Le dispositif anti tracking implémenté au sein de l'App Store d'Apple ne plait pas à tout le monde et la firme de Cupertino pourrait devoir le retirer.

Quand elle a lancé sa fonctionnalité App Tracking Transparency en 2021, l'entreprise Apple affirmait vouloir changer les choses et redonner aux utilisateurs le contrôle sur le suivi de leurs activités par les applications téléchargées au sein de son App Store. Fini ces applications de calculatrice ou de lampe torches souhaitant pouvoir collecter vos informations de géolocalisation. L'iPhone ne devait plus représenter une mine de données personnelles collectées par des data brokers pour pister les utilisateurs.
Mais la société est désormais sur le point d'être accusée de monopole sur le marché publicitaire français.
France, Allemagne, même combat
Chez l'utilisateur, l'App Tracking Transparency, se matérialise par un écran permettant à l'utilisateur de choisir ou non d'être pisté par une application tierce venant d'être téléchargée. Avant son introduction, les utilisateurs étaient suivis par défaut sans forcément le savoir.
Nous rapportions le mois dernier que la justice allemande s'était déjà penchée sur le dossier. En effet, l'Office fédéral de lutte contre les cartels, l’autorité de concurrence fédérale allemande, a mené une enquête de trois ans. Andreas Mundt, président du bureau, en est arrivé à la conclusion que ce dispositif de protection complexifie l'accès aux données des utilisateurs pour les développeurs d'applications tierces tout en privilégiant Apple.
Dans l'une de ses dernières dépêches, Reuters rapporte que les autorités de la concurrence françaises vont entendre Apple sur le sujet le mois prochain. En 2023, ils avaient estimé que l'App Tracking Transparency pouvait permettre à la multinationale d' "abuser de sa position dominante en imposant des conditions discriminatoires, non objectives et non transparentes pour l'utilisation des données des utilisateurs à des fins publicitaires".

Pour Facebook, nous devrions être pistés en permanence
Facebook a été la première entreprise à s'opposer fortement à ce dispositif en clamant publiquement que les revenus de ses partenaires souhaitant diffuser leurs publicités sur la version iOS de Facebook avaient considérablement chuté. Le réseau de Mark Zuckerberg a perdu plus de 12 milliards de dollars un an après l'introduction de cet outil.
Cette affaire survient en parallèle des enquêtes menées par la Commission européenne sur la bonne conformité d'Apple vis-à-vis du Digital Market Act, L'Autorité de la concurrence en France devrait rendre sa décision dans le courant du printemps. Apple risque une nouvelle amende équivalente encore à 10% de ses revenus annuels.
Ce n'est pas la première fois qu'Apple est dans le collimateur des publicitaires en France. La dernière version du navigateur Safari embarquant un outil permettant de "bloquer les éléments gênants" ne plait pas beaucoup à Pierre Devoize, directeur général adjoint en charge des affaires publiques de l’Alliance Digitale. Celle-ci est issue du rapprochement entre IAB France et de la Mobile Marketing Association France.
Comment Apple utilise-t-elle nos données ?
Si des sociétés comme Facebook et Google génèrent la majeure partie de leurs chiffres d'affaires sur les revenus publicitaires, de son côté, Apple vend ses produits, ses différents abonnements (iCloud+, TV+, Music+, Fitness+...) et collecte les commissions sur son App Store. On pourrait alors penser que la firme de Tim Cook n'a pas vraiment besoin de nos données personnelles pour mettre en œuvre des stratégies de publicités ciblées. Mais ce n'est pas tout à fait vrai.
La société collecte bel et bien un certain nombre de données :
- Informations de compte (adresse e-mail, appareils enregistrés, âge).
- Données d'identification de l'appareil (numéro de série, type de navigateur).
- Coordonnées (nom, adresse, numéro de téléphone).
- Informations de paiement et de facturation.
- Données de transaction liées aux achats.
- Informations d'utilisation (activité sur les produits Apple, historique de navigation et de recherche).
Dans sa politique de vie privée, elle explique les utiliser pour plusieurs finalités :
- Fournir et améliorer ses services et produits
- Traiter les transactions et les achats
- Communiquer avec les utilisateurs (notifications, support, marketing)
- Assurer la sécurité et prévenir la fraude
- Personnaliser les services et communications (si l'utilisateur choisit cette option)
- Se conformer aux obligations légales
Et puis, il y a la publicité. Après tout, l'entreprise dispose de sa propre régie. À cet effet, Apple précise :
"Les publicités proposées par la plateforme publicitaire d’Apple peuvent apparaître dans l’App Store, Apple News, Bourse et l’app Apple TV [NDLR : et bientôt Apple Plans]. La plateforme publicitaire d’Apple ne suit pas vos activités, c’est-à-dire qu’elle n’associe pas les données d’utilisateur ou d’appareil recueillies dans nos apps à des données d’utilisateur ou d’appareil recueillies auprès de tiers à des fins de ciblage ou de mesure publicitaires, et ne partage pas les données d’utilisateur ou d’appareil avec des courtiers en données."
Apple explique qu'elle ne partage pas les données personnelles collectées avec des tiers à des fins publicitaires. Plus précisément, l'entreprise assure qu'elle ne divulgue uniquement certaines données non personnelles à ses annonceurs et partenaires stratégiques. Aucune transaction Apple Pay ou donnée de l'app Santé n'est accessible à la plateforme publicitaire d'Apple ou utilisée à des fins publicitaires. Apple ne partage pas d'informations sur l'orientation sexuelle, les croyances religieuses ou les affiliations politiques des utilisateurs avec les annonceurs. Enfin, l'utilisateur peut choisir de désactiver les publicités personnalisées dans les paramètres de confidentialité de leurs appareils.
Bien qu'elles ne soient pas personnelles, des données utilisateurs sont donc bien envoyées vers des partenaires "stratégiques". Qui sont-ils ? Dans le cadre de l'Apple Intelligence, on pense notamment à ChatGPT, Google ou Alibaba par exemple.
De toute évidence, cela reste un peu vague. On espère en tout cas que si cette opacité est pointée par l'Autorité de la Concurrence en France, cela ne se traduira pas par un retour en arrière vers un pistage activé par défaut pour l'ensemble des applications tierces.