée, permet de générer des vortex tout en préservant la délicate phase quantique du matériau.
L'impact de ces découvertes dépasse largement le cadre de la physique quantique. Les vortex observés pourraient notamment expliquer certains comportements énigmatiques des pulsars, ces étoiles à neutrons en rotation rapide qui émettent des faisceaux de radiation avec une régularité comparable aux meilleures horloges atomiques.
L'équipe prévoit par la suite d'étudier en détail la dynamique de ces vortex : leur formation, leur déplacement et leur dissipation. Ces recherches pourraient notamment éclairer le mécanisme des « glitches », ces accélérations soudaines observées dans la rotation des pulsars. À terme, la compréhension approfondie de la dynamique de ces tourbillons pourrait également avoir des répercussions sur l'étude des supraconducteurs à haute température, qui présentent aussi des tourbillons quantiques.
Source : Quanta Magazine