Le 22 juin 2007, à la veille d'une journée parisienne consacrée aux contributeurs du projet Mozilla, Mike SHAVER, directeur 'ecosystem development' chez Mozilla Corporation, rejoint par Tristan Nitot, président de l'association Mozilla Europe, a précisé l'engagement du groupe en faveur d'un Web ouvert à tous.
AB - Entre Fondation et Corporation, comment s'articule le projet Mozilla ?
MS - Mozilla est un projet réunissant des contributeurs, des développeurs aux traducteurs, travaillant pour améliorer le Web. Nous sommes donc une communauté mondiale qui crée des produits pour le Web, des logiciels librement téléchargeables en ligne, notamment le navigateur Mozilla Firefox (plus de 365 millions de téléchargements à ce jour). Pour ce faire, nous disposons de structures légales dont les quartiers généraux sont basés aux Etats-Unis : la Mozilla Foundation (MoFo), une organisation à but non lucratif qui n'est pas soumise à l'impôt, conformément à la législation américaine, et, depuis l'été 2005, la Mozilla Corporation (MoCo), une société détenue à 100% par la Fondation.
La MoCo a été créée pour respecter la législation - le Fisc US (Internal Revenue Service) n'autorise pas une organisation à but non lucratif comme la MoFo à réaliser plus de 10% de ses revenus par le biais de partenariats commerciaux ou marketing. En résumé, la Fondation détient 100% de Mozilla Corporation, ainsi que la marque et le code, bref la propriété intellectuelle. La Fondation autorise, par ailleurs, l'ouverture de filiales associatives à l'international (Europe, Canada, Japon, Chine...) Les partenariats avec les moteurs de recherche (NDLR: Google) et le marketing sont gérés par Mozilla Corporation. Tout ce que fait la MoCo c'est pour la MoFo !
AB - Pouvez-vous préciser votre approche du 'Web ouvert' ?
TN - Nous voyons, Mike et moi, la situation comme suit : aujourd'hui, le monde abrite 1 milliard d'internautes, quand nous en serons à 6 milliards ce sera mieux. La tentation, pour certains, consiste à privatiser ne serait-ce que 5% ou 6% de cette audience. Cette formidable opportunité financière constitue un danger pour le Web ouvert, à savoir une ressource publique globale utilisable par n'importe quel individu sans être contraint ou bloqué par un ou plusieurs produits propriétaires.
L'ouverture du Web défendue par Mozilla et d'autres projets - le fait que chacun puisse accéder au Web sans demander l'autorisation de tel ou tel -, fait sa force, sa créativité. Si une entreprise en prend le contrôle, l'utilisateur n'aura plus le contrôle. Le processus est déjà en cours. Que se passe-t-il avec des logiciels d'animation comme Flash d'Adobe ou Silverlight de Microsoft ? Il ne s'agit plus ici de développer pour le Web, pour son ouverture, mais de développer pour une application propriétaire. La bataille est donc celle du Web ouvert contre le Web fermé. Il nous faut sensibiliser un plus large public, par exemple à travers la mise en ligne du Mozilla Security Blog.
Par ailleurs, nous travaillons avec Opera à la conception d'un tag ouvert qui réponde à la demande des développeurs en matière de vidéo, ainsi Flash ne sera plus un passage obligé. Nous travaillons également sur le fonctionnement d'applications Web en mode déconnecté et sur 'l'intégration applicative', afin de pouvoir ouvrir une application dans le service de son choix, un traitement de texte dans Google Docs, par exemple. On espère que tout cela sera possible avec Firefox 3 (la bêta est prévue pour l'été, la version stable devrait sortir fin 2007).
AB - Mozilla va-t-il dans le même sens que le W3C (World Wide Web Consortium) ? Le débat sur la GPLv3 (licence publique générale) intéresse-t-il Mozilla ?
MS - Dans le même sens que le W3C !? Et bien... pas toujours ! Disons que la situation s'est pacifiée. Le W3C a fait un travail formidable sur le CSS, sur les documents. Sur d'autres choses, en revanche, comme le JavaScript, créé par Brendan Eich alors chez Netscape, aujourd'hui membre de Mozilla Foundation, le W3C ne s'est pas engagé. Un autre exemple : à un moment, le Consortium n'a plus voulu faire évoluer progressivement le HTML, mais a fait le choix de tout repenser avec le langage XHTML2, alors que des millions de sites web fonctionnaient très bien avec HTML4. De la sorte, le W3C s'est isolé, mais une alternative est née : le What Working Group qui travaille sur l'évolution du HTML4, le HTML5. Mozilla y participe au côté de 2.000 autres projets, dont Opera, Safari (Apple) et Google. Aujourd'hui, fort heureusement, il y a un rapprochement entre le What Working Group et le W3C . Ce dernier continue ses travaux sur XHTML2 et a ouvert un groupe de travail sur le HTML5. La tension est retombée, nous pouvons travailler plus sereinement.
Concernant la licence publique générale, pas de souci. Je rappelle que le code source de Mozilla Firefox et de Thunderbird est publié sous une triple licence : MPL (Mozilla Public License) / GPL (GNU General Public Licence) v2 et ultérieures / LGPL (Lesser GPL).
AB - Pour conclure, quelle est votre réaction à l'arrivée de Safari sous Windows ?
TN - C'est une très bonne chose en terme de choix et d'innovation. Cela dit, les internautes, les consommateurs, sont encore nombreux à ignorer qu'ils ont le choix entre différentes solutions, entre différents logiciels, à nous de les sensibiliser. Les gens doivent avoir conscience de la diversité et des enjeux.
AB - Tristan Nitot, Mike Shaver, je vous remercie.