JB -Carlos-Diaz, bonjour. En quelques mots, pouvez vous rappeler votre parcours ?
CD -Bonjour. Malgré une formation de professeur d'espagnol, j'ai décidé de créer le groupe Reflect en 1997, en m'associant à mon frère qui n'avait alors que 18 ans et qui venait de passer son bac. A l'époque, l'internet émergeait à peine, tout était encore très abstrait, les grandes écoles n'en parlaient pas et ma banquière pensait que cela ne marcherait jamais en raison de la concurrence du minitel.
Les premières années ont néanmoins été passionnantes et m'ont permis de toucher à différents métiers : accès internet, hébergement et création de sites web. Nous avons vécu les années d'euphorie jusqu'en 1999 puis la période de crise, à partir de 2000, à laquelle nous avons tout de même survécu grâce à une démarche pragmatique. C'est pendant cette période, en 2002/2003 que nous nous sommes penchés sur les pratiques d'un web plus social, notamment au travers de rencontres comme celle avec Loïc LeMeur, qui cherchait des partenaires pour promouvoir la plate-forme Movable Type de Six Apart auprès des entreprises.
JB -C'est suite à cette rencontre qu'est née l'idée de BlueKiwi ?
CD -Nous étudions le web social, ce qui s'appellera dès 2005 le "Web 2.0" et nous testions des outils comme les blogs, les wikis, les réseaux sociaux sans pour autant être vraiment satisfaits des différentes produits existants. Nous avons donc décidé de réaliser notre propre solution.
Le premier prototype était fonctionnel dès la fin de l'année 2005 et nous avons commencé à en parler à des blogueurs. C'est grâce à l'un d'entre eux, Bertrand Duperrin, lui-même relayé par Jacques-Froissant, que l'information est parvenue jusqu'à Dassault Systèmes, le premier éditeur français de progiciels. Ils nous ont appelé un vendredi pour bénéficier d'une démonstration dès le lundi.
Comme vous pouvez l'imaginer, le week end a été très studieux mais les démonstrations ont été tellement concluantes qu'ils ont décidé de nous pré-acheter le produit, avec pour objectif de faciliter la communication entre leurs différentes unités d'affaire.
JB -C'est un peu l'histoire de Microsoft et du décollage de Windows né d'une commande d'IBM ?
CD -Effectivement, et c'est un peu dans l'esprit d'un small business act de voir le numéro un français du logiciel aider de cette manière une start-up qui vient à peine de se créer. Cette formidable opportunité nous a poussés à travailler d'arrache pied pour déployer notre solution deux mois plus tard chez Dassault Systèmes, dans un premier temps auprès d'un petit groupe de 20 utilisateurs en mars 2006, puis 500 dès le mois de juin. J'ai profité de la cession de Groupe Reflect à l'agence Makina pour officiellement créer la société Bluekiwi Software en juillet 2006, une société pour laquelle nous avons d'ailleurs réussi à lever plus de 4 millions d'euros neuf mois plus tard grâce au concours des équipes d'Aelios Finance.
JB -Combien vendez vous votre solution ?
CD -Nous commercialisons des licences d'un coût de quelques dizaines d'euros par mois et par utilisateur. Pour l'équivalent du salaire d'un cadre moyen, une entreprise peut ainsi s'offrir un formidable outil de management, avec un retour sur investissement très rapide.
JB -Concrètement, comment doit-on présenter votre produit ? Un Facebook de l'entreprise ?
CD -L'expression a effectivement été employée par nos investisseurs car Bluekiwi est la synthèse de nombreux services du web 2.0 : microblogging, réseau social, gestion des groupes, portail d'information "social" mais adaptés au monde de l'entreprise. Un exemple : au lieu de permettre aux utilisateurs de donner une note à un article, nous avons préféré construire un algorithme mêlant de nombreux critères (audience, commentaires, autorité) afin de faire remonter automatiquement les informations les plus pertinentes.
Comme facebook, BlueKiwi est également ouvert aux applications extérieures. Nous venons par exemple de signer un accord OEM avec Sinequa, la société de Jean Ferré, pour proposer leur moteur de recherche à nos propres clients. Nous sommes également partenaires de Microsoft en veillant à la compatibilité de BlueKiwi avec leur solution SharePoint.
JB -La culture "en réseau" de l'internet se diffuse t'elle facilement dans les entreprises, plutôt habituées à celle de la "pyramide" ?
CD -Même si la culture pyramidale reste majoritaire, beaucoup d'entreprise réalisent que leurs collaborateurs court-circuitent les voies hiérarchiques habituelles en s'inscrivant sur des réseaux sociaux professionnels sur le web ou en créant leurs propres groupes de discussion. Nous avons donc tendance à travailler en priorité avec des entreprises ayant adhéré à cette culture du réseau, que cela soit par conviction ou par nécessité.
Nous estimons en effet que les premières générations d'intranets ont été des échecs. Reposant sur une démarche "top down", ils étaient souvent perçus comme "l'œil de moscou" par des employés à qui on demandait de remplir des formulaires, de livrer des expertises, sans véritable contre partie et valeur opérationnelle.
Au contraire, Bluekiwi repose sur une approche "bottom up", où l'utilisateur peut facilement mettre à jour son profil, entretenir son réseau social et alimenter la solution, en conciliant son propre bénéfice et celui de l'entreprise. Grâce à nos outils, les communautés se créent entre différents collaborateurs mais également vers l'extérieur avec des clients, des fournisseurs ou encore des développeurs.
JB -Estimez vous être devenus concurrents de groupes comme Oracle, IBM ou Microsoft ?
CD -Nous ne sommes pas un généraliste du progiciel. Notre paradigme est de faire passer l'entreprise de la société de l'information à la société de la relation, en l'aidant à lutter contre l'infobésité, en sachant qui a l'information. Selon le Gartner, ce marché s'appelle l'Enterprise Social Software (E2S), un nouveau marché sur lequel ils nous classent aux côtés d'autres grands noms du logiciel comme IBM, Microsoft ou Vignette
JB -Quel regard portez vous sur les technologies 2.0 ?
CD -Bluekiwi est une architecture LAMP standard, avec de l'Ajax, des microformats, une API ouverte. Nous avons opté pour le modèle du SAAS, ce qui arrange nos clients qui n'ont pas à solliciter leur DSI pour un déploiement, d'autant que les coûts en interne sont parfois supérieurs à nos propres coûts d'hébergement.
JB -Vous avez annoncé une levée de fonds de 4 millions d'euros. Quelles seront les étapes suivantes ?
CD -La cession du Groupe Reflect a déjà fait de moi un entrepreneur comblé ce qui ne m'empêche pas d'être très ambitieux pour Bluekiwi. Pour le moment, nous renfoçons les fondations de l'entreprise avec une nouvelle architecture SAAS, capable de gérer des centaines voire des millions d'utilisateurs, et avec la mise en place d'une équipe expérimentée, dirigée par Pascal PODVIN, notre nouveau directeur général. A moyen terme, mon ambition est de donner à Bluekiwi une dimension mondiale, en nous implantant à Londres puis sans doute aux Etats-Unis qui reste le plus grand marché du monde pour le logiciel.
JB -Carlos Diaz, je vous remercie.