AB - Gilles Klein bonjour. Selon Jay Rosen, professeur de journalisme à NYU,
l'opposition entre journalistes et blogueurs est révolue. Quel est votre point de vue sur la question ?
GK - Je pense qu'il n'y a jamais eu d'opposition. Un exemple : depuis les débuts de la photo, il y a des photographes de presse qui sont payés pour prendre des photos, et des amateurs qui font aussi des photos. Le fait d'avoir un appareil photo ne fait pas de vous un journaliste (de même un blog ne fait pas de vous un journaliste), quelle que soit la qualité des photos, ou encore le témoignage historique que représente l'image, qu'elle soit fixe ou animée. Prenez l'assassinat de Kennedy en 1963, l'évènement a été filmé par un spectateur, non journaliste, avec une caméra familiale... Un site web, un blog ou une caméra numérique, c'est un outil, rien d'autre.
J'ajoute que les journalistes professionnels sont payés pour fournir du contenu, bon ou mauvais, qui est décliné, avec plus ou moins de succès ou d'audience, via différents canaux : presse écrite, radio, télévision et, depuis une dizaine d'années, Internet : sites web des journaux traditionnels, presse 100% en ligne, blogs individuels ou collectifs de journalistes, parfois accessibles depuis le site officiel du média qui les emploie. Un témoin peut relater un événement, transmettre par courrier, par téléphone, par e-mail, ces informations à un média. Avec Internet, il lui est également possible de publier directement en ligne son témoignage, son opinion.
Les journalistes professionnels en France ont une carte de presse, travaillent dans des entreprises « de presse » qui respectent un certain nombre de régles, et bénéficient de certains avantages fiscaux. D'autres, qui ne sont pas journalistes, sont payés pour un travail de rédaction, d'édition, de communication, de marketing, de relations publiques. D'autres encore, pour qui ni le journalisme, ni la communication ne sont un métier, contribuent aux contenus diffusés par les médias sans être rémunérés. Une chose est sûre, les médias ont toujours dialogué ou associé leur audience à leurs contenus, ce dialogue est grandement facilité par Internet.
AB - Que pensez-vous de la création du « Prix européen du meilleur blog étudiant d'information » par le CFPJ et CNN ?
GK - C'est un prix comme un autre. Avant les blogs, les bulletins en ligne ou sur papier, réalisés par des étudiants, existaient déjà et faisaient l'objet de récompenses variées.
AB - Les contenus générés par les internautes, le journalisme citoyen, modifient-ils en profondeur la profession ?
GK - Les contenus générés gratuitement par des internautes, enthousiastes et souvent naïfs, sont simplement une formidable opportunité marketing pour des entreprises qui profitent de cette mode qu'elles exploitent à fond, tout en faisant ou en espérant faire des bénéfices plus ou moins importants, comme YouTube ou FlickR, pour ne parler que des plus connus. Ce concept est joyeusement décliné dans tous les pays ou on le baptise de noms plus ou moins nobles. Néanmoins, certaines entreprises commencent à envisager de partager avec les internautes contributeurs, une part des revenus publicitaires générés.
Quant à la profession de journaliste, elle évolue en fonction des rythmes de parution (si les quotidiens nationaux se vendent moins bien en France, la presse magazine se porte bien), des supports et de leur capacité à faire des bénéfices, ou des pertes, en fonction de l'évolution du marché publicitaire de chaque pays. L'arrivée de nouveaux supports (Internet...) n'a pas entraîné la disparition des précédents, la télévision n'a pas supprimé la radio - pourtant sans images ! Quand un journal n'est pas rentable, quel que soit son support, quelle que soit son audience, il ferme. Le journalisme est une activité économique comme une autre, le journaliste est un employé qui dépend de la vente de son produit. Il est toutefois censé, malgré ce besoin permanent de rentabilité, respecter un certain nombre de régles éthiques et professionnelles.
AB - Gilles Klein, je vous remercie.
