Techland : 5079 internautes français incriminés ?

Alexandre Laurent
Publié le 10 avril 2007 à 15h24
Plusieurs centaines d'internautes, accusés d'avoir illégalement téléchargé le jeu Call Of Juarez sur des réseaux d'échange de peer-to-peer (P2P), ont récemment reçu une lettre de mise en demeure les enjoignant à verser 400 euros de dommages et intérêts à l'éditeur du logiciel, Techland. Depuis, la polémique « Techland » enfle sur le Web, prenant des proportions sans précédent. Certains soupçonnent en effet quelques irrégularités dans la procédure et dénoncent des méthodes tout juste dignes de « chasseurs de prime », alors que d'autres clament haut et fort n'avoir jamais téléchargé d'autre fichier que la version d'évaluation de ce jeu. En filigrane, l'affaire soulève un certain nombre de questions relatives aux méthodes à mettre en oeuvre pour lutter contre le piratage sur Internet.

Fin mars, plusieurs centaines d'internautes français reçoivent une lettre de mise en demeure émanant d'une avocate parisienne, Me Elisabeth Martin, elle-même mandatée par Techland. D'après cette lettre (publiée par Ratiatum, format PDF), l'éditeur dispose de « preuves irréfragables » (qui ne peuvent être récusées) permettant d'affirmer que l'internaute concerné a partagé le jeu Call Of Juarez sur des réseaux de peer-to-peer pour que ce dernier puisse « être téléchargé illégalement par des tiers ».

Après avoir rapidement rappelé les sanctions auxquelles s'expose l'internaute convaincu de contrefaçon, Elisabeth Martin suggère une alternative à la justice : le versement, sous quatorze jours, d'une indemnité de 400 euros à son cabinet, à titre de compensation pour le préjudice subi par Techland et les frais occasionnés par la recherche des pirates potentiels. Dès lors, les destinataires de la lettre s'interrogent. Regroupés sur les forums du site spécialisé Ratiatum, qui s'est très tôt emparé de l'affaire, certains d'entre eux tentent d'évaluer les alternatives : ignorer la mise en demeure, verser la somme demandée ou apporter la preuve des éventuelles irrégularités de la procédure ?

Cette dernière, bien que cavalière, peut-elle être contestée ? Pour identifier les potentiels pirates qui auraient téléchargé et piraté son jeu, Techland a fait appel à une société suisse spécialisée, Logistep AG, qui dispose, d'après son propre site, d'une « méthode unique permettant de tracer les utilisateurs de P2P ». Les usagers sont généralement repérés au moyen de leur adresse IP, cet identifiant unique délivré par le fournisseur d'accès à Internet au moment de la connexion. Pour savoir quel nom se cache derrière telle adresse IP à un moment donné, il est nécessaire de faire appel au fournisseur d'accès. Ces informations, relatives à la vie privée des internautes, sont confidentielles. Une ordonnance émanant d'un tribunal est donc nécessaire.

Le tribunal de grande instance de Paris en aurait justement formulé une le 22 janvier dernier. D'après le Journal du Dimanche, elle aurait été adressée à huit fournisseurs d'accès, dont Orange, Free ou Tiscali et obligerait ces derniers à livrer les coordonnées de quelque 5079 internautes repérés par les services de Logistep AG. La société suisse accompagne d'ailleurs ses clients dans la procédure judiciaire qui peut suivre la détection des fraudeurs.

Free pourrait bien avoir été le premier à obtempérer puisque les premières lettres de mise en demeure ont été reçues par certains de ses abonnés. Contactée par Le Monde, la filiale d'Iliad explique qu'elle a « scrupuleusement et strictement exécuté une décision de justice ». Les méthodes de détection employées par Logistep AG paraissent toutefois sujettes à caution : certains des internautes incriminés affirment qu'ils ont simplement téléchargé la démo du jeu, qu'ils auraient ensuite partagée sur eMule.

Divers avocats contestent toutefois la légitimité de la lettre de mise en demeure rédigée par leur consoeur, Elisabeth Martin. Interrogés par Ratiatum et le Journal du Dimanche, ils évoquent des pratiques « très éloignées des principes essentiels de notre déontologie », et une lettre « rédigée de manière scandaleuse » s'apparentant plus à une tentative de chantage qu'à une mise en demeure dans les règles. Une enquête aurait été ouverte par le barreau de Paris. Pendant ce temps, divers internautes envisagent de se regrouper pour faire valoir leurs droits qu'ils estiment bafoués auprès de la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) ou d'une cour de justice.

Une ténébreuse affaire ? Quelle qu'en soit la résolution, Logistep AG devrait continuer à démarcher les éditeurs qui pourraient se révéler de plus en plus nombreux à recourir à ses services, y compris dans d'autres domaines que le jeu vidéo. La presse anglo-saxonne indiquait d'ailleurs en fin de semaine dernière que des procédures similaires, à base de mises en demeure censées permettre d'éviter la justice, sont à l'oeuvre au Royaume-Uni.
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